Publié en 1899 chez Fasquelle pour sa première édition, Le jardin des supplices est un assemblage raisonné de divers articles rédigés entre 1892 et 1898 par Octave Mirbeau et publiés dans divers journaux (Le journal ou l'Echo de Paris).
Pour les besoins du roman, l'auteur a retravaillé et restructuré ses
textes de façon à proposer un ensemble cohérent. Il y dénonce la
violence de la société et accuse l'Armée, l'Eglise, la Justice et
l'Administration de n'être que des instiutions monstrueuses destinées à
tromper les hommes. Le roman paraît d'ailleurs pendant une période
politique trouble marquée par l'Affaire Dreyfus.
Mirbeau en profite pour dénoncer la bêtise des hommes. Ironie (voir
dédicace de l'auteur), subversion et lyrisme, tels sont les armes
utilisées par le pamphlétaire pour critiquer cette France et plus
largement, cette Europe occidentale qui s'essoufle et s'étiole. Notons
cependant que le combat de Mirbeau ne se situe pas seulement au niveau
idéologique : conciliant son sens de l'esthétique au dégoût de ses
contemporains corrompus, l'auteur condamne la société européenne, en
mettant en exergue l'hypocrisie de ses dirigeants et en établissant une
comparaison avec les supplices pratiqués en Chine. De ces deux cultures
dont l'une est censée être civilisée et l'autre réputée barbare,
laquelle est-elle vraiment la plus cruelle et injuste ?
Michel Delon,
spécialiste de la littérature du siècle des lumières et plus
particulièrement de l'histoire des idées, déclare dans son excellente
préface, que l'oeuvre de Mirbeau est indissociable du contexte politique
de l'époque et il conseille de "lire de tels propos pour comprendre
l'attitude d'un Mirbeau qui, réciproquement, fait de la Chine en même
temps l'antithèse et la métaphore de l'Europe." p.17. Je partage vivement cet avis et cet extrait de la quatrième de couverture du livre : "Le
jardin des supplices n'est pas seulement le catalogue de toutes les
perversions dans lesquelles s'est complu l'imaginaire de 1900. L'ouvrage
exprime aussi l'ambiguïté de l'attitude d'un Européen libéral, mais
Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu'on n'appelait pas
encore le Tiers-Monde." confirme cette idée. L'auteur n'a pas à mon
sens, décrit les supplices pour fustiger la cruauté sophistiquée des
chinois mais bien pour mettre en lumière la pourriture de la société à
laquelle il appartient.
Ainsi, le roman se décompose en plusieurs parties : la première, intitulée Frontispice, relate une soirée mondaine lors de laquelle s'affrontent verbalement des académiciens, des écrivains, des savants et autres intellectuels au sujet des meurtres et de leurs motivations. Intervient pendant cette discussion un homme à la figure ravagée, qui décide de partager son expérience. En mission, la deuxième partie du roman, raconte comment cet homme envoyé en mission à Ceylan par son protecteur corrompu, rencontre Clara, une anglaise à la beauté vénimeuse, amoureuse de la Chine : "L'Europe et sa civilisation hypocrite, barbare, c'est le mensonge (...) Vous demeurez, lâchement attaché à des conventions morales ou sociales que vous méprisez, que vous condamnez, que vous savez manquer de tout fondement... C'est cette contradiction permanente entre vos idées, vos désirs et toutes les formes mortes, tous les vains simulacres de votre civilisation qui vous rend tristes, troublés, déséquilibrés..." p.133. La dernière partie du roman, Le jardin des supplices, décrit le voyage du narrateur en Chine où, initié par la terrrible Clara, il visite le macabre jardin des supplices...
