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Elle s'appelait Sarah - Tatiana De Rosnay

Sarah est une petite fille juive qui a connu la rafle du Vel d'Hiv en juillet 1942 avec ses parents. En 2002, soit 60 ans après cet événement tragique, Julia Jarmond, journaliste américaine expatriée, est chargée d'écrire un papier sur l'événement. Elle part alors sur les traces de la petite fille dont le destin est tristement lié à celui de sa belle-famille...

Le roman alterne le récit de ces deux histoires. Le style en est simple, fluide et rythmé. Pas de longueurs, ni de digressions : le lecteur est happé par l'intrigue du roman bien que les événements et les personnages soient attendus. Peu importe, j'ai été touchée par cette histoire de Tatiana de Rosnay qui traite d'un épisode de l'histoire de France souvent oublié et qui propose dans le même temps, une approche émouvante des relations intergénérationnelles. Se souvenir de cette rafle  participe au processus de deuil des nombreuses familles victimes. Elle s'appelait Sarah s'inscrit avec justesse dans ce travail de mémoire. Il faut le lire car la France doit se souvenir : la délation a bel et bien été. Savoir l'admettre, c'est donner la chance aux générations futures de ne pas reproduire les erreurs passées...

Dédicace : 
"A Stella, ma mère
A ma Charlotte, belle et rebelle
A Natacha, ma grand-mère (1914-2005)"


Citations : "Mon Dieu! Que me fait ce pays !
Puisqu'il me rejette, considérons-le froidement,
regardons-le perdre son honneur et sa vie."
Irène Nemirovsky, Suite française, 1942

"Tigre ! Tigre ! Feu et flamme
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quelle oeil immortel
Put façonner ta formidable symétrie ?"
William Blake, Les chants de l'expérience


Extraits : 
"Opération vent printanier, murmurais-je
- Un nom charmant, n'est-ce pas, pour une chose aussi horrible, dit-il. La Gestapo avait demandé un certain nombre de Juifs entre seize et cinquante ans. La police française s'était montrée zélée, bien décidée à déporter un maximum de Juifs et pour cela avait aussi arrêté de petits enfants, ceux nés en France. Des enfants français." p. 81

"Les 16 et 17 juillet 1942, 13 152 Juifs furent arrêtés dans Paris et sa banlieue, déportés et assassinés à Auschwitz. Dans le Vélodrome d'Hiver qui s'élevait ici, 4 115 enfants, 2 916 femmes, 1 129 hommes furent parqués dans des conditions inhumaines par la police du gouvernement de Vichy par ordre des occupants nazis. Que ceux qui ont tenté de leur venir en aide soient remerciés. Passant, souviens-toi !" p.98

"Le gouvernement français travaillait de lui-même sur le projet depuis avril 1942, établissant la liste de tous les Juifs à arrêter. Plus de six mille policiers parisiens furent affectés à cette tâche. Au début, on avait choisi la date du 14 juillet. Mais c'est le jour où la France célèbre sa fête nationale. C'est pourquoi la date a été repoussée." p.97

Auteur : Tatiana De Rosnay
Éditions : Le livre de Poche
Date de parution : Mai 2008
Nombre de pages : 403 p.
Couverture : Ouka Leele / Agence Vu

Cannibale - Didier Daeninckx

De nos jours en Nouvelle Calédonie. Deux vieillards en jeep sont arrêtés par deux jeunes gens qui leur barrent la route. Alors que le vieillard noir demande à son ami blanc de repartir, son âge respectable force les jeunes à baisser les armes. Autour d’un thé, les jeunes apprennent alors avec surprise que le vieillard blanc n’est pas l’ennemi qu’ils croient. Que s’est-il passé en 1931 à Paris pendant l’exposition coloniale? C’est ce que vont découvrir Kali et Whatiock en écoutant l’histoire de Gocéné...

