Exceptionnellement, je reprendrai comme synthèse du livre la quatrième de couverture extraite de la conclusion pour présenter L'encre et le sang : "Casque d'Or et les apaches, Jules Bonnot et les premiers bandits en automobile, Fantômas, Rouletabille ou Zigomar, sans oublier les silhouettes inquiétantes qui s'agitent sur les écrans muets du cinématographe, la Belle Époque a donné naissance à une mythologie flamboyante. A l'aube de la Grande Guerre, en effet, la ferveur pour les récits de crimes devient un véritable phénomène de société. Tandis que la presse ouvre grand ses colonnes aux faits divers criminels et que triomphe la chanson de pègres, romans policiers et films de détectives attirent un public de plus en plus large, fasciné par un nouvel imaginaire fait d'empreintes sanglantes et de pas dans la neige, d'indices ténus et de cryptogrammes mystérieux." Entre faits divers, récits de crime et enquête, Dominique Kalifa, historien spécialiste du crime et de ses représentations, montre comment la fabrique du crime a stimulé tous les imaginaires : journalistes, faitdiverstistes, reporters et autres écrivaillons se sont engouffrés avec frénésie dans cette brèche ouverte. L'engouement des classes populaires pour ce nouveau genre littéraire devenu l'opium des peuples, a cependant engendré un véritable fait de société difficile à contenir. La montée en puissance du phénomène a bien sûr eu des conséquences néfastes sur la société. Désormais, la presse quotidienne, garante de l'information auprès de l'opinion publique, est devenue un acteur majeur du débat. Elle a aussi su profiter (voire abuser) de son pouvoir pour manipuler les masses au nom du devoir d'information. Les affaires criminelles dès lors largement relayées à la une des plus grands journaux quotidiens ont parfois nui aux investigations menées par la police et les magistrats. Les tensions entre métiers montrent bien l'enjeu de taille que représentait ce sujet brûlant : la sécurité publique est soudain apparue comme l'enjeu primordial de ces jeux d'influence et de pouvoir. Le débat public s'enflamme autour de ces nouvelles formes de narration qui apportent une nouvelle manière d'interpréter le monde. Mais qu'en est-il des lecteurs et amateurs du genre dans cet immense imbroglio ? Quelles sont les conséquences du phénomène sur la culture populaire et son évolution ? L'entre-deux siècles dépeint par Dominique Kalifa fourmille d'enjeux sociaux, culturels et politiques qu'il est passionnant de découvir sous le regard de l'historien...
L'encre et le sang s'impose comme un ouvrage de référence sur le sujet. Les innombrables références qui parsèment l'ouvrage offrent un fascinant voyage dans l'histoire criminelle de la Belle époque. Chaque fois qu'on a l'impression que l'auteur s'éloigne du sujet, on est ratrappé par un argumentaire solide et cohérent qui répond aux éventuels questionnements qui peuvent surgir à la lecture de l'analyse. C'est donc avec un plaisir renouvelé qu'on assiste à l'édification de l'imaginaire criminel et qu'on (re)part à la rencontre des plus grands personnages qui ont fait le succès du genre. Loin des développements pédants et indigestes, le style de Dominique Kalifa se veut accessible. Cela tombe bien puisqu'il est question de culture populaire ! Les références bibliograpiques et clins d'oeil quoique très abondants, raviront les passionnés d'Arsène Lupin, Zigomar, Fantômas, Cheri Bibi ou Rouletabille. Les amateurs cinéphiles trouveront également de captivants détails sur les premières productions de l'époque (notamment les films de Méliès) qui ont donné naissance à la censure cinématographique avec un film racontant l'affaire de la bande à Bonnot. D'autres encore y dénicheront encore des sources précieuses et variées sur l'histoire de la presse, celle de la criminologie ou les débats sur la peine capitale en France. En fait, cette étude doit se lire, se relire ou se consulter au gré des informations recherchées, un peu comme on utiliserait une encyclopédie ou un dictionnaire. C'est également un outil idéal pour faire des lectures croisées : l'ensemble du travail d'Albert Londres ou l'ouvrage Dans les archives secrètes de la police se prêtent par exemple très bien à ce genre de recoupements. Il y en a d'ailleurs bien d'autres si on reprend l'étude de Dominique Kalifa dans le détail.
