Primo Levi, juif d’origine turinoise, a 24 ans lorsqu’il est déporté à Auschwitz en 1944. Profondément marqué par l’horreur et l’ampleur de l’extermination commandée par les nazis, il s’est fait un devoir de raconter la vie dans les camps d’épuration. Pour lui, sortir vivant d’un tel enfer, c’était mourir beaucoup et c’est la raison pour laquelle il a tenu à écrire ce livre. Non pas, comme il l’explique, pour porter de nouveaux chefs d’accusation contre le régime nazi mais pour le devoir de mémoire. Pour que l’histoire ne se répète pas et pour que l’on ne tombe pas dans les erreurs du passé. A Auschwitz, il sera tatoué du numéro 174 517. Oui, dans les camps, les hommes ne sont qu’un pauvre numéro tatoué sur un bout de bras. La vie ne tient à rien et pourtant, chacun à sa façon, lutte pour sa survie. Les uns vivent du trafic ou du vol, les autres refusent le laisser-aller et affichent malgré tout une apparence proprette. Certains s’abandonnent dans le travail. D’autres encore, trop faibles, malades ou handicapés disparaissent un jour sans crier gare. Chacun y va de sa façon, mais tous redoutent la sélection. Car si les exterminations arbitraires sont moins nombreuses en raison de la pénurie de main d’oeuvre, le combat pour la vie et la dignité est un combat quotidien : comment faire pour éviter la corvée ignoble du vidage des seaux la nuit, comment troquer sa chemise pour un bout de pain ou un bol de soupe, à quel endroit se placer dans la queue pour avoir la soupe la plus garnie, comment s’acoquiner avec les infirmiers pour récupérer du matériel à revendre, savoir quand se taire ou quand parler, tous ces menus détails auxquels nous ne pensons jamais, prennent tout leur sens dans les camps de la mort. La souffrance, puis l’espoir mais surtout le désespoir sont le lot quotidien de ces hommes dont le crime est d’être juif.
Primo Levi écrit avec simplicité, lucidité, sincérité et philosophie. Seules la souffrance et l’épreuve peuvent faire parler un homme comme il le fait. On a envie de pleurer. On voudrait juste que cela n’ait jamais eu lieu. On voudrait juste que cela ne se reproduise plus. Et on se doit de se rappeler cette histoire. Mais le plus bouleversant quand on y réfléchit, c’est que Primo Levi ait finalement réussi à choisir le moment de sa mort. Il l’a choisi.
Si c’est un homme :"Vous qui vivez en toute quiétudeBien au chaud dans vos maisons,Vous qui trouvez le soir en rentrantLa table mise et des visages amis,Considérez si c’est un hommeQue celui qui peine dans la boue,Qui ne connaît pas de repos,Qui se bat pour un quignon de pain,Qui meurt pour un oui, pour un non.Considérez si c’est une femmeQue celle qui a perdu son nom et ses cheveuxEt jusqu’à la force de se souvenir,Les yeux vides et le sein froidComme une grenouille en hiver.N’oubliez pas que cela fût,Non, ne l’oubliez pas :Gravez ces mots dans votre coeur,Pensez-y chez vous, dans la rue,En vous couchant, en vous levant ;Répétez-le à vos enfants.Ou que votre maison s’écroule,Que la maladie vous accable,Que vos enfants se détournent de vous."
Extraits :
"Ce n’est que beaucoup plus tard que certains d’entre nous se sont peu à peu familiarisés avec la funèbre science des numéros d’Auschwitz, qui résument à eux seuls les étapes de la destruction de l’hébraisme en Europe. Pour les anciens, le numéro dit tout : la date d’arrivée au camp, le convoi dont on faisait partie, la nationalité." p.36
"Déjà, sont apparues sur mes pieds les plaies infectieuses qui ne guériront pas. Je pousse des wagons, je manie la pelle, je fonds sous la pluie et je tremble dans le vent. Déjà mon corps n’est plus mon corps. J’ai le ventre enflé, les membres désséchés, le visage bouffi le matin et creusé le soir ; chez certains, la peau est devenue jaune, chez d’autres, grise ; quand nous restons trois ou quatre jours sans nous voir, nous avons du mal à nous reconnaître." p.51
"Ainsi, se traînent nos nuits. Le rêve de Tantale et le rêve du récit s’insèrent dans une trame d’images plus indistinctes : les souffrances de la journée où entrent la faim, les coups, le froid, la fatigue, la peur et la promiscuité, se muent la nuit en cauchemars informes, d’une violence inouïe, comme on n’en peut faire dans la vie courante, que pendant une nuit de fièvre. Nous nous éveillons à tout moment, glacés de terreur, encore sous le coup d’un ordre, crié par une voix haineuse, et dans une langue que nous ne comprenons pas." p.93
- Auteur : Primo Levi
- Titre original : Se questo è un uomo
- Traducteur : Martine Schruoffeneger
- Édition : Pocket
- Date de parution : août 2008
- Nombre de pages : 314 p.
Enregistrer un commentaire