La colonisation allemande du Rwanda avait conduit le souverain Tutsi à asseoir son autorité sur les rois hutu. Le traité de Versailles mit fin en 1919 à la tutelle germanique sur la région ; les Belges, qui héritèrent du contrôle de la zone, firent du roi tutsi un souverain affidé. Tâche lui fut confiée de collecter l'impôt. Les colons s'appuyèrent sur son entourage pour administrer le pays. Les Belges et l’église catholique, à l'influence si irrésistible et centrale, plaquèrent sur les relations qu'entràetenaient les autochtones une grille de lecture étrangère racialisée. Européens et missionnaires entreprirent de classifier, de théoriser les écarts sociaux existants, soulignant les caractéristiques physiques et comportementales des habitants. Les Tutsi étaient grands, dotés d'un nez aquilin, doués d'une intelligence particulière ; les Hutu étaient trapus, forts, rugueux. La création de cartes d'identité mentionnant l'ethnie, déduite d'après la quantité de têtes de bétail possédées et l'apparence physique, acheva de figer la classification.
En 1959, le directeur d'un journal catholique créa un parti visant à restituer le pays à ses propriétaires, les Bahutu. Les Tutsi étaient assimilés à des colons. Leur joug est décrit comme plus cruel que celui des européens. Il fallait en débarrasser le pays. Cette même année, vingt mille d'entre eux furent assassinés. Trois cent mille autres quittèrent le Rwanda. Il s'agissait des premiers massacres répertoriés. On ne trouvait trace d'un antagonisme ayant conduit à un conflit d'ampleur significative entre Hutu et Tutsi avant cette période. Dès l'indépendance du pays, acquise en 1962, le régime se mit à institutionnaliser ces différences, accrut la marginalisation des Tutsi, parvint à ancrer dans les esprits l'inclinaison supposément dominatrice inhérente à cette minorité dont il convenait de craindre les agissements. La peur est un mécanisme efficace pour installer l'idée d'un "eux contre nous" obsessionnel.
(...) Les décennies suivantes avaient été émaillées de tentatives d'incursion tutsi depuis les pays dans lesquels ils s'étaient réfugiés, généralement repoussées et régulièrement suivies de massacres. Les forces tutsi attaquaient depuis l'extérieur ; en représailles, le pouvoir assassinait les Tutsi de l'intérieur. L'exil s'intensifia, les auteurs de tueries ne furent pas poursuivis. En 1973, Juvénal Habyarimana, chef et ministre de l'Armée, de la Garde nationale et de la police, prit le pouvoir. Sous couvert d'établir une forme de concorde rwandaise, il imposa des quotas. Le nombre de Tutsi qui avaient accès aux études et à l'emploi était désormais limité.
Les réfugiés Tutsi ne furent pas autorisés à regagner le Rwanda. Stationnés dans les pays limitrophes, ils constituèrent une force armée, le FPR, pour "Front patriotique rwandais", qui lança une offensive majeure au moins d'octobre 1990. Une simulation d'attaque sur Kigali servit de prétexte au pouvoir en place pour procéder à une vague d'arrestations suivies de violences. L'offensive du FPR fut repoussée, avec l'aide de la France, soucieuse de maintenir son influence dans la région, celle-ci étant étroitement liée au régime en place. Cédant à la pression internationale, Juvénal Habyarimana accepta de constituer un gouvernement expurgé des éléments les plus extrémistes.
Des négociations de réconciliation firent espérer que l'engrenage raciste allait s'enrayer ; il n'en fut rien. La propagande continua de prospérer. Le président feignit d'entamer un processus de démocratisation, mais celle-ci fut limitée aux différentes factions hutu. certaines d'entre elles, d'ailleurs, semblaient échapper à son contrôle et entreprirent de saper la mise en œuvre des résolutions issues des accords d'Arusha, censés sceller une certaine forme de réconciliation.