Comme tous ses congénères, Rouslan a été sélectionné pour faire partie de l'élite des gardiens du goulag. Son flair, sa prestance, sa persévérance à toute épreuve et son obéissance entêtée ont fait de lui l'un des meilleurs éléments du camp. Rouslan est un chien. L'un des meilleurs chiens de garde que le système concentrationnaire soviétique ait pu dressé : comme tous les autres, il a eu ses périodes de doutes, de colère et de révolte face à l'incohérence et l'absurdité des bipèdes mais la récompense de sa fidélité inébranlable vaut malgré tout la chandelle. Qu'importe les quelques brimades ou humiliations au regard du plaisir procuré au maître. Qu'importe les misérables punitions lorsque l'on a l'honneur de faire la fierté du service. Qu'importe enfin de n'être pas le plus dangereux ou le plus malin de tous lorsque l'on représente l'un des meilleurs garants de l'ordre et de la discipline. Pour Rouslan, rien n'est si exaltant que de pouvoir attaquer un détenu sur les ordres de son maître en guise de récompense. Sa vie aurait d'ailleurs été (presque) parfaite si ce n'était ce jour funeste où son maître, l'entraînant de l'autre côté des barbelés, ne l'avait rendu à la forêt. Que pouvait-il donc faire de cette soudaine liberté sans personne pour lui dicter des ordres ? Abandonné à un sort plus qu'incertain, Rouslan décide malgré tout d'attendre le retour du convoi des soldats pour retourner au Service...
Rouslan n'a beau être qu'un chien, il est pourtant doté d'une intelligence hors normes. En tous cas, c'est ce que penseraient la plupart des humains : il comprend vite, il sait se faire petit quand c'est le moment, il sait taire ses propres pensées, bref, il sait ce que veut son maître. N'en est-il pas le parfait prolongement exécutif ? C'est sûrement l'une des raisons pour lesquelles son maître lui pardonne parfois ce que nous humains, qualifierions de sautes d'humeur ou de caprices (après tout, les chiens ont tous une part de sauvagerie incontrôlable). Mais voilà, Rouslan est d'une fidélité extrême. C'est d'ailleurs l'une de ses plus grandes qualités hormis peut-être son apparente indifférence : "car la vérité et la clé même de l'énigme de Rouslan, ce n'était pas que le Service pût avoir tort en quoi que ce fût à ses yeux, c'était qu'il ne tenait pas ses brebis pour coupables, à la différence de Iéfréïtor et des autres maîtres." (p.188). Une fidélité écoeurante tant elle frise le fanatisme. Mais pourquoi donc cette obstination à obéir aux ordres, cette soumission idiote ? Au mépris de ses autres copains qui ont su s'adapter et tirer profit de leur situation comme Alma son ex-petite amie, Djoulbarss, le terrible chef de meute ou Trésor, peut-être le plus éclairé de tous, Rouslan n'a rien d'autre en tête que d'accomplir son devoir. A travers cette remarquable allégorie animalière, c'est ce que dénonce Gueorgui Vladimov. Cette lecture évoquera sans doute l'ombre du cruel Rudolph Hoess de Robert Merle (cf. La mort est mon métier) qui comme un chien fidèle au parti, est complètement obnubilé (ou abruti ?) par son sens du devoir...
Publié clandestinement pour la première fois en Allemagne en 1973 puis en France en 1978, ce roman de Gueorgui Vladimov dénonce violemment l'absurdité du système concentrationnaire russe. Pendant un temps attribué à la paternité d'Aleksandr Soljenitsyne, Le fidèle Rouslan qui ne devait être édité en Russie qu'après la Perestroïka (1985-1991), laisse un goût amer porté par un récit puissant et bouleversant. Prêtant ses mots et ses pensées au chien fidèle, Gueorgui Vladimov milite pour la liberté artistique. Sous la menace et la censure de l'époque, celui que les autorités russes considèrent comme dissident, est obligé de fuir l'Ukraine. Son combat pour la liberté d'expression sera couronnée par le succès du Fidèle Rouslan, une de ses oeuvres majeures. Et l'on ne pourra que se ranger à l'avis d'Owen Matthews qui confie dans son excellente préface : "En tant qu'auteur, Vladimov tenta de trouver un sens à ce monde absurde, sacrifié par les horreurs de l'ère stalinienne. En tant qu'activiste dissident, il cherchait à révéler au monde les hypocrisies et les absurdités de la vie soviétique. Et si, à l'inverse d'un Soljenitsyne, il ne connut pas le goulag à proprement parler, il eut à subir les horreurs du siècle russe jusque dans sa chair." (p.II).
Avec la réédition de ce chef d'oeuvre magnifique, c'est une lecture majeure que les éditions Belfond (collection Vintage) proposent de (re)découvrir. Un grand merci à elles et à Babelio pour ce roman que dont je ne peux que vous dire : "Lisez-le !". Du cinq étoiles, assurément !
N'hésitez pas plus lontemps et découvrez de toute urgence ce livre, en vente sur Amazon via le lien suivant : Le fidèle Rouslan.
