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La kabbaliste de Prague - Marek Halter

Nous sommes à la fin du 16e siècle dans un ghetto de Prague. Alors que la Renaissance italienne stimule les grandes découvertes et que les guerres de religions déchirent l’Europe, le MaHaRal décide pour mettre fin aux pogroms des juifs de Prague, de donner vie à Golem... Le kabbaliste de Prague relate cette histoire au travers du récit fictif de David Gans.

Tout commence par ce pacte scellé entre Isaac Cohen et Jacob Horowitz qui prévoit le mariage de leurs « futurs » enfants respectifs. Témoin de cette promesse insensée, David Gans, par respect pour ses amis, partage le secret. Seulement, rien ne se passe comme prévu : alors que la peste fauche un tiers de la population en Europe, seuls les juifs du ghetto de Prague semblent épargnés. Pour sauver sa petite fille de la colère des Gentils qui s’abbat sur le ghetto, le MaHaRal, grand-père d’Eva (fille d’Isaac) demande à David Gans de l’emmener en Cracovie. Entre le kabbaliste et la future promise d’Isaie (fils de Jacob) nait une immense complicité qui se mue en un amour impossible. Puis David Gans est envoyé en mission à l’étranger par le MaHaRal pour ramener le secret des étoiles au nouvel Empereur Rodolphe en échange de sa protection. De retour à Prague, après avoir rencontré Galileo Galilée (voir aussi La vie de Galilée de Berthold Brecht) et Tycho Brahé, David Gans retrouve Eva qui, pour échapper à la promesse de mariage avec Isaie, fuit Prague pour se marier avec Bachrach de Worms. Alors que la jeune fille est hantée par un dibbouq1 durant son exil, David Gans est de nouveau missionné le MaHaRal et Isaac pour la ramener. Mais le meurtre de Bachrach durant le voyage de retour à Prague précipite les événements : la menace de plus en plus oppressante des Gentils et le désespoir des habitants du ghetto poussent Eva à demander au MaHaRal de donner vie à Golem pour les protéger...

Mêlant réalité et fiction, ce roman se découpe en deux grandes parties : la première pose  lentement le contexte historique avec toutes les questions politiques, religieuses et scientifiques qu’il soulève. La seconde partie plus rythmée, s’attache de plus près à la légende du Golem. On découvre dans Le Kabbaliste de Prague de nombreux détails relatifs aux textes fondateurs du Judaïsme : de la Kabbale2 à la Torah3 en passant par le Talmud4, Marek Halter nous laisse entrevoir au travers de ce roman l’immense richesse de la tradition juive. D’anecdotes en citations, il nous ballade avec érudition dans le dédale des textes et des croyances juives mais certains sujets abordés tels que la Kabbale ou autre Zohar5 restent pour moi confus en raison de leur complexité. J’avais bien conscience en lisant le livre que je ne comblerai pas mon ignorance en la matière. Aussi, j’ai considéré le roman comme tel et cela m’a bien donné envie de m’intéresser plus amplement à ces questions. 

Les personnages sont par ailleurs bien étudiés : je me suis beaucoup attachée au MaHaRal pour son charisme et son caractère énigmatique. Malheureusement, Le kabbaliste de Prague n’emporte pas mon adhésion. La flagrante rupture entre la première et la deuxième partie du roman m’a génée. J’ai eu l’impression de lire deux romans et bien que j’ai découvert avec plaisir cet auteur, je n’ai pas vraiment été convaincue par le mélange mal dosé à mon sens, de réalité et fiction, légende et religion. Peut-être l’apprécierai-je mieux après une seconde lecture ? 

