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Gardien de camp - Dantsig Baldaev

Ancien officier du ministère de l'intérieur et membre de la milice soviétique, Danzig Baldaev a constitué entre 1943 et 1989, un hallucinant corpus de dessins consacrés à l'univers concentrationnaire soviétique (planches de tatouages de détenus et planches de vignettes décrivant les conditions de détention au goulag). Objet rare et singulier que cet album : empruntant au récit-témoignage, à la fiction, au komiksy (bande-dessinée en russe) et au documentaire, Gardien de camp est le résultat d'un processus de création complexe qui n'a pas encore trouvé toutes ses explications. Ainsi que le suggèrent Luba Jurgenson et Élisabeth Anstett dans leur analyse introductive, cette oeuvre est susceptible d'ouvrir la voie vers de nouvelles recherches passionnantes. En effet, outre le fait que le travail de Baldaev témoigne d'une réalité extrêmement violente et peu admise ou connue du goulag (conditions de détention et conditions de vie, codes et pratiques), il permet aux deux spécialistes de nous en livrer quelques clés de compréhension à travers plusieurs pistes d'études : le positionnement de l'auteur par rapport à son oeuvre (L'album du gardien), l'album en tant qu'objet graphique (L'album : un objet soviétique ?), la portée ethnographique des informations clandestinement collectées par Baldaev (Le Goulag comme culture), la valeur documentaire au regard de l'espace géographique du système concentrationnaire soviétique (Des territoires infâmes), le traitement obsessionnel du corps à travers l'image (Corps vivant - Corps mort) et la frontière brouillée entre témoignage et récit (Questions autour du témoignage et du récit). Cette contextualisation des travaux de Baldaev est en réalité indispensable pour une bonne appréhension de ce livre. Sans celle-ci, l'album perd beaucoup de son intérêt et peut tout simplement tourner au voyeurisme. Regroupement thématique des images, traduction complète, annotations, bibliographie, publication parallèle du fac-similé de l'album originalement conçu et cédé par Baldaev à Roberte Hamayon, les choix éditoriaux opérés par les Éditions des Syrtes apportent à Gardien de camp une plus-value inestimable si l'on met de côté l'information purement visuelle que donne l'ouvrage. J'ai eu l'occasion de consulter rapidement Drawing from the Goulag édités en 2010 en anglais aux éditions Fuel qui proposent quelques-unes des mêmes illustrations reproduites dans Gardien de camp et j'avais éprouvé un certain malaise à observer ces images qui me paraissaient dépourvues d'une réelle démarche historique (je précise quand même que je n'ai pas lu tous les textes d'accompagnement de l'ouvrage). Aussi, grâce aux efforts conjoints des chercheuses et de l'éditeur, je conviens que nous tenons avec ce titre, un document rare qui je l'espère, saura alimenter et stimuler de nouvelles réflexions sur le sujet...


Pour en venir aux détails mêmes du travail de Baldaev, notons que l'album tel qu'il a été offert par l'auteur à Roberte Hamayon, se compose pour certaines planches, de décorations travaillées en scrapbooking. Détail incongru qui me fait penser que Baldaev envisage sa production comme une oeuvre artistique alors même qu'il souhaite la revendiquer comme témoignage historique. En ceci, le positionnement de l'auteur par rapport à son oeuvre m'a fortement dérangé et je rejoins complètement Luba Jurgenson et Élisabeth Anstett lorsqu'elles se demandent : "Au nom de qui prend-il la parole et énonce t-il la vérité de son récit, au nom du bourreau, de la victime ou du simple spectateur ?" (p.10). Si les deux maîtres de conférence y voient le désir de l'auteur de "s'inscrire dans une filiation intellectuelle et savante" et de "rendre possible la transmission d'un savoir professionnel sur les camps", et je partage ces hypothèses, je ne suis pas convaincu pour ma part que Baldaev ait complètement mesuré toute la portée de ses travaux. Mu par sa passion pour le dessin, l'homme l'était indéniablement mais je ne crois pas qu'il maîtrisait véritablement son positionnement au regard de son oeuvre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'intention de l'oeuvre est si difficile à saisir. Pour moi, Baldaev se passionnait pour le dessin et il trouvait tout simplement au camp un prétexte pour donner corps à son art sans pour autant aller plus loin dans sa démarche documentaire mais peut-être me trompé-je ? En tous cas, c'est l'idée que j'en ai et je serais ravi d'avoir des retours sur la question. Ceci dit, quel que soit son positionnement, Baldaev laisse derrière lui un corpus graphique précieux pour au moins deux raisons : la première permet de nourrir les recherches relatives à l'étude des symboles et de codes des criminels russes. La seconde donne matière à réfléchir sur le régime concentrationnaire de l'ex-URSS. Même si Gardien de camp propose des images violentes, il s'agit d'un beau livre à découvrir. Attention toutefois :  cette lecture est réservée à un public averti.






































Si vous souhaitez découvrir d'autres publications de Baldaev, je vous conseille de lire les 3 volumes de
Russian Criminal Tattoo Encyclopaedia édités par Fuel. Par contre, le coffret qui est désormais collector, coûte la bagatelle de 950 $. Soyez donc très très très sages pour Noël si vous caressez l'envie de les avoir à votre disposition !

Enfin, je voudrais remercier chaudement les Éditions Des Syrtes pour ce superbe ouvrage gagné dans le cadre de l'Opération Masse Critique organisée par Babelio. Et j'applaudis des deux mains le travail de l'éditeur dont la ligne éditoriale repose sur "l'exigence de ses choix, accentuée par l'indépendance intellectuelle et financière." En somme, de belles promesses de lecture en perspective...



Détails bibliographiques


  • Titre : Gardien de camp
  • Auteur : Dantsig Baldaev
  • Traducteur : Luba Jurgenson
  • Sous-titre : Tatouages et dessins du Goulag
  • Éditeur : Éditions des Syrtes
  • Sous la direction de : Élisabeth Anstett et Luba Jurgenson
  • Date de parution : Octobre 2013
  • Nombre de pages : 74 p.
  • ISBN : 9782940523023
  • Crédits photographiques : Illustration 1 : Série de tatouages de  bagues. p. 15 de l'album
  • Illustration 2 : Bousilles (tatouages non professionnels dans la langue des criminels). p.14 de l'album

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