Autre point notable : concernant le problème de la sécurité publique largement mise en avant dans les débats, on constate à cette lecture que les questions de fond ont assez peu évolué par rapport à notre époque (problèmes de moeurs, d'éthique ou de déontologie). Si les aspects formels ont changé et la censure peut-être moins intrusive, les problématiques demeurent les mêmes (question de la sécurité publique). Comme toujours dans ce genre de configuration, les lecteurs ont souvent la triste impression d'être pris en otage par les autorités publiques ou les puissants (la presse) dans des débats où l'opinion publique n'a finalement que peu de poids. Sur ce point, je rejoins complètement Dominique Kalifa qui pense qu'"entre le lire et le croire, s'immisce toute la distance des usages sociaux, le rire, l'indifférence autant que l'adhésion. Rétive, fragmentée, l'opinion est rarement réductible à une somme de lectures, fût-elle insistante, et le lecteur façonne sans doute davantage le récit qu'il n'est façonné par lui. S'ils sont propres à dramatiser et à renforcer les préjugés du public, ces récits n'ont guère les moyens d'entretenir de profondes inquiétudes auprès de lecteurs qui ne forment jamais une masse passive et soumise." (p.269). Et je persiste à croire que le public, en dépit de ce que l'on veut lui faire croire (jeunes ou vieux, personnes éduquées ou non, hommes ou femmes...), est tout à fait armé pour disposer de son libre arbitre. Qu'on arrête donc de vouloir penser à sa place !
Enfin, cet ouvrage est si dense qu'il est difficile d'aborder tous les points étudiés. Je ne peux donc que vous recommander de vous y frotter et de voir par vous-même ce qu'entend Dominique Kalifa à travers sa conclusion : "Si, comme l'estimait Durkheim, le crime se définit qu'au regard de la réprobation sociale, s'il est un facteur de la santé publique, voire un symptôme de progrès social, alors son récit n'est pas seulement un instrument de catharsis ou de diversion, il est un des modes essentiels de régulation dela conscience sociale et une forme active de pédagogie collective. Faisant du crime et de la délinquance des objets de terreur ou de fascination chaque jour un peu plus étrangers aux pratiques quotidiennes, enseignant la norme et diffusant le droit, légitimant l'autorité tout en instituant sur ses actes droit de regard et procédures de contrôle, ces récits disent aussi l'intégration croissane dans la rationalité policée de l'ordre industriel. A tous égards, ils sont bien ce qu'un contemporain inspiré qualifia à l'orée du siècle d'éffrayant miroir qui métamorphose les images en réalité." (p.304)
Si vous souhaitez à votre tour vous lancer dans cette plus que captivante lecture, notez que le livre est disponible sur Amazon via le lien suivant : L'Encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Epoque.