Inspiré de faits réels, ce roman de Didier Daeninckx relate un épisode peu glorieux de l’histoire coloniale française des années 1930. De cette France qui se divertit du spectacle bidon offert par des kanak abusés, on a gardé peu de souvenirs. Ce récit ressucite les traitements honteux infligés aux kanak lors de l’exposition coloniale. Réduits au rang d’animaux, ils ont été au prix de mensonges scandaleux, exposés dans des cages où pour distraire les visiteurs, ils mimaient des sauvages... On pouvait même lire sur la pancarte "cannibales anthropophages". Pourtant l’histoire nous prouve que les sauvages contrairement aux gens civilisés, tiennent leur promesses. Celle de Gocémé était de garder un oeil constant sur Minoé, sa promise. C’est donc au mépris de tout danger que ce dernier, accompagné de son cousin Badimoin, part à la recherche de sa bien-aimée qui a été envoyée au cirque de Francfort pour remplacer les crocodiles...

Sorte de conte philosophique, ce roman n’est pas dénué d’humour, ni de dérision. Tenant à peine sur une centaine de pages, cette mésaventure de Gocémé et des membres de son village laisse une trace indélébile dans l’histoire des kanak. Comme l’annonce la quatrième de couverture, ce récit met "en perspective les révoltes qui devaient avoir lieu un demi siècle plus tard en Nouvelle-Calédonie". Court et facile à lire, Cannibales saura émouvoir les lecteurs curieux de ce triste passé qui marque l’ère colonialiste française... 

Citation : "De quel droit mettez-vous des oiseaux dans les cages?
De quel droit ôtez-vous ces chanteurs aux bocages?
Aux sources à l’aurore, à la suée, aux vents?
De quel droit volez-vous la vie à ces vivants?" 
Victor Hugo

Note d’introduction : Les accords de Nouméa signés en 1998, ont officialisé le mot kanak et l’ont rendu invariable, soulignant la dimension paternaliste et coloniale du terme usuel canaque.


Extraits : "Tu vois, on fait des progrès : pour lui nous ne sommes pas des cannibales mais seulement des chimpanzés, des mangeurs de cacahuètes. Je suis sûr que quand nous serons arrivés près des maisons, là-bas, nous serons devenus des hommes." p.41

Titre : Cannibale

Auteur : Didier Daeninckx
Édition : Folio
Date de parution : Décembre 2009
Nombre de pages : 107 p.
Couverture : Photo collections Serge Kabou/AKG Paris

Pereira prétend - Antonio Tabucchi

Auteur: Antonio Tabucchi
Titre : Pereira prétend
Titre original : Sostiene Pereira
Collection : Domaine étranger
Traducteur : Bernard Comment
Editions : 10/18
Année de parution : 1998
Nombre de pages : 218 p.
Couverture : Place du Palais royal Lisbonne (détail)

Commentaire : Lisbonne. Eté 1938. Alors que le Portugal vit sous la dictature de Salazar, que la guerre civile gronde en Espagne et que le fascisme sévit en Italie, Pereira, est nommé directeur de la page culturelle du journal Lisboa. Pour l’aider dans sa tâche, ce triste personnage de santé fragile qui parle au portrait de sa défunte femme, fait appel aux services de Monteiro Rossi pour sa rubrique de nécrologie qui porte sur les écrivains "à mourir". Soudain bouleversée par cette rencontre, la vie de Pereira prend une tournure imprévue : rien ne se passe comme il le voudrait mais il n’a pas la force d’empêcher son destin de s’accomplir. Lui qui ne s’intéressait qu’à la traduction des romans français du XIXe siècle, le voilà embarqué dans des complots politiques dont il ne voulait rien savoir. De fil en aiguille, notre héros malgré lui, va apprendre au détriment de sa tranquilité, qu’être journaliste au Portugal pendant la dictature de Salazar, n’a rien d’un travail de routine. Obéissant à l’on ne sait quelle force incontrôlable, il découvre alors le pouvoir des journalistes et assume son rôle jusqu’au bout...


