Commentaire : Reprenant
une partie de son travail sur les origines de la chasse aux sorcières,
Robert Muchembled porte un regard original sur la question de la
représentation du diable en étudiant l'évolution de l'histoire sociale,
culturelle et intellectuelle de la société occidentale depuis le XIIe
siècle jusqu'à nos jours.
C'est avec la prudence qu'il convient aux chercheurs que Robert Muchembled nous propose Une histoire du diable.
Ainsi que l'historien l'explique dans son introduction, les références
en la matière sont si nombreuses qu'il est impossible de proposer une
étude exhaustive de toutes les représentations du diable qu'il nous est
donné à lire. Argumentant son analyse autour des manifestations
intellectuelles et culturelles qui ont durablement marqué le deuxième
millénaire en Occident, l'auteur décortique au long de son étude, la
littérature, la peinture, mais aussi le cinéma, la publicité et la BD.
Satan entre en scène
Ainsi le Diable n’a pas toujours eu l’image que nous avons de lui aujourd’hui. Son histoire est le résultat d’une longue évolution de la civilisation occidentale. Au Moyen Age, il n’avait pas d’identité définie et n’était guère effrayant. C’est avec l’explosion de la peinture qu’il commence à prendre forme avec l’apparition des bestiaires. On l’associe à toutes sortes d’animaux : du bouc au loup, il est folklorique. Ce n’est seulement qu’au XIIIe siècle que la religion lui donne son plus grand rôle en introduisant la notion de péché. Désormais la culpabilité devient un enjeu intellectuel qui contribue à asseoir l'image du diable.
La nuit du sabbat
C'est au XVe siècle avec l'apparition de la démonologie que le Diable fait peau neuve : la théorie du sabbat et la chasse aux sorcières nourris par le combat religieux contre l'hérésie associe les flammes de l'enfer à la femme. Satan n'est plus la bête qu'on s'imaginait : les élites occidentales l'associent au sexe et à la mort.
Le diable au corps
Après la chasse aux sorcières (XV et XVIe siècles), avec la période de la Renaissance qui s'accompagne d'une effervescence dans tous les domaines (peinture, sculpture, littérature, découverte du nouveau Monde), l'Occident asssiste aux premiers balbutiements des théories scientifiques qui bouleversent les ordres établis :
Littérature satanique et la culture tragique
Dès le mileu du XIIe siècle, la représentation du diable prend un nouveau tour avec la littérature satanique et la culture tragique : alors que la société occidentale construit peu à peu son imaginaire collectif, le rationalisme philosophique et les découvertes scientifiques tempèrent la peur du péché. On glisse vers la notion de culpabilité personnelle. Le diable perd alors de sa superbe.
Le crépuscule du diable, des classiques aux romantiques
Le siècle des philosophes met le diable à mal : alors que la notion de plaisir fait son chemin dans les milieux élitistes, la croyance démoniaque s'éloigne et c'est la littérature fantastique qui prend le relai avec le mouvement romantique. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, "le démon interieur commence lentement la conquête de la culture occidentale" p.248
Le démon intérieur
Entre le XIX et le XXe siècle, l'imagerie du démon se scinde : nous retrouvons d'un côté les américains puritains attachés à l'image religieuse du diable et de l'autre côté de l'Atlantique, les français plus laïques. Robert Muchembled constate un rapprochement entre les pays de Nord (Amérique, Allemagne, Belgique, Angleterre) et les pays latins (France, Espagne, Italie). On sent le clivage se creuser entre les cultures qui va profondémment marquer tous les arts nouveaux tels que la publicité, la BD et le cinéma.
Le plaisir ou la terreur
Le deuxième millénaire est associé à une culture du plaisir ou de la terreur légitimée par une idéologie du progrès et du bonheur. Cette culture qui s'exprime très différemment selon le pays, dissocie clairement la culture française de l'américaine. Les intérêts portés au diable et à ses représentations prennent une dimension complètement opposée d'un continent à l'autre. Alors que les américains expriment leur angoisse à travers la peur de l'envahisseur (apparition des comics américains, cinéma), le français peut-être protégé par les mesures sociales en place, aborde la culture du diable avec dérision (engouement pour les romans noirs, les BD...).