Extraits :
- Toi qui connais les mathématiques, sais-tu si une grosse peur plus une grosse peur équivaut à un petit courage ? p.70
Le temps 
Le temps, Isaïe. N’oublie jamais. Le chemin est fait de temps, et l’étincelle du divin est le feu de la patience. Ne préjuge pas de ce qui n’est pas accompli. p.139


Illustration d'un golem par Philippe Semeria. sur son front, le mot hébreu אמת qui signifie Vérité est un des Noms de Dieu

Golem
- Alors tu es comme eux ? Golem te fait peur car il te révèle à toi-même. Tu préfères croire qu’il est une chose ? - Il n’est pas une chose. Il est Golem. Il est né du Verbe. Seul celui qui possède la parole peut entendre le Verbe et devenir une créature de Dieu. Il est Golem. de la boue en forme d’homme à laquelle notre maître a soufflé ce qu’il faut d’existence pour que s’accomplisse sa volonté : nous défendre des massacreurs. - Tu t’exprimes comme mon père. C’est une sottise. Une sottise terrible qui montre combien vos coeurs sont fermés. p.250
- Cela vous semble trop farfelu pour que vous croyiez à la naissance de Golem par le seul souffle du Verbe ? Qu’il soit celui de Dieu ou du MaHaRal ? lui demandais-je. - Oh non ! Certainement pas. Je crois à votre Golem d’autant que j’en ai vu naître un en moi aussi. - Pardon ? - Que croyez-vous qu’ait été le prolétariat dans la pensée de Marx et de Lénine ? Rien d’autre qu’un nouveau Golem. Né du Verbe, comme vous dites et tout aussi bien que celui de votre MaHaRal ! p.276





Citation
Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connait car tu ne pourras t’égarer... Rabbi Nahman de Braslav

 Dédicace

A la mémoire de ce monde d’hier à jamais détruit et dont je m’efforce, de livre en livre, de préserver la lumière. Marek Halter
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1 Dibbouq : désigne l’attachement d’un esprit malin ou d’une mauvaise personne défunte, au corps d’un vivant. Le dibbouq représente la cohabitation d’un être humain avec une entité étrangère qui s’exprime par sa bouche et suscite détresse et trouble spirituel.

2 Kabbale : «  réception » ou  « tradition ». Désigne un courant mystique né en Espagne et en France méridionale au VIIIe siècle, avec le Zohar dû à Moïse de Léon et pieusement attribué à rabbi Shimon bar Yokhaï. La Kabbale qui joua non seulement un grand rôle dans la vie des communautés juives mais aussi dans le cercle des humanistes, connut un extraordinaire développement au XVIe siècle avec le MaHaRal de Pragueet Isaac Luria à Safed.


3 Torah : « enseignement ». Désigne les 5 premiers livres de la Bible hébraïque, d’où son appellation grecque « Pentateuque ». C’est le plus saints des textes sacrés du judaïsme et de son document fondateur. Il fut, selon la tradition, dicté par Moïse par Dieu sur le Mont Sinaï.


4 Talmud : « étude ». Compilation de la loi orale juive rédigée à Jerusalem et à Babylone entre le IIe et Ve siècle de notre ère. Il ya deux Talmuds. Le Talmud de Jérusalem et celui de Babylone, ce dernier étant le seul à faire autorité pour l’ensemble des juifs. Le Talmud comprend deux parties, le Misha et le Guemara, et se subdivise en Halaka (jurisprudence) et Haggadah (homilétique). Il est rédigé en hébreu et araméen.

5 Zohar : «  Livre de la splendeur ». Exégèse ésotérique de la Torah originellement attribué à rabbi Shimon bah Yokhaï (IIe) mais rédigé par Moïse de Leon entre 1270 et 1280. Il constitue le texte fondateur de la kabbale.

Définitions proposées dans le glossaire à la fin du livre (glossaire simplifié élaboré à partir du Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, éditions Cerf/Robert Laffont, collection « Bouquins », 2008.


Auteur  : Marek Halter
Titre : Le kabbaliste de prague
Editions : J’ai lu
Date de parution : 2011
Nombre de pages : 282 p.
Couverture : Miloslav Dvorak / Musée juif de Prague

Cent ans de solitude - Gabriel Garcia Marquez

Quelle fabuleuse épopée que celle de la famille Buendia ! Ce roman est un véritable chef d’oeuvre. Rédigé en 1965 et publié en 1967 en Argentine, Cent ans de solitude s’impose comme l’une des oeuvres majeure de la littérature hispano-américaine. 

