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Les possédés - Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski

Dans cette Russie de 1870, une province de libéraux devient le théâtre d'événements tragiques : Varvara Petrovna, la Générale, héberge depuis 20 ans Stepan Trofimovitch Verkhovenski, l'ancien précepteur de son fils. Mais la tranquillité de cette petite société bienséante est soudain troublée par l'arrivée de Nicolas Vselodovitch Stavroguine (fils de le Générale) et de Pitor Stepanovitch Verkhovenski (fils de l'ancien précepteur). Ce dernier, distillant des idées révolutionnaires afin de renverser le pouvoir établi, souhaite mettre à la tête de son mouvement Nicolas Vselodovitch dont l'étrange charisme, pense t-il, servira ses desseins. La ville est alors secouée de scandales : complots, manipulations, trahisons, Piotr Verkhovenski est prêt à tout pour parvenir à ses fins (mensonges, meurtres). Malheureusement pour lui tout ne se passe pas comme prévu car tous les protagonistes de l'histoire sont possédés...


La naissance de l’œuvre


Publié pour la première fois en 1871, Les possédés ou Les démons (selon les traductions) sont le résultat d'un processus d'écriture complexe : " L’œuvre naquit dans les affres d'une création douloureuse ; l'auteur était littéralement possédé par son idée qui lui commandait et le menait dans les directions les plus imprévues, lui faisant découvrir des horizons inconnus, des paysages terrifiants" (p.564). Les carnets de travail laissés par l'auteur témoignent de ses travaux de recherche et révèlent ses hésitations, ses doutes et ses contradictions. D'après les commentaires de l'éditeur, Dostoeïsvki, mu par son instinct nationaliste, souhaitait exprimer ses craintes sur le destin de la Russie en dénonçant les mouvements révolutionnaires influencés par le libéralisme de l'Europe occidentale et l'athéisme. S'inspirant de l'affaire de Netchaïev comme point de départ de son roman, Dostoïevski concerné par tous les courants d'opposition, défend l'idée d'une Russie portée par " un homme russe nouveau " entâchée par celle d'une Russie peu à peu gangrenée par le socialisme et le nihilisme. Ainsi, " Enclin à une vision apocalyptique et manichéenne de l'histoire, Dostoiesvki voyait donc proche le moment où allait s'ouvrir au grand jour le combat entre les forces positives de l'homme russe nouveau et les puissances ténébreuses de la révolution et de l'athéisme." p.563. Conscient que son oeuvre ne pouvait pas représenter les forces en opposition sur la seule base de son idée initiale, l'auteur décide au risque de soulever la colère, de développer son roman en " sacrifiant " son pamphlet à la polémique...


Dostoïesvski, un romancier de l'idée



L'affaire Netchaïev (cf. Le catéchisme du révolutionnaire du même Netchaïev) qui a servi d'intrigue au roman, n'a qu'une fonction secondaire dans le développement des Possédés. Si Dostoiesvski s'en est servi comme intrigue de départ, c'est parce qu'ayant lui-même été condamné à mort et envoyé au bagne en Sibérie (1849-1854) pour avoir fait partie du cercle de Petrachevski, il reconnaissait le danger du socialisme. Ainsi, ses personnages en proie à des conflits idéologiques, sont-ils possédés par des démons particulièrement capricieux. Le thème de la possession chez Dostoïevski est remarquable en ce sens que ses personnages souffrent tous d'une dualité parfois incompréhensible. A tel point, qu'ils peuvent parfois paraître caricaturaux ou qu'ils peuvent passer pour de vrais schizophrènes : Stepan Strofimovitch, Varvara Petrovna, Nicolas Vseledovitch, Piotr Stepanovitch, Ivan Chatov, Kirilov, Lipoutine, Chigalev, Virguinski, Liamchine, Fedka, Lebiadkine, le couple des Lembke... sont tous "victimes" de leur possession/idée. Démon du socialisme athée, nihisme révolutionnaire ou encore superstition religieuse, les Possédés sont déchirés par des forces destructrices dont ils ne soupçonnent pas toujours la portée. Les personnages représentés incarnent d'ailleurs un bon échantillon des pensées en vogue dans la Russie des années 1870. Et Dostoievski profitant que " La vie littéraire de la Russie du XIXe siècle était le théâtre de polémiques particulièrement violentes ; la critique littéraire était en effet l'un des moyens les plus fréquemment utilisés pour exprimer des opinions politiques en déjouant la surveillance de la censure. " p.568, embraye pour prévenir du destin tragique vers lequel court la Russie. Évidemment, la folie qui frappe tous les possédés de ce roman reflète non seulement un esprit conservateur et nationaliste mais elle s'avère également être une critique particulièrement cinglante de tous les endoctrinements (Est-il possible que jusqu'à présent vous n'ayez pas compris Kirilov, avec votre intelligence que tous les hommes sont pareils, qu'il n'y a ni meilleur ni pire mais seulement plus intelligent et plus bête, et que si tous sont des crapules (ce qui est d'ailleurs faux), c'est donc qu'il ne doit même pas y avoir de non-crapule ? " p. 510). Les réflexions que soulèvent ce romans sont d'ailleurs si nombreuses qu'il est difficile pour moi de toutes les évoquer (il existe déjà en ligne d'innombrables chroniques sur le livre).