Conclusion
Très dense, cette analyse de Robert Muchembled m'a semblé ambitieuse. Les références ne manquent pas. Pourtant, couvrir l'histoire du diable de la culture occidentale du XIIe siècle à nos jours est un difficile exercice lorsque l'analyse se fait en 400 pages. Jusqu'au XIXe siècle, j'ai trouvé l'argumentaire pertinent et précis. Par contre, le glissement de l'étude vers les médias contemporains ne m'a pas convaincue : il aurait fallu pour cela consacrer un livre entier à chacun des chapitres du livre. Les liens établis entre l'héritage culturel, historique, religieux, sociologique, politique des pays abordés sont extrêment complexes et je ne partage pas les idées de l'auteur, notamment en ce qui concerne les deux derniers chapitres. En fait, je me demande si l'engouement pour les romans noirs, les films fantastiques, la recrudescence les légendes urbaines, etc... ont réellement un rapport avec le diable. Les références sont citées tout azimut et le lien entre les différentes formes d'expression autour du thème n'est pas toujours évident. Le monde occidental tel que nous le connaissons aujourd'hui est évidemment le résultat des constats fait par l'auteur, mais la fascination actuelle que connait la société occidentale pour les produits dérivés du diable ne semblent pas à mon sens forcément liés à l'inconscient collectif tel qu'il est abordé dans l'analyse. Bref, ce livre fourmille de références notables et d'anecdotes passionnantes mais le sujet ne se prête pas à un ouvrage si succinct.
Présentation de l’éditeur :Satan entre en scène
Ainsi le Diable n’a pas toujours eu l’image que nous avons de lui aujourd’hui. Son histoire est le résultat d’une longue évolution de la civilisation occidentale. Au Moyen Age, il n’avait pas d’identité définie et n’était guère effrayant. C’est avec l’explosion de la peinture qu’il commence à prendre forme avec l’apparition des bestiaires. On l’associe à toutes sortes d’animaux : du bouc au loup, il est folklorique. Ce n’est seulement qu’au XIIIe siècle que la religion lui donne son plus grand rôle en introduisant la notion de péché. Désormais la culpabilité devient un enjeu intellectuel qui contribue à asseoir l'image du diable.
La nuit du sabbat
C'est au XVe siècle avec l'apparition de la démonologie que le Diable fait peau neuve : la théorie du sabbat et la chasse aux sorcières nourris par le combat religieux contre l'hérésie associe les flammes de l'enfer à la femme. Satan n'est plus la bête qu'on s'imaginait : les élites occidentales l'associent au sexe et à la mort.
Le diable au corps
Après la chasse aux sorcières (XV et XVIe siècles), avec la période de la Renaissance qui s'accompagne d'une effervescence dans tous les domaines (peinture, sculpture, littérature, découverte du nouveau Monde), l'Occident asssiste aux premiers balbutiements des théories scientifiques qui bouleversent les ordres établis :
A une époque de transition entre la magie et la science, l'Occident produisait ses démons internes, en vue d'amorcer la conquête des espcaes mystérieux du microcosme corporel. p.146L'idée que le diable fasse partie de l'humanité de chacun fait son chemin.
Littérature satanique et la culture tragique
Dès le mileu du XIIe siècle, la représentation du diable prend un nouveau tour avec la littérature satanique et la culture tragique : alors que la société occidentale construit peu à peu son imaginaire collectif, le rationalisme philosophique et les découvertes scientifiques tempèrent la peur du péché. On glisse vers la notion de culpabilité personnelle. Le diable perd alors de sa superbe.