Au commencement, José Arcadio Buendia et Ursula Iguarán, cousins de naissance se marièrent. Il eurent trois garçons au mépris de la légende qui leur prédisait une descendance à queue de cochon. Cent ans de solitude raconte l’histoire de cette étonnante famille et celle du village de Macondo. Le texte est tellement dense et les destins des personnages si complexes qu’il est difficile de résumer cette saga. Pour suivre le fil de l’histoire, la généalogie (ci-dessous) m’a été utile : tous les membres de la famille Buendia, portant tous le même prénom de génération en génération, il est difficile de ne pas se perdre entre les personnages (j’avais moi-même commencé à gribouiller un schéma pour m’y retrouver et voilà que je trouve une généalogie toute faite ! Merci Internet !).
Auteur : Franck Bellesteros

Tel le Dieu créateur, Gabriel Garcia Marquez a réécrit l’histoire à sa façon. Inspiré de faits historiques réels (massacre des bananeraies en 1928) mais parsemé d’événements surnaturels, ce récit des plus percutants, suscite les sentiments les plus variés mais aussi les plus forts. 

Les nombreux personnages sont si parfaitement habités et les liens qui les unissent sont si savamment tissés que l’on ne peut que reconnaître l’écriture d’un génie... L’amour, l’inceste, la mort mais surtout la solitude tels qu’ils sont abordés dans ce livre, ne laissent aucun doute sur le talent de "Gabo". Ce roman est véritablement une grande oeuvre de Littérature. A force d’en lire partout des critiques élogieuses, je me suis lancée malgré la peur d’être déçue. Bien m’en a pris : ce fut pour moi un grand coup de coeur...

Présentation de l’éditeur :
Une épopée vaste et multiple, un mythe haut en couleur plein de rêve et de réel. Histoire à la fois minutieuse et délirante d’une dynastie : la fondation par l’ancêtre, d’un village sud-américain isolé du reste du monde ; les grandes heures marquées par la magie et l’alchimie ; la décadence ; le déluge et la mort des animaux. Ce roman proliférant comme une enluminure, est à sa façon un Quichotte sud-américain : même sens de la parodie, même rage d’écrire, même fête cyclique des soleils et des mots. Cent ans de solitude compte parmi les chefs d’oeuvre du XXe siècle. L’auteur a obtenu le Prix Nobel de littérature.
Dédicace :
"Pour Carmen et Alvaro Mutis"

Auteur : Gabriel Garcia Marquez
Titre : Cent ans de solitude
Titre original : Cien anos de soledad
Traducteur : Claude et Carmen Durand
Editions : Points
Présentation : Albert Bensoussan
Date de parution : juin 2002
Nombre de pages : 437 p.
Couverture : Illustration Elisabeth Butterworth, Scarlet Macaw, 1984. DR

Le petit livre des couleurs - Michel Pastoureau

Pourquoi parle t-on de « romans à l’eau de rose » ? Pourquoi nos jeans sont-ils bleus ? Pourquoi les communistes ont-ils adopté la couleur rouge ? Pourquoi le dollar est-il vert ? D’où vient la couleur jaune des étoiles de David Le blanc et le noir sont-ils des couleurs ? Voilà des questions que nous nous sommes rarement posé. Et pourtant, les couleurs se sont imposées à nous au fil du temps sans crier gare : les roses rouges des amoureux, les tables vertes de jeux de hasard, les maillots jaunes des sportifs, les vêtements noirs du deuil ou encore la robe blanche des mariées en occident, tous ces codes ont un secret. Michel Pastoureau, historien anthropologue et spécialiste des couleurs, nous dévoile dans Le petit livre des couleurs leurs étonnants symboles.

Ainsi, le bleu représente t-il l’ordre et le conformisme (le timoré), le rouge le pouvoir (l’orgueilleux), le blanc l’innocence (le virginal), le vert le hasard (l’instable), le jaune l’infamie (le complexé), le noir l’élégance (comme le blanc, il a longtemps été banni de la palette officielle des couleurs). Mais quelle est l’origine exacte de ces couleurs ? Quels enjeux religieux, politiques, artistiques ou scientifiques cachent ces dernières ?

