Avec sa bouche lippue et ses allures grotesques, le Dracula d'Alberto Breccia n'a rien du vampire fascinant et ténébreux. Ses mésaventures improbables pétries d'humour et d'ironie sous-tendent pourtant une colère froide qu'une mise en contexte par le préfacier Carlos Sampayo permet de comprendre : "En 1982 et en Argentine, Alberto Breccia entreprit de dessiner sa version personnelle de Dracula ; il devait terminer un an plus tard, en synchronisme parfait avec la dernière période de la dictature militaro-financière qui avait mis le pays à genoux pendant sept ans. Encore que seul l'avant-dernier épisode faisait directement allusion à la férocité de cette organisation d'assassins, la totalité de cette oeuvre constitue la risposte personnelle de Breccia à la situation que vivaient à l'époque les argentins, dont le principal antagoniste était précisément le sang." (extrait de la préface). Travail donc engagé que cette bande-dessinée du talentueux dessinateur argentin. Entre autres situations cocasses, Dracula se bat contre Superman ou fait la rencontre d'Edgar Poe et de son corbeau. Ainsi les cinq histoires tragi-comiques imaginées par Alberto Breccia (La dernière nuit du carnaval, Latrans canis non admortet, Un coeur doux et éploré, Je ne suis plus une légende et Poe ?... Puaf !) parodient-elles subtilement sous des couverts de bande-dessinée humoristique, tous les despotes de la planète. Grâce à cet ouvrage, La dictature militaire argentine (1976-1983) personnifiée par le ridicule vampire de Breccia a donc trouvé un visage : celui d'un monstre caricatural toujours surpris la main dans le sac...
Dessiner la dictature en la dénonçant sans un mot (l'album est en effet totalement exempt de texte !), voilà un tour de force merveilleusement réussi par Alberto Breccia. Les planches superbes parlent d'elles-mêmes. Les dessins presque enfantins distillent ouvertement sur chaque planche des détails funèbres ou accablants qu'on ne peut pas ignorer et qui "trahissent" l'intention de Breccia. Donc à ceux qui seraient tentés de croire que ce livre relève de la littérature jeunesse, je confirmerai que ce livre ne se destine pas nécessairement à un jeune public. Quant à son traitement graphique, Breccia s'offre même le luxe d'une somptueuse mise en couleur comme s'il voulait conjurer le sombre sort des 30 000 desaparecidos arrêtés ou tués durant la sale guerre d'Argentine (drôle d'expression quand on y pense : avez-vous connaissance de guerres propres ?). Le style adopté ici par le dessinateur (Breccia a produit d'autres oeuvres qui n'ont aucun rapport. Cf. L'éternaute du même auteur) peut déplaire pour ses traits naïfs, grossiers ou ultra caricaturés. De mon point de vue, nous tenons avec ce Dracula une oeuvre de qualité qui convainc à la fois par ses illustrations et son intention. C'est divertissant, parfois drôle et paradoxalement léger. Bref, c'est à lire !
Quel dommage qu'Alberto Breccia ne soit plus. Cette belle mise en bouche me frustrerait presque tant j'ai aimé ce travail et que je sais qu'il ne publiera plus de nouvelles bandes-dessinées. L'éminent illustrateur qui a enseigné à la Escuela Panamerica de Arte tout comme de Hugo Pratt, était comme le montre ses collaborations avec Oesterheld ou ses travaux sur les oeuvres d'Edgar Poe (cf. Le coeur révélateur mais aussi dans le même esprit Le chat noir de Horacio Lalia), Umberto Ecco ou Lovecraft, passionné par la littérature (il était en l'occurrence attiré par les mêmes auteurs que moi). Les tomes de sa série Perramus sont introuvables ou hors de prix. Cet effet de frustration me donne d'autant plus envie de les lire. Mais je vais pour l'instant me contenter de lire les titres disponibles. Soit dit en passant, si une âme charitable voulait bien me prêter (je dis bien prêter) ses exemplaires de Perramus, je le bénirai jusqu'à la 30e génération (bon, je sais, je peux toujours rêver)...
Sinon, je vous conseille de consulter le site de l'auteur. Vous y puiserez moultes informations le concernant (dossiers, interviews, bibliographie, vidéos, galeries...).
Sinon, je vous conseille de consulter le site de l'auteur. Vous y puiserez moultes informations le concernant (dossiers, interviews, bibliographie, vidéos, galeries...).
Si avec ça je ne vous ai pas donné envie de découvrir l'oeuvre de Breccia, ça voudrait dire que j'ai loupé mon compte-rendu. Plus sérieusement, si vous souhaitez vous procurer ce Dracula, rendez-vous sur Amazon via le lien suivant : Dracula.
Détails bibliographiques
- Titre : Dracula. Dracul, Vlad, bah...
- Auteur : Alberto Breccia
- Préface : Carlos Sampayo
- Éditeur : Les Humanoïdes Associés
- Date de parution : Octobre 1997
- Nombre de pages : 69 p.
- ISBN : 978-2-73161-105-7
- Crédits photographiques : © Alberto Breccia
bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour le renvoi vers le site www.alberto-breccia.net
Je m'efforce de rendre visible un maximum de dessins, peintures et autres documents relatifs à Alberto Breccia et cela fait toujours plaisir d'être relayé.
Quant aux bouquins que vous pouvez encore trouver dans le commerce, il y a les éditions Rackham qui ont réédité L'Eternaute il y a peu, et vous pouvez encore trouver en occasion Les mythes de Cthulhu, Cauchemars, Rapport sur les aveugles, Che, parfois Buscavidas, et puis Dracula et Le coeur révélateur dont vous avez parlé.
Bon courage à vous et merci d'avoir parlé d'Alberto Breccia !
Eric
Bonjour,
RépondreSupprimerC'est un plaisir pour moi que d'avoir découvert Alberto Breccia. J'apprécie particulièrement son travail et son interprétation artistique. Encore merci pour ce retour qui me fait plaisir et pour les informations transmises.
Au plaisir de vous relire un de ces jours et bonne continuation pour votre site !