Pour conclure, je dirais donc simplement que Les Possédés est une lecture ardue qui exige une connaissance de la biographie de Dostoïevski, une compréhension du contexte social (réforme paysanne et abolition du servage des moujiks), politique (règne de l'empereur de Russie Alexandre II) et religieux (croyance en l'église orthodoxe) de la Russie de la fin du XIXe siècle. Cette lecture nécessite également une appropriation des techniques narratives de l'auteur : la multitude des personnages (dont les noms sont pour nous difficiles à retenir) ainsi que les nombreux scénarios catastrophe qui ponctuent la fin de chaque chapitre, demandent par exemple beaucoup d'attention mais une fois toutes ces contraintes surmontées, le plaisir de la lecture est sans conteste au rendez-vous... 

Pour aller plus loin, vous pouvez toujours lire cet intéressant article de la revue Chameaux sur une lecture nietzschéenne du suicide de Kirilov (un personnage que j'ai trouvé assez déconcertant). Sinon, la version PDF du livre en ligne sur Lirenligne.net.

Enfin, afin d'appréhender au mieux le ténébreux personnage de Stavroguine, je recommande vivement de lire La confession de Stavroguine dont vous trouverez le texte intégral en ligne sur Wikisource.

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Extraits :


On n'a jamais rien pour rien. Si nous travaillons, nous aurons une opinion à nous. Mais comme nous ne travaillons jamais, ce sont ceux qui jusqu'à présent ont travaillé à notre place qui auront une opinion pour nous, c'est à dire toujours cette même Europe, toujours ces mêmes allemands, nos maîtres depuis deux cents ans. Par surcroît, la Russie est un trop grand malentendu pour que nous puissions en venir à bout seuls, sans les allemands et sans travailler. p.40. A propos des craintes de Dostoievski sur l'avenir de la Russie.


- La première chose. Il y a deux catégories : ceux qui se tuent soit par chagrin, soit par dépit, soit les fous, ou n'importe... Ceux-là c'est subitement. Ceux-là pensent peu à la souffrance mais le font subitement. Et ceux qui le font par raison, ceux-là pensent beaucoup. - Mais est-ce qu'il y en a qui le font par raison ? Énormément. S'il n'y avait pas le préjugé, il y en aurait davantage ; énormément ; tous. p.102. A propos du suicide (dialogue sur le suicide entre Chatov et le chroniqueur)


Notre libéral russe est avant tout un laquais et il ne cherche que quelqu'un à qui cirer les bottes. p.121. Chatov au chroniqueur.


Mais comprends-tu, lui criais-je, comprends-tu que si vous avez mis la guillotine au premier plan, et avec tant d'enthousiasme, c'est uniquement parce que trancher les têtes est la chose la plus facile et avoir une idée est la chose la plus difficile ! p.185. Le chroniqueur à Stepan Trofimovitch 


Je vais vous faire rire : la première chose qui agit énormément c'est l'uniforme (...) Puis la force suivante, c'est bien entendu, la sentimentalité. Vous savez chez nous, le socialisme se répand principalement par sentimentalité (...) et enfin la force principale - le ciment qui lie tout - c'est la honte de son opinion personnelle. p.323. Piotr Stepanovitch à Nicolas Vselodovitch. 


De son côté, chacun des groupes actifs, faisant des prosélytes et s'étendant à l'infini par des ramifications latérales, a pour tâche par une propagande systématique de dénonciation, de saper le prestige des autorités locales, de provoquer dans la population le doute, de faire naître le cynisme et le scandale, l'incroyance absolue en toute chose, la soif d'un sort meilleur et enfin même s'il le faut, se servant de l'incendie comme d'un moyen populaire par excellence, de plonger le pays au moment prescrit dans le désespoir. p. 454


- Parce que lire un livre et le faire relier sont deux stades tout à fait différents de l'évolution. D'abord, il s'y habitue petit à petit à lire, pendant des siècles bien entendu, mais il abime le livre et le laisse trainer, ne le considérant pas comme une chose sérieuse.or, seulement il a appris à aimer la lecture mais qu'il l'a reconnue pour une chose sérieuse. la Russie n'en est pas encore à ce stade. L'Europe relie les livres depuis longtemps. p. 480


Pour moi, il n'y a rien de plus haut que l'idée que Dieu n'existe pas. J'ai pour moi l'histoire de l'humanité. L'homme n'a fait qu'inventer Dieu pour vivre sans se tuer ; toute l'histoire universelle est là. Moi seul pour la première fois dans l'histoire universelle, je n'ai pas voulu inventer Dieu. Qu'on le sache une fois pour toutes. p. 513 Kirilov

Détails bibliographiques


  • Titre : Les possédés
  • Auteur : Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski
  • Éditions : Le livre de poche
  • Collection : Classique
  • Traduction : Elisabeth Guertik
  • Présentation et commentaires : Georges Philippenko
  • Nombre de pages : 571 p.
  • Couverture : Peinture de P.-D. Korin D.R.
  • ISBN : 2-2253-01825-2

Masques dans le miroir - William Schnabel

Howard Phllips Lovecraft était connu pour sa nature ambigüe (on a pu dire de lui qu'il était étrange, raciste, asexué, solitaire...). C'est peut-être l'une des raisons pour laquelle son immense héritage littéraire tout autant que son personnage complexe continuent aujourd'hui de fasciner le public. Au regard de ce caractère singulier, le double, sujet inhérent à la littérature fantastique, prend inévitablement chez l'auteur une dimension particulière : la plupart de ses productions sont si profondémment empreintes de dualité qu'il est difficile de comprendre l'univers lovecraftien sans décodage. Les études sur Lovecraft ne manquent pas. Pourtant, le double lovecraftien n'avait encore jamais fait l'objet d'une étude approfondie. Grâce à Maques dans le miroir, William Schnabel spécialiste de littérature fantastique, entend remédier à ce manque par une analyse littéraire et psychanalytique du double lovecraftien à la lumière de l'oeuvre de l'auteur mais aussi à celle de ses correspondances personnelles.

