Comme pour beaucoup de romans autobiographiques,
Pleure, Ô Reine de Saba raconte une enfance meurtrie, une expérience amère, une révolte, un combat. Aidée de Charles Hoots, son mari, Khadija Al-Salami dévoile grâce à ce roman, un pays aux mystères insoupçonnés. Par l'évocation de ses souvenirs et par la retranscription de nombre de ses entretiens, elle remonte jusqu''au Yémen de ses ancêtres. L'
Arabia Felix ou
Arabie heureuse dont elle dévoile quelques secrets, recèle de coutumes, croyances et traditions ancestrales dont certaines perdurent encore dans le Yémen moderne. Les djambéyas, les tribus montagnardes, les cheikhs, le désert, les villages perchés... toutes ces images fantasmées du pays prennent corps dans ce livre et comblent maladroitement notre mal d'exotisme. Et puisqu'il n'y a aucun intérêt à raconter une vie heureuse, le lecteur s'attend en ouvrant le livre à un témoignage difficile. Le Yémen de la Reine de Saba n'est plus depuis longtemps. Celui de Khadija Al-Salami est dur et caractéristique d'un pays en plein bouleversement : les enjeux politiques qui ont façonné le pays depuis la colonisation ottomane, ont fait de l'Arabia Félix, un territoire aux enjeux géopolitiques divers et variés.
Sharaf (honneur),
diyas (somme d'argent versée en compensation de la mort de quelqu'un),
thar (vengeance d'un meurtre), toutes ces valeurs qui nous sont inconnues, régissent encore les décisions de la plus haute importance au Yémen : les cheikhs et les imams occupent un rôle décisif dans la gouvernance du pays et en font une mosaïque politique où tradition, culture et modernité doivent apprendre à cohabiter...
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Sana'a - 2008 |
Femme au caractère bien trempé, Khadija Al-Salami témoigne avec ingénuité de son histoire. Être une femme émancipée au Yémen suppose une grande volonté et une ténacité à toute épreuve : le poids des traditions et des coutumes, la peur du qu'en dira t-on, l'honneur de la famille, toutes ces valeurs véhiculées depuis la nuit des temps, empoisonnent la vie des femmes au Yémen. Le statut de la femme yéménite est le même qu'il y a des décennies : les mariages arrangés (Khadija Al-Salami est mariée de force à 11 ans), l'accès à l'éducation, le travail des femmes, toutes ces questions qui ont jusque maintenant été tranchées par les hommes, apparaissent désormais sous un jour différent. Et si les femmes avaient elles aussi leur mot à dire ? C'est ce que je retiendrai de ce touchant récit de Khadija Al-Salami. Bien que je n'ai pas particulièrement accroché à son écriture (peut-être en raison de son approche naïve et en raison d'autre chose je ne saurai m'expliquer),
Pleure, Ô Reine de Saba, donne d'excellentes clés de compréhension du Yémen moderne : de l'histoire politique et de la formation du pays actuel (colonisation ottomane du milieu du 19e siècle, occupation britannique de la ville d'Aden, guerre entre le Yémen et l'Arabie saoudite, guerre civile du Yémen de 1962 à 1970, guerre entre Yémen du Nord et Yémen du Sud, unification du pays en 1990), les références ne manquent pas et les anecdotes sont passionnantes.
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Village près de Sana'a - 2008 |
Mais au delà de ses ressources historiques et culturelles, ce roman a une résonnance toute particulière à mes yeux en raison de mon séjour au Yémen (2008). J'y ai entrevu un point de vue très différent de mes propres perceptions et des images que je m'étais construites du pays. Et ainsi que l'on s'enrichit intellectuellement en se frottant à l'intelligence d'autrui, j'ai trouvé un intérêt certain à cette lecture. Le seul point sur lequel j'ai trouvé peu d'éléments, concerne la religion. Contrairement à toute attente, le roman n'évoque que très rarement cette question, qui semble pourtant primodiale quand il s'agit de la liberté des femmes dans un pays tel que le Yémen où la loi islamique (ou charia) est instituée. Mais peu importe, ce livre, très accessible, se prête facilement à une lecture de curiosité. Personnellement, ce roman m'a rappelé des gens, des images, des chants, des odeurs..., bref tout un imaginaire, toutes ces choses qui font la richesse du Yémen et dont je garde un souvenir impérissable... Je remercie d'ailleurs ماريون qui est venue me voir au Yémen au moment où j'y étais et qui m'a offert ce livre quelques années après mon retour en France.
Khadija Al-Salami est en général plus connue pour son travail de cinéaste : parmi ses titres, on retiendra
Le Cri, documentaire qui montre la mobilisation des femmes yéménites suite au soulèvement contre le régime de 2011.
Extraits :
Personnellement, je ne veux pas me voiler, expliquais-je. Alors, je ne me voile pas. Mais beaucoup de femmes ont envie de porter le voile. C'est une tradition qui ne leur pose pas de problèmes ; ce n'est pas quelque chose dont elles aspirent à être libérées. Les femmes yéménites qui viennent en Europe sont tout aussi choquées de voir comment les femmes s'habillent ici. Il ne leur viendrait jamais à l'idée de sortir en mini-jupe et en chemisier sans manches, par exemple. Au Yémen, il y a tant de choses qui libéreraient les femmes infiniment plus que l'abandon du port du voile. p.430
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Pleure, Ô Reine de Saba ! : Histoires de survie et d'intrigues au Yémen.
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