Le crépuscule du diable, des classiques aux romantiques
Le siècle des philosophes met le diable à mal : alors que la notion de plaisir fait son chemin dans les milieux élitistes, la croyance démoniaque s'éloigne et c'est la littérature fantastique qui prend le relai avec le mouvement romantique. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, "le démon interieur commence lentement la conquête de la culture occidentale" p.248
Le démon intérieur
Entre le XIX et le XXe siècle, l'imagerie du démon se scinde : nous retrouvons d'un côté les américains puritains attachés à l'image religieuse du diable et de l'autre côté de l'Atlantique, les français plus laïques. Robert Muchembled constate un rapprochement entre les pays de Nord (Amérique, Allemagne, Belgique, Angleterre) et les pays latins (France, Espagne, Italie). On sent le clivage se creuser entre les cultures qui va profondémment marquer tous les arts nouveaux tels que la publicité, la BD et le cinéma.
Le plaisir ou la terreur
Le deuxième millénaire est associé à une culture du plaisir ou de la terreur légitimée par une idéologie du progrès et du bonheur. Cette culture qui s'exprime très différemment selon le pays, dissocie clairement la culture française de l'américaine. Les intérêts portés au diable et à ses représentations prennent une dimension complètement opposée d'un continent à l'autre. Alors que les américains expriment leur angoisse à travers la peur de l'envahisseur (apparition des comics américains, cinéma), le français peut-être protégé par les mesures sociales en place, aborde la culture du diable avec dérision (engouement pour les romans noirs, les BD...).
Conclusion
Très dense, cette analyse de Robert Muchembled m'a semblé ambitieuse. Les références ne manquent pas. Pourtant, couvrir l'histoire du diable de la culture occidentale du XIIe siècle à nos jours est un difficile exercice lorsque l'analyse se fait en 400 pages. Jusqu'au XIXe siècle, j'ai trouvé l'argumentaire pertinent et précis. Par contre, le glissement de l'étude vers les médias contemporains ne m'a pas convaincue : il aurait fallu pour cela consacrer un livre entier à chacun des chapitres du livre. Les liens établis entre l'héritage culturel, historique, religieux, sociologique, politique des pays abordés sont extrêment complexes et je ne partage pas les idées de l'auteur, notamment en ce qui concerne les deux derniers chapitres. En fait, je me demande si l'engouement pour les romans noirs, les films fantastiques, la recrudescence les légendes urbaines, etc... ont réellement un rapport avec le diable. Les références sont citées tout azimut et le lien entre les différentes formes d'expression autour du thème n'est pas toujours évident. Le monde occidental tel que nous le connaissons aujourd'hui est évidemment le résultat des constats fait par l'auteur, mais la fascination actuelle que connait la société occidentale pour les produits dérivés du diable ne semblent pas à mon sens forcément liés à l'inconscient collectif tel qu'il est abordé dans l'analyse. Bref, ce livre fourmille de références notables et d'anecdotes passionnantes mais le sujet ne se prête pas à un ouvrage si succinct.
Après le succès de ses analyses sur la sorcellerie, Robert Muchembled explore dans cet ouvrage l’image du diable et des figures du Mal dans la civilisation occidentale du deuxième millénaire. Il ne s’agit pas d’une simple histoire de la représentation du diable mais d’une analyse originale et jusqu’à présent inédite des relations entre culture, image du corps, lien social et représentations du Mal. C’est l’ensemble des manifestations culturelles et intellectuelles de la société occidentale (littérature, cinéma, BD, peinture...) qui sont revisitées et réétudiées à travers le prisme de l’image du diable.
Auteur : Robert Muchembled
Titre : Une histoire du diable. XIIe-XXe siècle
Editions : Points
Collection : Histoire
Date de parution : Mars 2002
Nombre de pages : 404 p.
Couverture : L’homme sauvage, dessin de C.W.E. Dietrich (1712-1774), Musée du Louvre
Photo : RMN/Michèle Bellot
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