Si l'oeuvre de Lovecraft est connue du public, c'est souvent par le biais de l'Appel de Chtulhu ou de L'affaire de Charles Dexter Ward (ce fût mon cas). Selon Schnabel, si l'oeuvre de l'auteur est digne d'intérêt, c'est finalement parce qu'elle " constitue une interrogation sur l'homme et sa place dans l'univers, sur l'homme et sa vraie nature, le rôle de la science, le monstrueux, la grandeur et les faiblesses de la civilisation, le temps, l'abîme..." p.13. Masques dans le miroir aborde la question du double lovecraftien au travers de la personnalité de l'auteur (pessimisme, angoisse, penchant pour la solitude, puritanisme, fort attachement aux racines familiales, rêverie), des événements (syphillis du père, mort du grand-père, castration de la mère, mariage avec une juive) et des faits (pureté raciale, crise nerveuse, révolution industrielle) qui l'ont durablement marqué : " Masques dans le miroir porte non seulement sur les représentations les plus évidents du double chez Lovecraft (les personnages dédoublés), mais aussi sur la relation intime, toujours manisfeste, entre l'auteur et ses narrateurs-protagonistes. Doubles métamorphiques, doubles oniriques, doubles par possession, doubles gémellaires et doubles monstrueux : les visages du double lovecraftien sont multiples. Les " monstres familiers " de Lovecraft semblent bien faire partie de son cercle intime : contraint de les côtoyer quotidiennement, il les a en quelque sorte apprivoisés. Les différents aspects de l'existence de Lovecraft reflètent dans ce miroir littéraire en autant d'images filtrées, condensées, déformées ou grossies, véritables métaphores obsessionnelles qui montrent à quel point les monstres lovecraftiens ne sont pas prisionniers de sa fiction : ils reflètent la richesse de sa pensée et les turbulences de son existence.". Cet extrait de la 4e de couverture traduit bien l'intention de William Schnabel. Cette incursion " archi-documentée" dans l'univers du double lovecraftien révèle au délà de toute considération purement littéraire, une nature profondémment pessimiste mais également rétrograde, qui a sensiblement marqué l'écriture de " l'écrivain de Providence ". 

La thématique étudiée présente un intérêt certain. Cependant, j'aurais quelques réserves : s'il est vrai que la personnalité et la vie d'un auteur soient irrémédiablement indissociables de son oeuvre, il est lassant de constater la tentation de l'analyse psychanalytique. J'ai retrouvé dans cette étude beaucoup de points communs avec ce que je détestais en cours de français. A savoir des interprétations, des démonstrations et des conditionnels qui bien qu'ils soient argumentés, n'apportent finalement à mon sens, que peu de valeur dans la compréhension de l'oeuvre. Comme si l'inspiration créative de Lovecraft n'était quasiment mue que par l'inconscient freudien. Bien sûr, comprendre la psychologie d'un auteur permet d'en appréhender le travail mais je pense pour ma part, en tous cas je veux le croire, que Lovecraft obéissait avant tout à son instinct de création et que son énergie créatrice ne répondait forcément à l'expression de ses frustrations ou de ses angoisses. D'un point de vue littéraire, le double est un thème largement récurrent : Oscar Wilde (Le portrait de Dorian Gray), Kafka (La métamorphose), Dostoiesvki (Les possédés), Stevenson (Docteur Jekyll and Mister Hyde), se sont tous frottés au sujet et ont produit des textes aujourd'hui références en la matière. Mais quelles sont les raisons de cette fascination pour ce thème ?  De cette phrase qui résume assez bien le constat sur nos propres rapports au double : " Depuis des millénaires, l'homme et son double sont indissociables. Les ethnologues ont montré la difficulté de se débarasser d'un contenu enraciné si profondémment dans l'inconscient collectif. Que cela soit sous forme de rêves ou de cauchemars, de revenants ou de fantômes, de l'âme ou de l'esprit, de la métamorphose ou de la possession démoniaque, de la vie ou de la mort, du ça ou du surmoi, de l'égo ou de l'alter égo, le double fait partie de notre existence de tous les jours. Ses pouvoirs sont donc considérables : il ne meurt pas avec le corps, il peut se métamorphoser, il peut quitter le corps pendant le sommeil pour faire des voyages extatiques, etc. Qu'il s'agisse de séjourner chez les dieux ou de descendre aux enfers, nous sommes tous fascinés par la catabase et les poètes plus particulièrement. Dans chacun de nous, il y a un Oprhée et un Phaéton." (p. 129-130), je concluerai en disant que Masques dans le miroir apporte sans aucun doute quelques clés de compréhension de l'oeuvre de Lovecraft mais l'essai n'est pas aussi instructif qu'il y parait : la dissection méticuleuse et " quasi-médicale " des textes par Schnabel gâche un peu la magie du mythe de Lovecraft (j'avoue ne pas m'être attardée sur certains passages dont la lecture m'a été fastidieuse) et j'ai trouvé certains passages longs. Ceci dit, cette analyse constitue un lien logique parfait avec le dernier numéro 21 du Visage vert que j'ai lu dernièrement et qui se consacre au sujet du masque. Lisez donc les deux ouvrages, si comme moi, vous vous intéressez à la question car vous y trouverez de nombreuses références toutes plus monstrueuses les unes que les autres...

