Ces trois nouvelles (Le journal d'un fou, Le portrait et La perspective Nevsky), toutes extraites du recueil Arabesques,
inspirent un sentiment étrange. Le lecteur est rapidement absorbé dans
des dimensions troublantes où la frontière entre réalité et imaginaire
s'efface. Cette ingéniosité avec laquelle Nicolas Gogol
envisage la folie, a fait de lui, l'un des maîtres de la littérature
fantastique russe. A lire sa biographie, on est évidemment tenté de se
demander si ce talent ne lui est pas inspiré par les troubles
psychologiques dont il souffre lui-même ? Toujours est-il qu'il sonde à
merveille l'esprit humain et les parts sombres qu'il recèle. Les
personnages qui animent ces récits, souvent attachants mais néanmoins
névrosés, révèlent ce que nous cachons tous un peu en nous. Et Gogol
sait si bien le mettre en scène, qu'il s'en dégage une ambiance
inquiétante digne des plus remarquables plumes de la littérature
fantastique telles que celle d'Allan Edgar Poe, Prosper Mérimée ou
encore Théophile Gauthier. C'est un peu comme si Gogol étalait au grand
jour, la part de folie et de pensées absurdes qui ne manquent pas
parfois, de traverser nos esprits (en tous cas, le mien). Cette acuité
avec laquelle il le fait, me fait dire qu'il n'y a pas de fous. Seuls
existent les malades... ou les génies.
Le journal d'un fou
Popritchine
est un fonctionnaire, dont le travail est de tailler des plumes pour le
Directeur du Ministère. Amoureux de Sophie, la fille dudit Directeur,
notre héros tient un journal intime. Jusqu'au jour où, en proie à des
violentes hallucinations, il s'imagine entendre le chien de la jeune
fille parler. Voilà, il a sombré dans la folie. Et son journal en
devient à juste titre, celui d'un fou. Il se prend pour Avksenty
Ivanovitch, conseiller titulaire puis devient carrément Ferdinand VIII,
Roi d'Espagne, torturé par l'Inquisition... Excellent, je ne trouve pas
d'autre mots pour qualifier ce Journal d'un fou. Gogol, en une trentaine de pages seulement, plonge son lecteur dans un monde où "demain, à sept heures, il se produira un événement étrange : la terre se posera sur la lune."p.31 Et Popritchine de déclarer que : "La lune, d'ordinaire, se fabrique à Hambourg, et fort mal (...) p.31. C'est
un tonnelier bancal qui l'a faite, et l'on voit bien que cet imbécile
n'a aucune idée de la lune. Il y a mis un cordage goudronné et de
l'huile de bois ; c'est de là que provient sur toute la terre cette
puanteur terrible qui nous oblige à nous boucher le nez. C'est pour cela
aussi que la lune est une sphère si délicate que les hommes n'y peuvent
vivre et que maintenant elle est habitée uniquement par des nez. Voilà
pourquoi nous ne pouvons apercevoir notre propre nez car tous les nez
sont dans la lune."p.32 Si bien qu'il déboule dans la salle du Conseil en s'écriant : "Messieurs, sauvons la lune car la terre veut s'asseoir dessus."p.32 Ce texte est tout simplement génial.
Le portrait
Tcharkov,
jeune peintre pauvre mais prometteur, achète par hasard, un tableau
fascinant représentant un Moudjik au regard troublant. Cette acquisition
fera à son insu sa fortune et sa célébrité. Mais à quel prix ? Le thème
du portrait "aux pouvoirs magiques" a parfaitement été exploité par de
nombreux auteurs (voir par exemple Le Portrait Ovale, Le portrait de Dorian Gray). Mais la version proposée par Gogol est maîtrisée et le tableau parfaitement envoûtant.
La perspective Nevsky
Piskariov
et Pirogov suivent deux jeunes femmes dans la rue. Ce récit est celui
de leur troublante rencontre avec les dames en question sur la célèbre
artère piétonne de Saint-Pétersbourg que représente la perspective
Nevsky, avec sa faume et toutes ses particlarités.
Texte étrange, La perspective Nevsky, ce texte n'est pas dénué d'intérêt même s'il reste celui que j'ai le moins aimé.
Je
n'avais jamais lu d'oeuvre de Gogol et me voilà conquise. Non
seulement, la littérature fantastique m'intéresse, mais en plus, les
thèmes traités m'ont passionnée (folie, art, notamment). Je me lancerai
donc volontiers dans la lecture d'autres textes de l'auteur.
Titre : Le journal d’un fou suivi de Le portrait et de La perspective Nevsky
Auteur : Nicolas Gogol
Traducteur : Boris Schloezer
Editions : Librio
Date de parution : Mai 2010 et 1968 chez Flammarion
Nombre de pages : 119 p.
Couverture : Alexis Lemoine. Editions J’ai lu
Nicolas GOGOL est l'un des auteurs russes des plus dérangeants en matière d'écriture; si dans ses écrits comme dans ses nouvelles pétersbourgeoises, il surprend vraiment son lecteur par ses véritables extravagances; ce dernier ne sait plus quoi penser: cette forme d'écriture est-elle une véritable création ou une véritable provocation ? Cette pratique , sous tend sans nul doute une très grande liberté dans l'écriture ; elle devient une véritable source esthétique de l’œuvre en elle-même.
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