L'encre et le sang s'impose comme un ouvrage de référence sur le sujet. Les innombrables références qui parsèment l'ouvrage offrent un fascinant voyage dans l'histoire criminelle de la Belle époque. Chaque fois qu'on a l'impression que l'auteur s'éloigne du sujet, on est ratrappé par un argumentaire solide et cohérent qui répond aux éventuels questionnements qui peuvent surgir à la lecture de l'analyse. C'est donc avec un plaisir renouvelé qu'on assiste à l'édification de l'imaginaire criminel et qu'on (re)part à la rencontre des plus grands personnages qui ont fait le succès du genre. Loin des développements pédants et indigestes, le style de Dominique Kalifa se veut accessible. Cela tombe bien puisqu'il est question de culture populaire ! Les références bibliograpiques et clins d'oeil quoique très abondants, raviront les passionnés d'Arsène Lupin, Zigomar, Fantômas, Cheri Bibi ou Rouletabille. Les amateurs cinéphiles trouveront également de captivants détails sur les premières productions de l'époque (notamment les films de Méliès) qui ont donné naissance à la censure cinématographique avec un film racontant l'affaire de la bande à Bonnot. D'autres encore y dénicheront encore des sources précieuses et variées sur l'histoire de la presse, celle de la criminologie ou les débats sur la peine capitale en France. En fait, cette étude doit se lire, se relire ou se consulter au gré des informations recherchées, un peu comme on utiliserait une encyclopédie ou un dictionnaire. C'est également un outil idéal pour faire des lectures croisées : l'ensemble du travail d'Albert Londres ou l'ouvrage Dans les archives secrètes de la police se prêtent par exemple très bien à ce genre de recoupements. Il y en a d'ailleurs bien d'autres si on reprend l'étude de Dominique Kalifa dans le détail.
Autre point notable : concernant le problème de la sécurité publique largement mise en avant dans les débats, on constate à cette lecture que les questions de fond ont assez peu évolué par rapport à notre époque (problèmes de moeurs, d'éthique ou de déontologie). Si les aspects formels ont changé et la censure peut-être moins intrusive, les problématiques demeurent les mêmes (question de la sécurité publique). Comme toujours dans ce genre de configuration, les lecteurs ont souvent la triste impression d'être pris en otage par les autorités publiques ou les puissants (la presse) dans des débats où l'opinion publique n'a finalement que peu de poids. Sur ce point, je rejoins complètement Dominique Kalifa qui pense qu'"entre le lire et le croire, s'immisce toute la distance des usages sociaux, le rire, l'indifférence autant que l'adhésion. Rétive, fragmentée, l'opinion est rarement réductible à une somme de lectures, fût-elle insistante, et le lecteur façonne sans doute davantage le récit qu'il n'est façonné par lui. S'ils sont propres à dramatiser et à renforcer les préjugés du public, ces récits n'ont guère les moyens d'entretenir de profondes inquiétudes auprès de lecteurs qui ne forment jamais une masse passive et soumise." (p.269). Et je persiste à croire que le public, en dépit de ce que l'on veut lui faire croire (jeunes ou vieux, personnes éduquées ou non, hommes ou femmes...), est tout à fait armé pour disposer de son libre arbitre. Qu'on arrête donc de vouloir penser à sa place !
Enfin, cet ouvrage est si dense qu'il est difficile d'aborder tous les points étudiés. Je ne peux donc que vous recommander de vous y frotter et de voir par vous-même ce qu'entend Dominique Kalifa à travers sa conclusion : "Si, comme l'estimait Durkheim, le crime se définit qu'au regard de la réprobation sociale, s'il est un facteur de la santé publique, voire un symptôme de progrès social, alors son récit n'est pas seulement un instrument de catharsis ou de diversion, il est un des modes essentiels de régulation dela conscience sociale et une forme active de pédagogie collective. Faisant du crime et de la délinquance des objets de terreur ou de fascination chaque jour un peu plus étrangers aux pratiques quotidiennes, enseignant la norme et diffusant le droit, légitimant l'autorité tout en instituant sur ses actes droit de regard et procédures de contrôle, ces récits disent aussi l'intégration croissane dans la rationalité policée de l'ordre industriel. A tous égards, ils sont bien ce qu'un contemporain inspiré qualifia à l'orée du siècle d'éffrayant miroir qui métamorphose les images en réalité." (p.304)
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- Titre : L'encre et le sang
- Sous-titre : Récits de crimes et sociétés à la Belle Époque
- Auteur : Dominique Kalifa
- Éditeur : Fayard
- Date de parution : Octobre 1995
- Nombre de pages : 351 p.
- Couverture : © L'assiette au beurre de Benard Flageul, 8 septembre 1906
- ISBN : 2-213-59513-5
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