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Extraits :

Dans l'univers de nos rêves, le monde tangible et réel ressemble à un phénomène purement psychique. Le réel est au rêve ce que le rêve est au réel. Lovecraft suggère que nous avons tous une double existence, que nous avons tous un double onirique qui se libère dans l'univers de nos rêves. p.99

Table
Introduction
Lovecraft et ses doubles
Personnages dédoublés
Conclusion
Bibliographie sommaire
Index
Notes


  • Titre : Masques dans le miroir
  • Sous-titre : Le double lovecraftien
  • Auteur : William Schnabel
  • Éditions : La Clef d'Argent
  • Date de parution : Mai 2002
  • Nombre de pages : 171 p.
  • ISBN : 2-908254-35-2

La métamorphose - Franz Kafka

" En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte." p.9, telle est la première phrase de La métamorphose qu'il n'est nul besoin de présenter. Publié pour la première fois en 1915, ce texte a alimenté toutes sortes d'analyses : de l'histoire de Gregor qui, du jour au lendemain, se transforme en insecte pour le plus grand malheur de sa famille, il n'est pas une interprétation mais mille. En effet, ce récit bien que court, a stimulé toutes les imaginations et nourri bien de thèses : certains assimilent La métamorphose à un réquisitoire dénonçant la relation conflictuelle père/fils de KafkaD'autres encore y trouvent des allégories de l'isolement, de l'enfermement, de la peur de la différence, du drame familial... Pour toutes ces raisons, La métamorphose ne laisse d'intriguer des générations de lecteurs...

Cette singulière histoire est marquée par son caractère factuel : peu importe les causes de sa métamorphose, Gregor est devenu un cancrelat. D'abord dévoués et horrifiés, puis résignés et enfin exaspérés, les membres de la famille Samsa (père, mère et fille) acceptent l'incident et réorganisent leur vie en fonction de ce fils/frère soudain devenu un poids. Les situations frisent l'absurde ou le grotesque (étapes de l'appropriation par Gregor de son nouveau corps d'insecte, les tentatives du père pour écraser son fils à coups de pommes, les rituels liés au ménage de la chambre de Gregor par la soeur...). Malgré un contexte inapproprié, le comique prend parfois le dessus dans certaines scènes... Les réactions des personnages sont pour certaines cocasses (cf. l'étrange manège de la femme de ménage) et le texte ne manque pas de décontenancer le lecteur... 

Ce récit surréaliste célèbre une écriture simple mais efficace qui a inspiré entre autres, des textes de la littérature japonaise comme par exemple, La dernière métamorphose de Keiichirô Hirano. Dans cet hommage rendu au monument littéraire de Kafka, Hirano raconte l'histoire d'un cadre japonais souffrant de hikikomori. A l'instar de cet ouvrage de Hirano, qui en passant n'est pas inoubliable, La métamorphose a durablement influencé la création littéraire. On notera d'ailleurs que les multiples thèmes abordés dans la nouvelle sont brillament exploités par Kafka. Je partage notamment la thèse de William Schnabel (Masques dans le miroirselon laquelle le double métamorphique témoigne de la fascination et la répulsion pour cette forme monstrueuse. Chez Kafka, cette mutation qui mène inéluctablement à une fin misérable, traduirait selon Schnabel, un " rappel insolent de notre impermanence ". Il est évidemment bien d'autres sens à cette fiction mais finalement, quelles que soient les intentions prêtées au célèbre auteur tchèque, la magie opère. Et en dépit d’une traduction quelquefois maladroite pour la présente édition, La métamorphose, manifestation d'un esprit torturé, fait partie de ces lectures à ne manquer sous aucun prétexte.

La colonie pénitentiaire



Un officier zélé présente à un expert, juge des procédures judiciaires, la machine dédiée aux exécutions dans son pénitencier. Dernier défendeur de l'immonde instrument de torture, l'officier se désole de l'abandon progressif des pratiques imposée par l'ancien commandant. Cet engin conçu pour faire durer l'agonie du supplicié pendant 12 heures avant la mort effective, serait une création géniale. Dans une ultime tentative pour sauver l'hideuse machine, l'officier finalement vaincu par la décision de l'expert, décide de prendre la place du condamné... Ce texte dénote encore une fois l'esprit tortueux et cynique de Kafka. Voilà donc une nouvelle qui mérite d'être portée à la connaissance des lecteurs...

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Détails bibliographiques



  • Titre : La métamorphose suivi de La colonnie pénitentiaire
  • Titre original : Die Verwandlung
  • Auteur : Franz Kafka
  • Éditeur : Librio
  • Traducteur : Bernard Lorthoraly
  • Date de parution : Février 1994
  • Nombre de pages : 95 p.
  • Couverture : Dessin de Una Woodruff, extrait de Inventorum Natura
  • ISBN : 2-22-30003-9

Le Visage Vert - Numéro 21


Objet emblématique de la littérature fantastique, le masque de terreur figurera au centre d'un dossier foisonnant conçu par l'essayiste Michel Meurger, qui lui consacre une étude truffée de faux-semblants, de pièges diaboliques et de rebondissements des plus inattendus ". Ainsi que l'annonce cet extrait de l'édito, ce numéro du Visage vert se consacre au thème du masque : objet de tous les fantasmes, instrument de la terreur, prétexte aux simulacres, symbole de forces occultes ou incarnations de croyances religieuses, le masque inspire la crainte, suscite la curiosité ou force le respect. Dans son dossier intitulé Le secret du masque, Michel Meurger lève le voile sur quelques mystères de cet objet à la fois obscur et diabolique. Le sujet étant vaste, l'essayiste porte à notre connaissance de nombreuses références aussi pointues qu'érudites. La sélecttion des textes qu'il a d'ailleurs concocté pour ce numéro du Visage vert vous procurera certainement quelques frissons !