Publiés sous forme de feuilletons par l’Express en juillet et août 2004, les différents entretiens entre Michel Pastoureau et Dominique Simonnet présentés dans ce livre, ont été rassemblés sous forme de chapitres. L’étude des couleurs selon Pastoureau est des plus passionantes. A lire absolument...

Extrait :
Les couleurs ne sont pas anodines, bien au contraire. Elles véhiculent des codes, des tabous, des préjugés auxquels nous obéissons sans le savoir, elles possèdent des sens variés qui influencent profondémment notre environnement, nos comportements, notre langage et notre imaginaire. p.7
Ce n’est pas un hasard si nous voyons rouge, rions jaune, devenons blancs comme un linge, verts de peur ou bleus de colère... p.7
Une couleur, c’est une catégorie intellectuelle, un ensemble de symboles. p.112
  • Auteur : Michel Pastoureau
  • Titre : Le petit livre des couleurs
  • Editions : Points
  • Collection : Histoire
  • Date de parution : 2007
  • Nombre de pages : 121 p.
  • Couverture : Didier Gaillard 

La vie de Galilée - Berthold Brecht

Écrite en 1938 et publiée en 1955 pour la première fois, cette pièce de Berthold Brecht (1898-1956) nous donne à réfléchir sur le combat entre la science et le pouvoir. Cette biographie théâtrale de Galiléo Galilée (1564-1642) réflète à la perfection la position de Brecht et dénonce clairement l'obscurantisme imposé par l'Etat et l'Eglise à l'époque. Exilé au Danemark entre 1938 et 1939 (Brecht est en effet déchu de sa nationalité allemande par les nazis), l'auteur décide de raconter La vie de Galilée, cet éminent scientifique, contraint à la rétractation pour sauver sa science.  

Alors que la théorie de Nicolas Copernic (1473-1543) sur l'héliocentrisme bouleverse le géocentrisme défendu par l'Eglise, Galilée dans son sillage, essaie de démontrer et défendre sa théorie de la chute des corps. Contrairement à ce qu'Aristote et Ptolémée ont établi, la terre ne serait pas au centre de l'univers ! Ainsi que l'exlique le Galilée de Brecht : 
On avait toujours dit que les astres étaient fixés sur une voûte de cristal pour qu'ils ne puissent pas tomber. Maintenant nous avons pris courage et nous les laissons en suspens dans l'espace, sans soutien, et ils gagnent le large comme nos bateaux, sans soutien, au grand large. Et la terre roule joyeusement autour du soleil, et les poissonières, les marchands, les princes, les cardinaux et même le pape roulent avec elle.
Voilà qui n'était pas pour rejouir les religieux et les politiques : imaginez-vous, même les princes, les cardinaux et le pape roulent avec la terre ! 


Reflet fidèle des convictions de Brecht, cette pièce dénonce la censure dont il est l'objet mais plus largement, c'est au nom de la science que l'auteur s'insurge contre le monopole du pouvoir politique et économique et des dogmes religieux. Comme un message universel s'élevant contre cette hégémonie, Brecht, grande figure d'extrême gauche pour ses successeurs, ébranle les convictions et nous invite à la réflexion. De l'art de la démonstration, La vie de Galilée en est un bel exemple : art dialectique et personnages de marque, Brecht nous livre ici une pièce magistrale et résolument moderne que je recommande vivement.