J’ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce récit. Le ton employé par Tabucchi résonne comme une espèce de plaidoyer que j’ai trouvé assez indigeste. Tout au long du roman, Tabucchi parle de Pereira en introduisant ses actions par « prétend Pereira » et l’on ne sait pas vraiment où il veut en venir. On découvre au fil du texte un personnage au premier abord quelconque, résigné voire même insignifiant et pourtant. Rien ne présage l’issue de l’histoire. Et la note de l’auteur à la fin du livre justifie soudain toute la raison de ce roman. On en ressort déconcerté, touché, ému. Si ce Pereira a vraiment existé comme le "prétend" ce roman de Tabucchi, alors moi je dis : vive Pereira quel que soit le nom qu’il ait vraiment porté. Un roman pour moi vraiment inattendu et une bien jolie découverte...


Anecdote : En 1995, le protagoniste du roman Pereira prétend, devient un symbole pour l’opposition de gauche à Silvio Berlusconi, le magnat de la presse.

Extraits : "Il dit : la philosophie donne l’impression de seulement s’occuper de la vérité, mais peut-être ne dit-elle que des fantaisies, et la littérature donne l’impression de s’occuper seulement de fantaisies, mais peut-être dit-elle la vérité." p.33


"Oui, dit Pereira, mais s’ils avaient raison, ma vie n’aurait pas de sens, ça n’aurait pas de sens d’avoir étudié les lettres à Coimbra et d’avoir toujours cru que la littérature était la chose la plus importante du monde, ça n’aurait pas de sens que je dirige la page culturelle de ce journal de l’après-midi où je ne peux pas exprimer mon opinion et où je dois publier des récits du dix-neuvième siècle français, plus rien n’aurait de sens, et c’est de cela que je ressens le besoin de me repentir, comme si j’étais une autre personne et non le Pereira qui a toujours été journaliste, comme si je devais renier quelque chose." p. 126


"C’est facile objecta le docteur Cardoso, de toute façon il y a la censure préventive, chaque jour avant de sortir les épreuves de votre journal passent à travers l’imprimatur de la censure préventive, et s’il y a quelque chose qui ne va pas, vous pouvez être tranquille que ce ne sera pas publié, peut-être qu’ils laisseront une espace blanc, ça m’est déjà arrivé de voir des journaux portugais avec de grands espaces blancs, cela inspire une grande rage et une grande mélancolie." p. 132


"Vous êtes en conflit avec vous-même dans cette bataille qui agite votre âme, vous devriez abandonner votre surmoi, le laisser s’en aller à son destin comme un détritus." p. 161


"Excusez-moi, monsieur le directeur, répondit Pereira avec componction, mais bon, je voulais vous dire une chose, à l’origine nous étions lusitaniens, puis nous avons eu les Romains, les Celtes, puis nous avons eu les Arabes, alors quelle race pouvons-nous célébrer, nous portugais?" p. 190

Fahrenheit 451 - Ray Bradbury

Nul n’est besoin de présenter encore cette oeuvre anthologique du roman d’anticipation / de science-fiction ? Publié en 1953 sous forme de feuilleton, ce roman fait encore et toujours des émules. Et pour cause : les questions soulevées par Bradbury constituent des bombes à retardement qui menacent, si l’on n’y prend pas garde, d’exploser. Les "autodafés" de livres sont des manifestations récurrentes de l’histoire car, "source de questionnements et de réflexion", les livres symbolisent la mémoire de l’humanité. Bien que Farenheit 451 ne reflète pas la réalité, il propose une vision pessimiste de l’avenir qui trouve un écho puissant parmi les amateurs de lecture : et si lire faisait vraiment des lecteurs de dangeureux criminels ? Ce roman renvoie aux inquiétudes de l’auteur vis-à-vis du maccarthysme des années 1950 et la censure que l’on connait de nos jours a joyeusement pris son relai. Si la lecture est un acte subversif, peu importe si les pompiers ne brûlent pas encore les livres : le fait que Bradbury l’ait  imaginé dans ce roman, a prévenu les hommes de cette catastrophe. En ce sens, Farenheit 451 est un roman universel.