Ah ! Le masque et ses mystères ! Mais que se cache t-il derrière cet objet aux multiples facettes ? Voilà un ambitieux défi que s'est lancé le Visage vert. Impossible évidemment de couvrir le sujet en quelques 190 pages. On remarquera pourtant le travail très documenté de Michel Meurger sur la question : qui parmi nous n'a jamais porté de masque ? Qu'il soit matérisalisé par l'objet ou qu'il se substitue à une facette de la personnalité, le masque est présent dans tous les arts et dans toutes les cultures. Pas étonnant qu'il ait donné lieu à tant de mythes et de croyances. L'étude proposée par Michel Meurger fourmille de sources et exemples sur le sujet. A tel point qu'il est difficile pour le lecteur de se retrouver dans le dédale des codes et représentations passés en revue par l'essayiste. Pour ce qui est de la sélection des fictions, c'est un pur régal pour le lecteur de (re)découvrir les textes de John Bedot, Lafcadio HearnMarcel SchwobRichard MarshBodo Wildberg ou Nicholas Royle. Chaque récit dans son style (exceptés les deux nouvelles de John Bedot et celui de Lafcadio Hearn), prête au masque des fonctions bien distinctes : instrument de dissimulation, de soumission ou de pouvoir, le masque recèle bien de secrets que les quelques textes proposés dévoilent avec talent. Étrangement, ce sont les textes de John Bedot (qui n'abordent pas le thème du masque) qui m'ont le plus marqué (on trouve quelques-unes de ses nouvelles gratuitement sur Google books) ainsi que celui de Nicholas Royle (Le leurre). Ce numéro 21 est à mon sens, une vraie réussite. De cette revue, que j'ai découvert au gré de mes errances internautiques et dont j'ai dégotté par hasard le dernier numéro à la librairie Le regard moderne, je n'ai lu que ce numéro mais j'en redemande. On remarquera en outre, le remarquable travail des Éditions du Visage Vert dédié à la littérature fantastique et dont je recommande la découverte à tous... A noter également entre autres superbes illustrations, celles de Marc Brunier-Mestas, qui parsèment la revue ainsi que les biographies des auteurs en fin d'ouvrage.

Une hallucination, conte médical - John Bedot
Homme d'affaire accompli et père de famille aimant, le héros de cette histoire est du jour au lendemain, victime de symptômes étranges : souffrant manifestement d'hallucinations et de troubles de la personnalité, l'homme est persuadé que l'étranger qui passe tous les soirs devant chez lui une lanterne à la main n'est autre que... lui-même : "L'homme à la lanterne figurerait-il la raison qui inquiète, tenant à la main, la raison, chassée du logis et qui, cherchant à se réunir au corps affolé, rôde sans cesse aux alentours ? ou bien représente t-il la folie qui arrive apportant une fausse lumière ?" p.30. Cette nouvelle datant de 1859, qui n'est pas sans évoquer Le journal d'un fou de Gogol, dégage un atmosphère inquiétante digne des plus grands textes du genre. John Bedot, auteur suisse peu connu du XIXe siècle aborde ici le thème du double avec brio.

Pantagruelion ou le Chanvre-Cauchemar - John Bedot
Se languissant de Marthe la fileuse de chanvre, le héros de cette nouvelle publiée pour la 1ere fois en 1860, s'abandonne par ennui aux délires du cannabis, autrement appelé par Rabelais sous le nom de pantagruelion. Se réfugiant dans la cour à la rêverie dans les vapeurs cannibiques, le héros part à la conquête de la belle. Rencontres saugrenues et voyages immobiles, le prétendant de Marthe en proie à de vertigineuses hallucinations, expérimente de façon cauchemardesque, les Paradis artificiels si chers à Baudelaire. Parfaitement déconcertant, ce texte met à l'honneur dans un style inimitable, l'excellente prose de John Bedot.

Hi-Mawari - Lafcadio Hearn (traduit de l'anglais par Anne-Sylvie Homassel)
Expression furtif souvenir d'enfance, ce texte inédit de Lafcadio Hearn, nous rappelle l'éditeur, "donne de l'enfance de Hearn un éclairage quelque peu différent de celui qu'apportent d'autres fragments autobiographiques, et les interprétations qui ont suivi."p.64. J'avais découvert cet auteur irlandais par le biais du livre Hommes et destins de Stefan Zweig sans avoir jamais rien lu de lui. Ce texte court ne m'a pas permis de m'approprier l'écriture de Lafcadio Hearn. A noter que Hi-Mawari est le nom japonais de la fleur de tournesol.