Malgré l'assemblage d'éléments disparates, Mirbeau réussit à donner une belle cohérence à son oeuvre. Bien que les trois parties soient rédigées dans un style différent, elles s'emboîtent bien et donnent un sens étrange à l'ensemble du roman. La troisième partie dans laquelle l'auteur donne libre cours à son lyrisme (emploi à outrance des champs lexicaux des cinq sens pour décrire le jardin des supplices), se distingue nettement des deux autres parties. On se perd parfois dans les noms des plantes et au détour d'un sentier fleuri et parfumé, on est brutalement ramené à l'inhumanité des sévices pratiqués sur les bagnards chinois. La luxuriance et la beauté des plantes tranchent volontairement avec la pourriture des cellules et la sècheresse des condamnés, pour mieux souligner la médiocrité des pratiques européennes : "- C'est que l'art ne consiste pas à tuer beaucoup... à égorger, à massacrer, exterminer en bloc, les hommes... C'est trop facile, vraiment... L'art, milady, consiste à savoir tuer, selon des rites de beauté dont nous autres Chinois connaissons seuls le secret divin... Savoir tuer !... Rien n'est plus rare, et tout est là... Savoir tuer !... C'est à dire travailler la chair humaine, comme un sculpteur sa glaise ou son morceau d'ivoire... en tirer toute la somme, tous les prodiges de souffrance qu'elle recèle au fond de ses ténèbres et de ses mystères... Voilà ! Il faut de la science, de la variété, de l'élégance, de l'invention... du génie, enfin... Mais, tout se perd aujourd'hui... Le snobisme occidental qui nous envahit, les cuirassés, les canons à tir rapide, les fusils à longue portée, l'électricité, les explosifs, que sais-je?... Tout ce qui rend la lort collective, administrative, bureacratique... toutes les saletés de votre progrès, enfin... détruisent peu à peu nos belles traditions du passé... p.207. Poussant le vice jusqu'à comparer les pratiques chinoises à de l'Art, Mirbeau dérange, Mirbeau provoque. Certains passages sont d'ailleurs d'une cruauté épouvantable mais le message de Mirbeau est clair : l'Europe de la fin de siècle est fatiguée. Il s'agit de la réveiller...
Comme vous l'aurez compris, Le jardin des supplices m'a fascinée. Enfin, j'ai découvert que ces auteurs qui m'ont toujours attirée, appartiennent à ce mouvement littéraire du décandentisme ou littérature décadente. Huysmans, Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, ces auteurs que j'ai lu sans faire le lien avec ce mouvement littéraire, m'apparaissent désormais sous un jour nouveau. Cette édition (Folio Classique) m'a apporté de riches informations sur la littérature de cette fin de siècle (avec un retour documenté sur l'Affaire Dreyfus). Le dossier en fin d'ouvrage présentant la bibliographie de Mirbeau, la notice ainsi que les notes en fin de livre, constituent autant d'éléments de compréhension du contexte historique de l'époque, qui m'encouragent à me pencher sur cette période de l'histoire de la France. Je terminerai enfin avec cet extrait qui selon moi, illustre bien la pensée de Mirbeau : "Alors, peu à peu, ma pensée se détache du jardin (...). Elle voudrait franchir le décor de ce charnier, pénétrer dans la lumière pure, frapper, enfin, aux Portes de la vie... Hélas ! Les portes de la vie ne s'ouvrent jamais que sur la mort... Et l'univers m'apparait comme une immense, comme un inexorable jardin des supplices (...). Ce que j'ai vu aujourd'hui, ce que j'ai entendu, existe et crie et hurle au delà de ce jardin, qui n'est plus pour moi qu'un symbole, sur toute la terre... J'ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part..." p. 249. Et bien sûr, je recommande cette lecture à tous les curieux...
Extraits :
Dédicace :Ainsi, le roman se décompose en plusieurs parties : la première, intitulée Frontispice, relate une soirée mondaine lors de laquelle s'affrontent verbalement des académiciens, des écrivains, des savants et autres intellectuels au sujet des meurtres et de leurs motivations. Intervient pendant cette discussion un homme à la figure ravagée, qui décide de partager son expérience. En mission, la deuxième partie du roman, raconte comment cet homme envoyé en mission à Ceylan par son protecteur corrompu, rencontre Clara, une anglaise à la beauté vénimeuse, amoureuse de la Chine : "L'Europe et sa civilisation hypocrite, barbare, c'est le mensonge (...) Vous demeurez, lâchement attaché à des conventions morales ou sociales que vous méprisez, que vous condamnez, que vous savez manquer de tout fondement... C'est cette contradiction permanente entre vos idées, vos désirs et toutes les formes mortes, tous les vains simulacres de votre civilisation qui vous rend tristes, troublés, déséquilibrés..." p.133. La dernière partie du roman, Le jardin des supplices, décrit le voyage du narrateur en Chine où, initié par la terrrible Clara, il visite le macabre jardin des supplices...
