Ce recueil m’a agréablement surprise : Mary Shelley, qu’on connaît surtout pour son Docteur Frankenstein (écrit en 1816 alors qu’elle n’a que 19 ans), demeure fidèle à son style romanesque. On retrouve ici tous les thèmes qui lui sont chers, comme l’amour, la mort, le sens du devoir, la culpabilité et la mélancolie. Ces 4 récits, bien que courts, sont bien construits et obéissent à une logique romanesque intransigeante. Les héros sont tous victimes d’un dilemne inextricable qui ne peut trouver de réponse que dans le sacrifice ou le déni de soi. Les histoires sont parfaitement maîtrisées et le style fluide, quoique parfois trop romantique à mon goût, ont tout pour plaire aux amateurs du genre.
L’endeuillée (p.13 - p.55) :
"Un souvenir fatal, un chagrin qui répand
Son ombre blafarde sur nos jours et nos peines
Que la vie ne peut alléger ni assombrir,
Ne connaissant ni le baume de la joie, ni l’acuité de la douleur. » Moore
Qui
est donc cette femme triste et mystèrieuse qui vit à l’écart du monde
dans la forêt? Quel lourd secret cache donc Ellen derrière son air
affable et ses yeux mélancoliques? C’est ce qu’Horace Neville va nous
dévoiler au fil de l’histoire.
La transformation (p.56 - p.92) :
"Dès lors mon corps fût déchiré
D’une torture atroce,
Qui me forçat de raconter l’histoire,
Et j’en fus délivré.
Depuis, à une heure incertaine,
Cette torture revient;
Et tant que ne finit pas ma terrifiante histoire,
Mon coeur dans ma poitrine brule." Coleridge (La ballade du vieux marin)
Il
est de ces secrets qu’il est impossible d’emporter dans la tombe. Tel
est celui de ce prince gênois qui nous raconte sa terrible histoire. Ce
mythe de Faust revisité par Mary Shelley, est de loin celui que j’ai
préféré de ce recueil : court et sans fioritures, cette nouvelle
peut-être inspirée du célèbre conte populaire allemand, fricote
habilement avec le fantastique.
Le rêve (p.93 - p.122) :
"Chi dice mal d’amore
Dice una falsità." Chanson italienne
La
comtesse de Villeneuve est déchirée entre l’amour qu’elle porte à
Gaspard, l’assassin de son père, et son sens du devoir qui lui commande
de se retirer au couvent. Lors d’un étrange rêve qu’elle fait sur la
couche de sainte Catherine, la comtesse découvre la réponse à ses
questionnements. Cette courte légende évoque une pratique religieuse
fantaisiste que j’ai trouvé interessante : pour celle qui souhaite
recevoir une réponse céleste à ses tourments, il faut passer une nuit
sur un promontoire escarpé appelé la couche de Sainte Catherine perché
au dessus de la Loire. Si la personne ne tombe pas dans le fleuve
pendant son sommeil, les événements qui lui apparaissent en songe
peuvent être interprétés comme une réponse de Dieu. Ce test de la couche
de Sainte Catherine, probablement imaginé par Mary Shelley, reprend
l’histoire de la sainte martyre, qui serait morte décapitée sur les
instances du roi, à qui elle refusa le mariage.
L’immortel mortel (p.123 - p.151) :
Cette
histoire est celle d’un homme désespéré dont la vie n’a plus de sens :
depuis 323 ans qu’il vit, il ne trouve pas de repos éternel à son âme.
Avant de mettre fin à ses jours, il raconte son histoire, celle du
mortel immortel. Empreinte de l’esprit imaginatif typique de Mary
Shelley, cette nouvelle révèle encore une fois, l’aisance avec laquelle
l’auteure sait manier les ingrédients du récit fantastique.
Auteur : Mary Shelley
Éditeur : José Corti
Collection : Romantique N°39
Date de parution : 1993
Traduction et introduction : Liliane Abensour
Nombre de pages : 151 p.
Contenu : L’endeuillée (1830); Transformation (1831); Le rêve (1832); L’immortel mortel (1834)
Citation de l’introduction : "C’est de part en part une fantaisie, elle s’avance sur une arrête pas plus large qu’une lame de couteau, d’un pas de somnambulique. C’est au fond ce qui se produit dans cette création littéraire ».
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