Le secret du masque - Michel Meurger
Malgré quelques digressions qui ont nui à ma compréhension du texte, cette étude de Michel Meurger est véritablement un texte de référence sur la question. Le spécialiste des " interférences entre la nature et la culture, du savoir positif et des constructions imaginaires ", aborde avec érudition le sujet au risque de perdre le lecteur novice. Pourtant, Le secret du masque est une mine d'or pour les passionnés. Abordé sous l'angle de la littérature (cf. les textes sélectionnés mais voir également Le masque d'or de Sax Rohmer, les Cavaliers du bouc, les sociétés à masque...), mais aussi sous celui de l'iconographie (Le masque de Fu Manchu de Théodore Benda) et du cinéma (Le masque du démon de Mario Bava), le masque prend sous la plume passionnée de Michel Meurger des formes multiples et revêt des représentations insoupçonnées. Cette étude est à lire et à relire !!!

Les faulx-visaiges - Marcel Schwob
Ce texte de Marcel Schwob fait état de ces " figures nocturnes " qui hantaient les campagnes et qui terrorisaient les paysans au XVe siècle : vols, meurtres, viols et crimes en tous genres, ces bandits agissaient masqués pour inspirer la terreur mais également pour conserver l'anonymat. " Mais ces hommes de nuit se distinguaient des autres par une habitude terrifiante et inconnue : ils avaient leurs visages couverts de faux-visages. Or ces faux visages étaient noirs, camus, à lèvres rouges, ou portant de longs becs arqués, ou hérissés de moustaches sinistres, ou laissant pendre sur le collet des barbes bariolées, ou traversant la figure d'une seule bande sombre entre la bouche et les sourcils, ou semblant une large manche de jaque nouée par en haut, avec des trous par où on voyait les yeux et les dents." p.117. Parmi eux, se cachaient paraît-il, des nobles ayant trahi Charles VII, roi de France ou Henri VI, roi d'Angleterre. Cet exemple des " faulx-visaiges " illustre à juste titre quelques-uns des sombres offices permis par le port du masque (anonymat) et contribue largement à colporter sa réputation démoniaque. A noter que ce texte est disponible sur un site consacré à l'oeuvre de Marcel Schwob. A découvrir également Le roi au masque d'or (cf. 1ere de couverture ci-contre), recueil de nouvelles fantastiques de Marcel Schwob.

Le masque - Richard Marsh (traduit de l'anglais par Jean-Daniel Brèque)
Un homme est détroussé dans un train après s'être fait drogué. Quelques temps après cet incident, il se rémémore avec frayeur les étranges événements dont il a été victime. Qui est le gentleman avec qui il discutait dans le train ? Qui est cette ravissante Jaymes qui parle de créer un masque humain parfait ? Qui est Mary Brooker cette folle criminelle qui s'est délibérément chauffé le visage au tison pour échapper à la police ? Est-ce un rêve ? Quel est le secret du masque ? La réponse se trouve peut--être dans la première phrase de la nouvelle : "Les perruquiers ont porté leur art à une telle perfection qu'il est difficile de distinguer les faux cheveux des vrais. Pourquoi ne ferait-on pas preuve du même talent dans la confection d'un masque ? Dans un sens, notre visage n'est rien qu'un masque." p.123. Déguisement ou instrument de tromperie, le masque permet aussi de jouer sur les multiples facettes d'une même personne. Cette nouvelle de Richard Marsh traduit habilement cette fonction du masque.

L'oeil du masque de pierre - Bodo Wildberg (traduit de l'allemand par Élisabeth Willenz)

Gerda est une jeune fille audacieuse qui un jour pour épater son cousin, décide de défier les fantômes et de provoquer le côté obscur de la nature : "Tu vois ce visage ? demanda Gerda. Je vais vérifier dès à présent si une créature de ce genre est capable de me persécuter si je lui inflige les pires outrages !" p.155. Symbole d'une puissance surnaturelle et occulte, le masque perpétue certaines angoisses liées à l'imaginaire collectif.

Le leurre - Nicholas Royle (traduit de l'anglais par Jean-Daniel Brèque)

Cette nouvelle aborde le masque et la psychologie du leurre : un jeune professeur rencontre régulièrement un singulier personnage et son chien sur son itinéraire de métro. Il est terrifié par cet homme qui porte un masque aux yeux peints. : " Je voulais savoir ce qui cachait le masque. Avait-il seulement des yeux ? Étaient-ils ouverts ou fermé ? (Fermés sûrement). A quoi ressemblaient-ils ? Étaient-ils identiques à ceux peints sur le masque ? Lui avaient-ils jadis permis  de voir ou étaient-ils aveugle de naissance ? Valait-il mieux naître aveugle et ainsi n'avoir jamais conscience de ce que l'on manquait ? Ou bien avoir perdu la vue, comprendre ainsi son sort et pouvoir faire appel à ses souvenirs ? Serait-ce une source d'angoisse ou de réconfort." p.167. Quel lien existe t-il entre l'aveugle, la prof avec qui il entretient une aventure, la fauconnerie, le complexe d'Oedipe et la théorie du regard de Lacan ?

  • Titre : Le visage vert - Revue de littérature
  • Numéro : 21 - Novembre 2012
  • Éditions : Le visage vert
  • Date de parution : Novembre 2012
  • Nombre de pages : 190 p.
  • ISSN : 1280-77-88

Le lac aux îles enchantées - William Morris


Il était une fois, une jeune fille qui s'appelait Petite-Grive. Vivant sous l'emprise d'une étrange sorcière, Petite-Grive parvient à l'aide de la fée Habonde, à s'échapper grâce à une Nef magique. Commence alors pour la jeune fille à la beauté dévastatrice, un voyage initiatique semé d'embûches sur le lac aux îles enchantées : amitié, amour et trahison, Le lac aux ïles enchantées propose une belle incursion au pays des chevaliers. William Morris revisite à sa façon, la littérature fantastique : sorcières, magie, châteaux hantés, chevaliers servants et gentes dames, cette fiction reprend de façon assez classique les paramètres du conte féérique. Rien de vraiment original donc si ce n'est cette belle traduction inédite en français proposée par les éditions Aux forges de Vulcain. Soucieuse de faire revivre cette oeuvre qui n'a été publiée qu'en langue anglaise en 1897, la maison d'édition nous propose de découvrir l'oeuvre de William Morris, surtout connu pour son engagement politique et ses arts décoratifs.