Malgré l'assemblage d'éléments disparates, Mirbeau réussit à donner une belle cohérence à son oeuvre. Bien que les trois parties soient rédigées dans un style différent, elles s'emboîtent bien et donnent un sens étrange à l'ensemble du roman. La troisième partie dans laquelle l'auteur donne libre cours à son lyrisme (emploi à outrance des champs lexicaux des cinq sens pour décrire le jardin des supplices), se distingue nettement des deux autres parties. On se perd parfois dans les noms des plantes et au détour d'un sentier fleuri et parfumé, on est brutalement ramené à l'inhumanité des sévices pratiqués sur les bagnards chinois. La luxuriance et la beauté des plantes tranchent volontairement avec la pourriture des cellules et la sècheresse des condamnés, pour mieux souligner la médiocrité des pratiques européennes : "- C'est que l'art ne consiste pas à tuer beaucoup... à égorger, à massacrer, exterminer en bloc, les hommes... C'est trop facile, vraiment... L'art, milady, consiste à savoir tuer, selon des rites de beauté dont nous autres Chinois connaissons seuls le secret divin... Savoir tuer !... Rien n'est plus rare, et tout est là... Savoir tuer !... C'est à dire travailler la chair humaine, comme un sculpteur sa glaise ou son morceau d'ivoire... en tirer toute la somme, tous les prodiges de souffrance qu'elle recèle au fond de ses ténèbres et de ses mystères... Voilà ! Il faut de la science, de la variété, de l'élégance, de l'invention... du génie, enfin... Mais, tout se perd aujourd'hui... Le snobisme occidental qui nous envahit, les cuirassés, les canons à tir rapide, les fusils à longue portée, l'électricité, les explosifs, que sais-je?... Tout ce qui rend la lort collective, administrative, bureacratique... toutes les saletés de votre progrès, enfin... détruisent peu à peu nos belles traditions du passé... p.207. Poussant le vice jusqu'à comparer les pratiques chinoises à de l'Art, Mirbeau dérange, Mirbeau provoque. Certains passages sont d'ailleurs d'une cruauté épouvantable mais le message de Mirbeau est clair : l'Europe de la fin de siècle est fatiguée. Il s'agit de la réveiller...
Comme vous l'aurez compris, Le jardin des supplices m'a fascinée. Enfin, j'ai découvert que ces auteurs qui m'ont toujours attirée, appartiennent à ce mouvement littéraire du décandentisme ou littérature décadente. Huysmans, Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, ces auteurs que j'ai lu sans faire le lien avec ce mouvement littéraire, m'apparaissent désormais sous un jour nouveau. Cette édition (Folio Classique) m'a apporté de riches informations sur la littérature de cette fin de siècle (avec un retour documenté sur l'Affaire Dreyfus). Le dossier en fin d'ouvrage présentant la bibliographie de Mirbeau, la notice ainsi que les notes en fin de livre, constituent autant d'éléments de compréhension du contexte historique de l'époque, qui m'encouragent à me pencher sur cette période de l'histoire de la France. Je terminerai enfin avec cet extrait qui selon moi, illustre bien la pensée de Mirbeau : "Alors, peu à peu, ma pensée se détache du jardin (...). Elle voudrait franchir le décor de ce charnier, pénétrer dans la lumière pure, frapper, enfin, aux Portes de la vie... Hélas ! Les portes de la vie ne s'ouvrent jamais que sur la mort... Et l'univers m'apparait comme une immense, comme un inexorable jardin des supplices (...). Ce que j'ai vu aujourd'hui, ce que j'ai entendu, existe et crie et hurle au delà de ce jardin, qui n'est plus pour moi qu'un symbole, sur toute la terre... J'ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part..." p. 249. Et bien sûr, je recommande cette lecture à tous les curieux...
Extraits :
- Prendre quelque chose à quelqu'un et le garder pour soi, àa c'est du vol... Prendre quelque chose à quelqu'un et le repasser à un autre, en échange d'autant d'argent que l'on peut, ça, c'est du commerce... Le vol est d'autant plus bête qu'il se contente d'un seul bénéfice, souvent dangeureux, alors que le commerce en comporte deux, sans aléas... p.76
- Chère Clara, objectais-je..., est-il naturel que vous recherchiez la volupté dans la pourriture et que vous meniez le troupeau de vos désirs s'exalter aux horribles spectacles de la douleur et la mort?... N'est-ce point là, au contraire, une perversion de cette Nature dont vous invoquez le culte, pour excuser, peut-être, ce que vos sensualités ont de criminel et de monstrueux ?...
- Non ! fit Clara, vivement... puisque l'Amour et la Mort, c'est la même chose !... Et puisque la pourriture, c'est l'éternelle résurrection de la Vie... Voyons... p.163
Ce n'est pas de mourir qui est triste... c'est de vivre quand on n'est pas heureux... p.220
Aux prêtres, aux Soldats, aux Juges,aux Hommes,qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommesje dédieces pages de Meurtre et de Sang
Titre : Le jardin des supplices
Auteur : Octave Mirbeau
Editions : Folio
Collection : Classique
Date de parution : Janvier 2011 (1988 chez Gallimard pour la première parution)
Présentation et annotations : Michel Delon
Nombre de pages : 338 p.
Couverture : Photographie anonyme 1907
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