"Critiquant les religions révélées et refusant toute autorité aux églises, Rousseau en appelle à la religion naturelle, croyance raisonnable et raisonnée que chacun peut découvrir dans l'intimité de son coeur. Dans cette mesure, il exprime l'aspiration d'une bonne partie de ses contemporains à une religiosité tolérante. L'originalité de Rousseau consiste d'une part à attaquer l'institution ecclésiale au nom d'une foi authentique, d'autre part à aborder la question religieuse en se demandant moins à quel savoir qu'à quel espoir l'homme peut prétendre". Ainsi que le présente cet extrait de la 4e de couverture, La profession de foi du vicaire savoyard traite de la religion dans le sens large du terme. Rousseau montre plus qu'il ne démontre : son approche est en ceci novatrice qu'elle aborde la religion avec une sensiblité exempte de toute considération théologique. Sa profession de foi n'est pas passée inaperçue à sa sortie en 1762. Le texte intégré au livre IV de L'Émile a été interdit à sa sortie et Rousseau poursuivi. Pour le philosophe suisse, la foi ne peut se nourrir de dogmes. Elle trouve sa source en soi. Si ce principe déjà abordé par d'autres auteurs comme Voltaire ou Diderot n'a rien de nouveau, la polémique prend une tournure particulière avec l'analyse de Rousseau : d'après Bruno Bernardi "la problématique religieuse n'apparaît pas au premier plan dans l'oeuvre de Rousseau, parce que sa réflexion porte sur l'humanité, son histoire, la société et les effets qu'elle produit en l'homme. Il y a d'une part Dieu comme auteur de l'univers, de l'autre la religion civile ; entre les deux, rien, ou fort peu." (p.27). D'où le principe de la religion naturelle qui repose sur la morale universelle et qui se distingue clairement de la puissance divine.
Chez Rousseau, c'est le sentiment intérieur mu par l'amour de soi qui guide l'action et non la raison. Rousseau introduit sa réflexion par le récit de l'histoire d'un jeune calviniste converti au catholicisme par le vicaire savoyard. Analogie ou pas avec sa propre expérience, Rousseau appuie son argumentation sur la profession de foi que le vicaire fait à son jeune disciple. Misant sur l'intelligence propre à chacun, voilà ce qu'il déclare par l'entremise de son vicaire : "Je ne suis pas simplement un être sensitif et passif, mais un être actif et intelligent et quoiqu'en dise la philosophie, j'oserai prétendre à l'honneur de penser. Je sais seulement que la vérité est dans les choses et non dans mon esprit qui les juge, et que moins je mets du mien dans les jugements que j'en porte, plus je suis sur d'approcher la vérité : ainsi ma règle de me livrer au sentiment plus qu'à la raison est confirmée par la raison même." (p.59-60). Étrange raisonnement lorsque l'on se borne à ces quelques mots. Sceptique, Rousseau va même jusqu'à affirmer que "loin de me délivrer des doutes inutiles, les philosophes ne feraient que multiplier ceux qui me tourmentaient et n'en résoudraient aucun."(p.55). Pas étonnant donc que le texte ait suscité l'indignation...
Si je n'adhère pas forcément à tous les principes de Rousseau notamment parce qu'il accorde trop d'importance à la sensibilité au détriment de la raison, je reconnais volontiers sa sincérité. Il est vrai que notre sentiment ne peut être déconnecté de notre jugement et que par conséquent il convient à chacun de déterminer lui-même ce qui est bon de ce qui ne l'est pas. Même si ce dernier accorde que personne n'est à l'abri de porter un jugement faussé, Rousseau me semble faire une trop grande confiance dans l'intelligence de chacun : prétendant que c'est la bonne conscience qui guide nos choix parce que nous avons tous naturellement un amour universel du beau et donc du bien, il oublie que les gens n'ont pas sa sagesse ("il est donc au fond des âmes un principe inné et de vertu, sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d'autrui comme bonnes ou mauvaises, et c'est à ce principe que je donne le nom de conscience" p.87). Pour moi, il est des gens dont le dernier souci est de faire le bien. Ceci dit, il n'est pas impossible que je sois passé à côté de l'idée de Rousseau. En tous cas, c'est comme ça que je l'ai compris. Autre idée qui retient mon attention : ce n'est pas Dieu qui décide pour nous car nous sommes doués d'une conscience naturellement encline à la justice (pour lui, prier Dieu qu'il exauce des miracles est un "voeu téméraire qui mériterait d'être plutôt puni qu'exaucé" p.95). J'accorde par ailleurs volontiers au philosophe son humilité lorsqu'il accepte par exemple sans chercher à l'expliquer, l'existence de Dieu pour étayer le discours du vicaire. Ne pas avoir d'avis sur tout n'empêche pas d'avoir un avis tout court. Au contraire, il permet quelque part de juger avec pertinence. Et puisque l'homme dispose naturellement de son bon jugement pour répondre de ses actes, Rousseau condamne au passage les dogmes en ces termes : "Loin d'éclaircir les notions du grand Être, je vois que les dogmes particuliers les embrouillent ; que loin de les ennoblir, ils les avilissent ; qu'aux mystères inconcevables qui l'environnent, ils ajoutent des contradictions absurdes ; qui rendent l'homme orgueilleux, intolérant, cruel ; qu'au lieu d'établir la paix sur la terre, ils y portent le fer et le feu. Je me demande à quoi bon tout cela sans savoir me répondre. Je n'y vois que le crime des hommes et les misères du genre humain." (p.98).