Le lac aux îles enchantées saura séduire les petites filles (mais également les grandes) qui rêvent de valeureux chevaliers sans peurs et sans reproches et d'héroïnes qui n'ont pas froid aux yeux : tous les ingrédients sont ici réunis pour entraîner le lecteur dans une épopée digne des légendes arthuriennes. Pourtant, malgré un rythme assez soutenu et de nombreux rebondissements, l'histoire réserve assez peu de surprises. On prédit facilement ce qui va arriver et on devine aisément le dénouement. J'ai regretté que le récit manque de noirceur et de relief : avec les éléments qui en constituaient l'intrigue, Morris aurait pu proposer quelque chose de beaucoup plus percutant en mettant par exemple l'accent sur les "méchants", les combats ou les maléfices des sorcières. Ceci dit, il serait faux de croire que Le lac aux ïles enchantées est un récit fade : d'abord, parce que l'écriture de Morris, même si elle peut paraître candide, est claire et fluide (la psychologie des personnages est bien travaillée, l'ambiance est bien plantée). Ensuite, parce qu'en dépit de sa longueur (rares sont me semble-il les contes de 463 pages), Le lac aux ïles enchantées sait captiver l'intérêt de son lecteur (sauf la fin qui traine un peu). Enfin, parce que l'histoire de Petite-Grive est très facile et agréable à lire. Pour ces raisons, mais aussi parce que William Morris est un personnage passionné et passionnant, je lirai volontiers ses autres livres pour mieux comprendre son oeuvre et sa démarche.

Je tiens à remercier vivement les éditions Aux forges de Vulcain pour la découverte de cette lecture et j'encourage les lecteurs à découvrir cette jeune maison d'édition dont voici une brève présentation :
Selon la légende, Vulcain a forgé le bouclier de Mars, le trident de Neptune, le char d'Apollon. Dans l'assemblée des dieux, il n'est certes, ni le plus fort, ni le plus beau ; mais parce qu'il a donné aux autres le moyen de leur puissance, il est le plus nécessaire. Les éditions Aux forges de Vulcain forgent patiemment les outils de demain. Elles produisent des textes. Elles ne croient pas au génie, elles croient au travail. Elles ne croient pas à la solitude de l'artiste, mais à la bienveillance mutuelle des artisans. Elles espèrent plaire et instruire. Elles souhaitent changer la figure du monde.
Pour vous procurer le livre, rendez-vous sur le lien suivant : Le Lac aux îles enchantées

Extraits :
Couverte de la rouge sève
Sont poupe et proue de ce bateau
Alors bondis ! Que tu te lèves !
Va te promener sur les eaux !
Parcours le lac ainsi que le veut le passant
Car son autorité fut marquée par son sang !

Incantation magique pour contrôler la nef magique de la sorcière 

  • Titre : Le lac aux îles enchantées
  • Auteur : William Morris
  • Éditions : Aux forges de Vulcain
  • Collection : Littératures
  • Traducteur : Francis Guévremont
  • Date de parution : Novembre 2012
  • Nombre de pages : 463 p.
  • Illustration de couverture : Noémie Schipfer, G I R L 
  • Conception graphique : Elena Vieillard
  • Relecture typographique : Maud Thiria
  • ISBN: 978-2-919176-15-1

Les mondes perdus de Clark Ashton Smith - Jean Marigny


Ce court essai de Jean Marigny présente les cycles des mondes perdus de Clark Ashton Smith : l'Atlantide, l'Hyperborée, la Lémurie ou le Zothique, sont des univers chers à celui qu'on a surnommé le Keats de la Californie. Traduite à la fin des années 60, l'oeuvre de Smith constitue un riche héritage de la littérature américaine de l'imaginaire. Proche de Lovecraft ou Robert E. Howard, le poète envisageait souvent les mondes perdus comme "des mondes de rêve (...), mais ces mondes sont en même temps porteurs de mort et les hommes de notre époque qui s'en approchent sont voués à un sort terrible." p.18. Ses contes largement inspirés de la prose lovecraftienne, révèlent d'après Marigny, une "nostalgie de l'âge d'or ayant existé, il y a des millénaires, où régnait une société opulente, technologiquement avancée et harmonieuse qui a peu à peu sombré dans la décadence." p.32, caractéristique des visions pessimistes d'un "fantastique visionnaire et desespéré"...

" Pour les individus comme pour les civilisations, le temps ne peut ressurgir. Tout est vieillissement, décadence et décrépitude et la mort est la seule réalité tangible. Le progrès n'a pas de sens plus que la richesse ou les ambitions individuelles puisque tout est voué à la disparition." p.34. Telle est la description que l'on pourrait selon Marigny, retenir de l'oeuvre de Clark Ashton Smith. Auteur moins connu que Lovecraft, le jeune Clarke Ashton Smith s'exprime "dans un style poétique qui n'est sans rappeler Baudelaire et qui unit dans un même élan l'horreur et le sublime." p.30. Les mondes perdus de Clark Ashton Smith, d'Atlantis à Zothique, est un tout petit livre qui saura initier les lecteurs curieux aux univers étranges et fantastiques du jeune poète.