Extraits :
"- Tu vois ! Qu'est-ce que tu vois ? Tu ne vois rien du tout. Tu écarquilles les yeux, c'est tout. Ecarquiller n'est pas voir." p.11

"- Tout le monde aujourd'hui met de la science dans son vin." p.16

"La mathématique est pour ainsi dire un art peu lucratif. Ce n'est pas que notre République ne l'estime pas par dessus tout. Elle n'est pas aussi nécessaire que la philosophie ni aussi utile que la théologie, mais elle procure il est vrai, aux connaisseurs des plaisirs infinis." p.17

"Devant les astres, nous sommes comme des vermisseaux aux yeux rongés de pleurs qui ne voient que très peu. Les vieilles théories auxquelles on a cru pendant 1000 ans sont devenues totalement vétustes." p.23

"Penser est un des plus grands divertissements de l'espèce humaine." p.36

"Que nous sommes périssables, nous le savons. Que le ciel l'est aussi, voilà ce qu'ils nous disent à présent. On pensait, et c'est écrit, qu'il y a le soleil, la lune, les étoiles, et que nous vivons sur terre ; mais désormais, la terre aussi est un corps céleste pour cet homme là. Il n'y a que des corps célestes. Un jour viendra où ils diront : il n'y a pas non plus l'homme et la bête, l'homme lui-même est une bête, il n'y a que des bêtes !" p.64

"C'est mon masque qui me permet aujourd'hui quelques libertés. Dans un tel costume, vous pourriez m'entendre murmurer : si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer." p.74

"Qui ne connait la vérité est un imbécile. Mais qui, la connaissant, la nomme mensonge, celui-là est un criminel !" p.86

Auteur : Berthold Brecht
Titre : La vie de Galilée
Titre original : Lebens des Galilei
Traducteur : Eloi Recoin
Editions : Editions de l'Arche
Date de parution : 1990
Nombre de pages : 137 p.

Les éthiopiques - Hugo Pratt

Les éthiopiques où l’on parle de la rencontre de Corto Maltese et de son ami Cush et de leurs aventures au pays de l’encens, du santal et du mimosa...

Comme vous le savez sans doute, dans le cadre de la rétrospective sur l’oeuvre d’Hugo Pratt proposée à la Pinacothèque de Paris, Babelio a lancé un challenge autour des itinéraires de Corto Maltese. Comme une piqûre de rappel à l’un de mes héros préférés, cela m’a donné envie de relire Les éthiopiques...

Ainsi que l’explique Didier Platteau dans son introduction à la BD, Les éthiopiques retracent la rencontre de Corto avec Cush, ce guerrier couchite dévoué à la cause du Mullah dans la Corne d’Afrique. Nous sommes entre 1916 et 1918 : alors que les puissances coloniales italienne, française, britannique et allemande occupent la Corne de l’Afrique, Corto Maltese débarque au Yémen, traverse la Somalie et l’Ethiopie pour finir sa course en Afrique orientale allemande (actuelle Tanzanie). Parti sur les traces d’Arthur Rimbaud qui a abandonné la poésie pour se convertir dans le trafic d’armes, notre héros fera la rencontre de personnages aux cultures diverses dont il deviendra un ami...

De tous les périples de Corto Maltese que j’ai lu, celui-ci a une résonnance particulière : ayant voyagé dans la Corne d’Afrique, j’ai tout comme Hugo Pratt et Corto Maltese, marché dans les pas de Rimbaud, notamment au Yémen à Aden où la légende voudrait qu’il ait fait du commerce de café dans l’un des hôtels aujourd’hui miteux de la ville. Les bergers, nomades ou chefs de tribus rencontrés lors de ces voyages m’ont toujours évoqué Les éthiopiques et c’est avec d’autant plus d’enthousiasme que je redécouvre Hugo Pratt au travers de cette oeuvre.


Extraits d’Une saison en enfer - Rimbaud
Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus le tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme faisaient ces chers ancêtres autour du feu. Je reviendrai avec des membres de fer, la peau sombre, l’oeil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal.
Malgré une narration très elliptique, les graphismes de Pratt ont de quoi me séduire, tout comme les répliques de vieux loup des mers de Corto. Je ne résiste d’ailleurs pas à la tentation d’en partager quelques unes :
- Corto, maudit bâtard infidèle, fils de scorpion.. La sourate  115 du « Maltese » n’existe pas dans le Coran. Il y en a 114...  Celle qui te concerne n’a pas encore été écrite.  - Ca va, ne te fâche pas, El Oxford, et puis ne me traite pas d’infidèle... A Malte, nous sommes tous un peu sarrasins. p.18
Ou encore :
- Comment oses-tu, chien infidèle?... Je suis Simbad le Marin et je vais où il me plaît, maudit écossais aux jambes tordues, fils d’une mangeuse de chardons ! p.36 
Et enfin, juste pour l’hommage au dessinateur :



Auteur : Hugo Pratt
Titre : Les éthiopiques
Editions : Casterman
Date de parution : 1978
Nombre de pages : 102 p.