J’ai lu ce livre lorsque j’étais adolescente et j’en ai gardé un excellent souvenir. Aussi, lorsque la blogosphère a remis cette lecture au goût du jour, j’en ai profité pour découvrir cette édition introduite avec pertinence par Jacques Chambon (2000). Relire ce roman après des années, n’a rien enlevé à sa puissance : l’inquiétant message qu’il délivre plane sur notre civilisation. Encore une fois, comme le dirait Bradbury, "il y a plus d’une façon de brûler un livre" : celle qui correspond à notre époque est la censure. Mais au delà de ces considérations, Chambon rapelle qu’il est surtout "question de l’impérialisme des médias, du grand décervelage auquel procèdent la publicité, les jeux, les feuilletons, les informations télévisées". (p. 12/13 de la préface). Et si brûler un livre revenait simplement à "rendre les gens incapables de lire par atrophie de tout intérêt pour la chose littéraire, paresse mentale ou simple désinformation" ? p.13 Voilà une question qui méritait d’être posée. Heureusement, nous sommes encore nombreux à défendre les intérêts de la lecture et le livre est loin d’être mort, mais si vous deviez n’"être" qu’un seul livre, lequel incarneriez-vous ? 

Extraits : "Eh bien Montag, croyez-moi sur parole, il m’a fallu en lire quelques-uns dans le temps, pour savoir de quoi il retournait : ils ne racontent rien! Rien que l’on puisse enseigner ou croire. Ils parlent d’êtres qui n’existent pas, de produits de l’imagination, si ce sont des romans. Et dans le cas contraire, c’est pire, chaque professeur traite l’autre d’imbécile, chaque philosophe essaie de faire ravaler ses paroles à l’autre en braillant plus fort que lui. Ils courrent dans tous les sens, mouchant les étoiles et éteignant le soleil. On en sort complètement déboussolé." p.91


"- Personne n’écoute plus. Je ne veux pas parler aux murs parce qu’ils me hurlent après. Je ne peux pas parler à ma femme ; elle écoute les murs. Je veux seulement quelqu’un qui écoute ce que j’ai à dire. Et peut-être que si je parle assez longtemps, ça finira par tenir debout. Et je veux que vous m’appreniez à comprendre ce que je lis." p. 114


"Les livres n’étaient qu’un des nombreux types de réceptacles destinés à conserver ce que nous avions peur d’oublier. Ils n’ont absolument rien de magique. Il n’y a de magie que dans ce qu’ils disent, dans la façon dont ils cousent les pièces et les morceaux de l’univers pour nous en faire un vêtement." p.115

"Les bons écrivains touchent souvent la vie du doigt. Les médiocres ne font que l’éffleurer. Les mauvais la violent et l’abandonnent aux mouches." p. 115


"Vous avez peur de commettre des erreurs. Il ne faut pas. Les erreurs peuvent être profitables. Sapristi, quand j'étais jeune, je jetais mon ignorance à la tête des gens. Et ça me valait des coups de bâtons. Quand j'ai atteint la quarantaine, mon instrument émoussé s'était bien aiguisé. Si vous cachez votre ignorance, vous ne recevrez pas de coups mais vous n'apprendrez rien." p.142

Dédicace : "Celui-ci est dédié avec reconnaissance à Don Congdon »


Citation : "Si l’on vous donne du papier réglé, écrivez de l’autre côté". Juan Ramon Gimenez


Quatrième de couverture : "451 degrés Farhenheit représentent la température à laquelle un livre s’enflamme et se consume. Dans cette société future où la lecture, source de questionnement et de réflexion, est considérée comme un acte anti-social, un corps spécial de pompiers est chargé de brûler tous les livres dont la détention est interdite pour le bien collectif. Le pompier Montag se met pourtant à rêver d’un monde différent, qui ne bannirait pas la littérature et l’imaginaire au profit d’un bonheur immédiatement consommable. Il devient dès lors un dangeureux criminel, impitoyablement pourchassé par une société qui désavoue son passé."

Titre : Fahrenheit 451
Auteur : Ray Bradbury
Éditions : Folio
Collection : SF
Date de parution : Février 2010
Traducteur : Jacques Chambon et Eric Roubillaud
Préface : Jacques Chambon
Nombre de pages : 213 p.
Couverture : Photos de Masao Mukai & Syata Tokitsume (Photonica)