Et pour cela mais aussi pour le principe de la religion naturelle, La profession de foi du vicaire savoyard me paraît sensé car elle s'appuie sur un travail introspectif intelligent (cf. la violente critique faite des dogmes et du fanatisme religieux et le principe de la "raison raisonneuse" avec le dialogue en fin de texte entre l'inspiré et le raisonneur). Sa lecture se mérite car sous ses airs faciles (le vicaire s'exprime en effet avec des mots simples), la rhétorique de Rousseau exige beaucoup d'attention. L'introduction et les nombreuses notes argumentées de Bruno Bernardi apportent d'ailleurs un éclairage intéressant sur le texte. Mon compte-rendu étant par ailleurs assez pauvre (je dois convenir que ce fut un exercice difficile), je recommande aux curieux qui souhaitent en savoir plus sur Rousseau de se référer aux innombrables sources sur internet dont Rousseau Studies.
Enfin, je voudrais remercier Christophe, qui grâce à un échange de livre via Babelio, m'a permis de découvrir ce texte.
Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Profession de foi du vicaire savoyard
Chez Rousseau, c'est le sentiment intérieur mu par l'amour de soi qui guide l'action et non la raison. Rousseau introduit sa réflexion par le récit de l'histoire d'un jeune calviniste converti au catholicisme par le vicaire savoyard. Analogie ou pas avec sa propre expérience, Rousseau appuie son argumentation sur la profession de foi que le vicaire fait à son jeune disciple. Misant sur l'intelligence propre à chacun, voilà ce qu'il déclare par l'entremise de son vicaire : "Je ne suis pas simplement un être sensitif et passif, mais un être actif et intelligent et quoiqu'en dise la philosophie, j'oserai prétendre à l'honneur de penser. Je sais seulement que la vérité est dans les choses et non dans mon esprit qui les juge, et que moins je mets du mien dans les jugements que j'en porte, plus je suis sur d'approcher la vérité : ainsi ma règle de me livrer au sentiment plus qu'à la raison est confirmée par la raison même." (p.59-60). Étrange raisonnement lorsque l'on se borne à ces quelques mots. Sceptique, Rousseau va même jusqu'à affirmer que "loin de me délivrer des doutes inutiles, les philosophes ne feraient que multiplier ceux qui me tourmentaient et n'en résoudraient aucun."(p.55). Pas étonnant donc que le texte ait suscité l'indignation...
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Et pour cela mais aussi pour le principe de la religion naturelle, La profession de foi du vicaire savoyard me paraît sensé car elle s'appuie sur un travail introspectif intelligent (cf. la violente critique faite des dogmes et du fanatisme religieux et le principe de la "raison raisonneuse" avec le dialogue en fin de texte entre l'inspiré et le raisonneur). Sa lecture se mérite car sous ses airs faciles (le vicaire s'exprime en effet avec des mots simples), la rhétorique de Rousseau exige beaucoup d'attention. L'introduction et les nombreuses notes argumentées de Bruno Bernardi apportent d'ailleurs un éclairage intéressant sur le texte. Mon compte-rendu étant par ailleurs assez pauvre (je dois convenir que ce fut un exercice difficile), je recommande aux curieux qui souhaitent en savoir plus sur Rousseau de se référer aux innombrables sources sur internet dont Rousseau Studies.
Enfin, je voudrais remercier Christophe, qui grâce à un échange de livre via Babelio, m'a permis de découvrir ce texte.
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- Titre : La profession de foi du vicaire savoyard
- Auteur : Jean-Jacques Rousseau
- Éditions : GF Flammarion
- Présentations et notes : Bruno Bernardi
- Date de parution : Janvier 1996
- Nombre de pages : 179 p.
- Couverture : Gravure de Moreau le Jeune (détail)
- ISBN : 2-08-070883-X
Wahou ! Quelle critique ! C'est tout sauf un compte-rendu pauvre, au contraire c'est riche, complet, instructif. Merci (vraiment !) de m'avoir fait découvrir cette œuvre d'un Rousseau que, finalement, je ne connais guère que via les maigres souvenirs que j'ai gardé de mes années "lycée". Grâce à vous, je compte m'y replonger !
RépondreSupprimerAu passage, je découvre aussi votre blog et c'est un vrai bonheur.
Merci pour votre visite Nyx. Je suis heureux de vous avoir fait découvrir un Rousseau qui vous était méconnu. Moi-même, je n'avais guère lu le philosophe. C'est vraiment grâce à la demande d'échange de Christophe sur Babelio que je me suis dit pourquoi pas même si lire Rousseau en 2013 peut paraître dépasser, je trouve toujours mon intérêt dans la lecture des classiques.
RépondreSupprimerSinon, Je découvre à mon tour votre blog et je me réjouis de nos prochains partages de lecture. A bientôt ici ou ailleurs ! Et encore bienvenue sur les Embuscades d'Alcapone !