Le loup des steppes - Hermann Hesse

Publié pour la première fois en 1927, ce roman qui a été interdit sous la période nazie, est l'une des oeuvres essentielles de Hermann Hesse. En partie autobiographique, Le loup des steppes est un roman initiatique qui emprunte son style à l'écriture romantique. Il raconte la crise existentielle que vit Harry, un cinquantenaire tiraillé entre son humanité et son animalité.  Cette édition proposée par le Livre de poche est introduite par une lettre de Hermann Hesse (1931) à l’un de ses détracteurs qui lui reproche que l’on ne peut vivre d’après les principes dont il s’est fait le défenseur. Le ton est donné et Hesse ne cherche pas à convaincre le lecteur : il propose une vision purement personnelle et ne l’impose pas comme une vérité. Largement introspectif, ce roman est marqué par une profonde détresse liée à une vision pessimiste du monde. En fait, la lecture de ce livre m'a évoqué une longue complainte qui aurait servi d'autoanalyse à l'auteur. La démarche est légitime et la comparaison avec le loup des steppes pertinente, malheureusement, Harry m'a ennuyée. Bien que Harry/Hesse défende des convictions parfaitement louables (fervent adversaire de son époque par rapport à la guerre, aux industriels et aux politiques...), l'histoire du loup des steppes ne m'a pas interpellée : je l'ai trouvée un brin moraliste malgré quelques passages intéressants. Pourtant le roman initiatique prend ici tout son sens : à travers la mise en scène de son théâtre magique, Hesse travaille des thèmes qui lui sont chers tels la philosophie et notamment le bouddhisme dont son roman est fortement imprégné (dualité omniprésente : homme/animal, vie/mort, amour/haine...). On retrouve également Goethe et Mozart pour qui l’auteur voue une admiration certaine et qui jouent le rôle de guide. Même si j’ai trouvé ce roman naïf, je l’ai aussi apprécié pour cette même raison. Non pas que j’aie aimé le personnage de Harry (celui-ci subit ce qui lui arrive et ne maîtrise aucunement les événements survenus) mais plutôt que j’ai saisi le malaise de Hesse à travers le roman et que je me suis davantage attaché à la personne qu’à l’auteur. Au final, voici un roman très personnel qui, je le conçois peut déplaire. Pour ma part, cette «  expérience spirituelle » n’a pas eu le même impact sur moi que sur Thomas Mann qui déclarait en 1927 que « Ce livre m’a réappris à lire ». Ce n’est pas pour moi un roman culte mais il faut l’avoir lu.

Le loup des steppes et la mort
"Parce que autrement, je n’aurais pas été autant effrayé par la mort que je désirais pourtant. Le malheur dont j’ai besoin et auquel j’aspire est autre. Il doit me rendre avide de souffrance et me faire mourir avec volupté. Voilà le malheur, le bonheur que j’attends." (p.218)

Hesse et sa vision du monde
"L’époque et le monde, l’argent et le pouvoir appartiennent aux êtres médiocres et fades. Quant aux autres, aux êtres véritables, ils ne possèdent rien, si ce n’est la liberté de mourir. Il en fut ainsi de tous temps et il en sera ainsi pour toujours." (p.223)

Détails bibliographiques 

  • Auteur : Hermann Hesse
  • Titre : Le loup des steppes
  • Titre original : Steppenwolf
  • Éditions : Livre de Poche
  • Traducteur : Alexandra Cade
  • Date de parution : 2009
  • Nombre de pages : 311 p.
  • Couverture : Max Oppenheimer, Anton von Webern (détail), 1909. Von der-Heydt Museum, Wuppertal