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La cité des fous - Marc Stéphane

Lorsque Marc Stéphane parle de "Cité des fous", c'est bien à l'asile de Sainte-Anne qu'il fait allusion. Les 94 jours passés en compagnie de ceux qu'il dénomme les pégés (paralytique général au dernier période) ou autres aliénés constituent la base de ce récit aussi drôle que révoltant. Les fous y sont aussi déjantés que les personnels et il n'y a pas un infirmier pour rattraper un louf. Parmi cette horde de cinglés, il y a bien évidemment les persécutés, les grandes gueules, les obsédés, les mystiques et bien d'autres encore... Les portraits brossés ne manquent pas de faire sourire mais qu'on se le dise, personne (exceptés peut-être certains qui se font passer pour fou) n'a envie de se faire interner à Sainte-Anne. C'est avec beaucoup de bienveillance que Marc Stéphane s'attache à décrire son expérience chez les fous. Conduit à l'asile en raison d'un état de santé jugé fébrile, l'auteur de la Cité des fous jouit pourtant cet esprit critique qui fait de son séjour, un terrain d'observation aussi riche qu'hallucinant. Il avoue d'ailleurs sans concession qu'il faut être un peu dérangé pour travailler en asile. Pour preuve, il ne tarit pas en anecdotes aussi navrantes que truculentes. J'aurais d'ailleurs bien du mal à exprimer mieux qu'Éric Dussert ne l'a fait dans sa préface, tout le bien que je pense de cet ouvrage : "Et parce que cet écrivain désormais englouti possède une langue à faire pâlir un certain Céline, parce que ses lignes mêlent à une intense compassion un refus du pathos fétide, il transforme ce qui pourrait être un réquisitoire en odyssée au pays de la folie." C'est vrai : à aucun moment, Marc Stéphane ne verse dans le pathos. Empathique et compréhensif, il témoigne à travers son récit d'un attachement presque paternel à ses compagnons d'infortune. Parallèlement, il prend un malin plaisir à faire tourner en bourrique les personnels de l'asile lorsqu'il ne les a pas "à la bonne". A tel point, qu'on finit par ne plus savoir qui est sain et qui est fou et que finalement, on se demande ce que signifie réellement être fou...

Bien sûr, le sujet abordé n'est pas drôle : l'asile du début du 19e siècle n'a rien d'une sinécure (soit dit en passant nos actuels hôpitaux psychiatriques ne sont pas forcément beaucoup mieux armés qu'à l'époque). L'idée qu'on peut s'en faire n'est donc pas si éloignée du tableau dépeint par Marc Stéphane mais là où l'on décèle le génie (ou devrait-on plutôt dire la folie ?) de l'auteur, c'est lorsque l'on arrive tout de même à rire des scènes racontées. Le verbe de Stéphane est unique en son genre. Voilà par exemple comment il parle des infirmiers : "Qui n'a point vécu avec ces matamores ne peut s'imaginer combien ils sont capons." (p.109). Nous noterons au passage cette étrange lucidité dont fait preuve l'auteur et qui ne laisse pas d'interroger sur le sens véritable de la folie : "Un homme qui, vraiment sain d'esprit viendrait par malfortune à être interné dans un asile, ne devra jamais prostester de sa parfaite lucidité, s'il tient à revoir promptement ses dieux lares. Et ceci, je vous prie de le croire, n'est nullement un paradoxe, attendu que tous les fous concevables, je dis tous les fous sans exception, s'affirment à tue-tête les êtres les mieux équilibrés de l'univers (...) Et l'abc de la profession d'aliéniste consiste simplement à acquérir d'emblée la conviction qui deviendra irréductible, parce que toujours vérifiée, que jamais pégé ne se reconnaîtra gâteux, jamais loquace incohérent, jamais soulographe alcoolique, jamais persécuté sot, et qu'un halluciné enfin, se laissera stoïquement doucher à glace, plutôt que d'admettre la sombre inanité de ses phantasmes." (p.212). Marc Stéphane conviendra d'ailleurs qu'il n'a pas lui-même échappé à cette étrange logique... 

Pour conclure, je reprendrai encore une fois les mots suivants d'Éric Dussert : "La cité des fous mérite de figurer dans les bibliothèques de ceux pour qui la littérature n'est prisonnière d'aucune forme et d'aucune camisole." Pour moi, c'est exactement sous cet angle que j'envisage la littérature.

Pour aller plus loin sur ce sujet, découvrir également Un drame affreux chez les tranquilles du même auteur, oeuvre fantastique cette fois, qui complète la présente réédition de la Cité des fous aux éditions de L'Arbre Vengeur et dont je recommande également la lecture.

Le livre est enfin illustré par de beaux dessins d'Alain Verdier dont l'éditeur dit : "A force d'illustrer Marc Stéphane, Alain Verdier en a perdu un peu de raison, pas mal d'appétit et beaucoup d'encre."

Si vous souhaitez acquérir ce livre, il est disponible sur Amazon via le lien suivant : La cité des fous : Souvenirs de Sainte-Anne.

Extrait
Dangeureux donc, certes, oui, je le suis, comme le fut Rabelais dont le rire fracassait toutes les idoles de son temps, et aussi bien les idoles de Genève que celles de Rome, de la Sorbonne ou de l'antre raminagrobique comme le fut le divin Bonhomme dont la malice souriante savait mieux sourire au loup qu'au mouton, et sympathisait anticipativement (si j'ose dire), avec les Mandrin, les Cartouches, les Ravachol et les Bonnot ; comme le fut encore Voltaire, dont l'ironie glacée fut un dissolvant assez efficace, il me semble, pour préparer les voies aux sanglants bouchers de 93. (p.244 - Extrait de la postface de Marc Stéphane)

  • Titre : La cité des fous
  • Sous-titre : Souvenirs de Sainte-Anne
  • Auteur : Marc Stéphane
  • Éditeur : L'arbre Vengeur
  • Collection : L'Alambic
  • Préface : Éric Dussert
  • Date de parution (1ere réimpression) : Mars 2013
  • Nombre de pages : 252 p.
  • Illustration : Alain Verdier
  • EAN : 9-782916-1412-13

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