Extraits
"Jamais, répondait-il, jamais un chien ne peut mordre un homme qui l'aime à la folie. Croyez-moi, je suis un vieux dresseur de chiens, un enfant de la balle en matière de cynologie, permettez-moi de vous dire, eh bien, il n'y a que l'homme qui soit capable d'une telle perversion." (propos de l'instructeur p.127)
"Si l'homme pouvait deviner le contenu des prières des chiens, il découvrirait la même plainte sempiternelle : la plainte d'un être souffrant de ne pouvoir ni pénétrer l'âme mystérieuse du bipède ni de discerner ses desseins immortels. Oui, l'animal comprend que l'homme est grand, et que sa grandeur va aussi loin dans le sens du bien que dans celui du mal ; mais il ne peut atteindre tous les sommets, tous les paliers avec lui, il doit fatalement s'arrêter quelque part en cours de route et se révolter." (p. 160)
Rouslan n'a beau être qu'un chien, il est pourtant doté d'une intelligence hors normes. En tous cas, c'est ce que penseraient la plupart des humains : il comprend vite, il sait se faire petit quand c'est le moment, il sait taire ses propres pensées, bref, il sait ce que veut son maître. N'en est-il pas le parfait prolongement exécutif ? C'est sûrement l'une des raisons pour lesquelles son maître lui pardonne parfois ce que nous humains, qualifierions de sautes d'humeur ou de caprices (après tout, les chiens ont tous une part de sauvagerie incontrôlable). Mais voilà, Rouslan est d'une fidélité extrême. C'est d'ailleurs l'une de ses plus grandes qualités hormis peut-être son apparente indifférence : "car la vérité et la clé même de l'énigme de Rouslan, ce n'était pas que le Service pût avoir tort en quoi que ce fût à ses yeux, c'était qu'il ne tenait pas ses brebis pour coupables, à la différence de Iéfréïtor et des autres maîtres." (p.188). Une fidélité écoeurante tant elle frise le fanatisme. Mais pourquoi donc cette obstination à obéir aux ordres, cette soumission idiote ? Au mépris de ses autres copains qui ont su s'adapter et tirer profit de leur situation comme Alma son ex-petite amie, Djoulbarss, le terrible chef de meute ou Trésor, peut-être le plus éclairé de tous, Rouslan n'a rien d'autre en tête que d'accomplir son devoir. A travers cette remarquable allégorie animalière, c'est ce que dénonce Gueorgui Vladimov. Cette lecture évoquera sans doute l'ombre du cruel Rudolph Hoess de Robert Merle (cf. La mort est mon métier) qui comme un chien fidèle au parti, est complètement obnubilé (ou abruti ?) par son sens du devoir...
Publié clandestinement pour la première fois en Allemagne en 1973 puis en France en 1978, ce roman de Gueorgui Vladimov dénonce violemment l'absurdité du système concentrationnaire russe. Pendant un temps attribué à la paternité d'Aleksandr Soljenitsyne, Le fidèle Rouslan qui ne devait être édité en Russie qu'après la Perestroïka (1985-1991), laisse un goût amer porté par un récit puissant et bouleversant. Prêtant ses mots et ses pensées au chien fidèle, Gueorgui Vladimov milite pour la liberté artistique. Sous la menace et la censure de l'époque, celui que les autorités russes considèrent comme dissident, est obligé de fuir l'Ukraine. Son combat pour la liberté d'expression sera couronnée par le succès du Fidèle Rouslan, une de ses oeuvres majeures. Et l'on ne pourra que se ranger à l'avis d'Owen Matthews qui confie dans son excellente préface : "En tant qu'auteur, Vladimov tenta de trouver un sens à ce monde absurde, sacrifié par les horreurs de l'ère stalinienne. En tant qu'activiste dissident, il cherchait à révéler au monde les hypocrisies et les absurdités de la vie soviétique. Et si, à l'inverse d'un Soljenitsyne, il ne connut pas le goulag à proprement parler, il eut à subir les horreurs du siècle russe jusque dans sa chair." (p.II).
Avec la réédition de ce chef d'oeuvre magnifique, c'est une lecture majeure que les éditions Belfond (collection Vintage) proposent de (re)découvrir. Un grand merci à elles et à Babelio pour ce roman que dont je ne peux que vous dire : "Lisez-le !". Du cinq étoiles, assurément !
N'hésitez pas plus lontemps et découvrez de toute urgence ce livre, en vente sur Amazon via le lien suivant : Le fidèle Rouslan.
Extraits
"Jamais, répondait-il, jamais un chien ne peut mordre un homme qui l'aime à la folie. Croyez-moi, je suis un vieux dresseur de chiens, un enfant de la balle en matière de cynologie, permettez-moi de vous dire, eh bien, il n'y a que l'homme qui soit capable d'une telle perversion." (propos de l'instructeur p.127)
"Si l'homme pouvait deviner le contenu des prières des chiens, il découvrirait la même plainte sempiternelle : la plainte d'un être souffrant de ne pouvoir ni pénétrer l'âme mystérieuse du bipède ni de discerner ses desseins immortels. Oui, l'animal comprend que l'homme est grand, et que sa grandeur va aussi loin dans le sens du bien que dans celui du mal ; mais il ne peut atteindre tous les sommets, tous les paliers avec lui, il doit fatalement s'arrêter quelque part en cours de route et se révolter." (p. 160)
- Titre : Le fidèle Rouslan
- Titre original : Vernyi Ruslan
- Auteur : Gueorgui Vladimov
- Éditeur : Belfond
- Collection : Vintage
- Préface : Owen Matthews
- Traducteur : François Cornillot
- Date de parution : Janvier 2014
- Date de parution originale : 1973 en Allemagne / 1978 en France
- Nombre de pages : 273 p.
- Couverture : Photo © Alex Williamson / Ikon Images / Corbis-Franco Vogt / Corbis
- ISBN : 978-2-7144-5664-9
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