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Les Mondes perdus de Clark Ashton Smith


  • Titre : Les mondes perdus de Clark Ashton Smith
  • Sous-titre : d’Atlantis à Zothique 
  • Auteur : Jean Marigny
  • Éditions : La Clef d’Argent
  • Collection : KhRhOn #1
  • Date de parution : Novembre 2007 (2e édition)
  • Nombre de pages : 43 p.
  • Couverture : Illustration de Patrick Mallet
  • ISBN : 978-2-908254-56-3

La maison du vampire - Georges Sylvester Viereck


Reginald Clarke est un homme du monde adulé, respecté et charismatique dont le talent n’est pas à prouver. Ayant l’habitude d'accueillir de jeunes artistes prometteurs dans sa belle demeure, Reginald est un mécène convoité. Ernest Fielding fait partie de ces privilégiés qui a la chance de venir s’installer auprès de son idole. Ethel Brandebourg, autrefois peintre, est une ancienne maîtresse de Reginald dont le fabuleux coup de pinceau a soudain disparu du jour au lendemain... Étrangement, depuis qu’Ernest vit chez Reginald, il ne produit plus grand chose, excepté Léontine, un roman dont il vient à peine de fignoler mentalement les derniers détails. Mais étrange coïncidence : le lendemain même où Ernest décide de se pencher sur l’écriture de son livre, Reginald présente publiquement comme étant sa dernière création, Léontine. Ce n’est pourtant pas possible : l’oeuvre que Reginald vient de lire est exactement celle d'Ernest. Ernest est-il devenu fou ? Par quel miracle Reginald a pu lui voler une oeuvre dont il n’a pas encore écrit un traitre mot ?

Ce roman à l’intrigue banale au premier abord, est pourtant l’un des premiers livres du XXe siècle à aborder le thème du vampire psychique. Tout le connaît évidemment le célèbre Comte Dracula de Bram Stocker, sombre créature avide de sang humain mais la réputation du vampire psychique est plus discrète. Jusqu’à la sortie de La maison du vampire de George Sylvester Viereck paru pour la première fois en 1907, peu d’ouvrages ont paru sur le thème. Qu’est donc ce monstre dont le pouvoir est celui de pouvoir d’absorber la force vitale de ses victimes ? Mystérieux et séduisant tout comme son homologue sanguinaire, le vampire psychique se distingue cependant par sa faculté à s’approprier l’énergie et l’esprit des gens (« Le génie d’un homme est fontion de sa capacité à absorber dans la vie, les éléments essentiels pour donner pleinement la mesure de son art. » p.26). Certains le définissent comme un « vampyre », le « y » rappelant celui du terme psychique (à vérifier). Pour d’autres, il est largement inspiré des croyances populaires de certaines cultures. Avec le vampire psychique, on quitte la littérature fantastique pour glisser dangeureusement vers le terrain des sciences occultes : Ethel, victime de Reginald, le sait. Elle tente donc de sauver le jeune Ernest de l’emprise de Reginald mais comment faire dans ce combat à armes inégales ? (« - Pourtant, remarqua t-il d’un ton triomphal, tes vampires sucent le sang ; mais Reginald, si vraiment c’est un vampire, ne s’en prend qu’à l’âme. Comment un homme pourrait-il sucer dans le cerveau d’un autre une chose aussi intangible et essentielle que la pensée ? - Ah, répondit-elle, tu oublies que la pensée est plus réelle que le sang ! » p.98-99).

Présenté et traduit par Jean Marigny, spécialiste du mythe du vampire dans la littérature anglo-saxonne, ce roman dégage une ambiance démodée assez troublante. Si le début du livre est un peu laborieux et les dialogues parfois ennuyeux ou sans trop de rapport avec le coeur du sujet, La maison du vampire reste une lecture récréative qui donne de bonnes pistes de lecture sur le sujet. On notera par exemple, les études faites par Jean Marigny (membre du Groupe d'Études et de Recherches sur le Fantastique et membre du Transylvanian Society of Dracula) ou encore Vampyre, le livre de John Polidori accessible gratuitement en anglais sur le site du Projet Gutenberg. 

Encore une fois, je ne saurai qu'applaudir le travail de La Clef d’Argent qui se soucie toujours de proposer des textes rares dans des éditions de belle facture. Ce qui est certain, c’est que je n’ai pas fini de vous parler de cette petite maison d’édition qui ne cesse de me surprendre et que j’ai à coeur de vous faire découvir...

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : La maison du vampire (House of the Vampire) 

  • Titre : La maison du vampire
  • Titre original : House of the vampire
  • Auteur : George Sylvester Viereck
  • Éditions : La Clef d’Argent
  • Traducteur : Jean Marigny
  • Présentation : Jean Marigny
  • Date de parution : Octobre 2003 (1ere édition)
  • Nombre de pages : 123 p.
  • ISBN : 2-908254-42-5

Le livre de la mort - Édouard Ganche


La mort nous fascine autant qu’elle nous terrifie. Pas étonnant que la littérature l’ait souvent étudiée. Ce recueil de nouvelles traitant de l’Éternelle triomphante selon l’expression d’Édouard Ganche, a cette particularité d’aborder la mort sous un angle original : à l’hôpital, à l’amphithéâtre, à la morgue ou au cimetière, la mort est ici présentée comme objet d’étude à part entière. Mais ne nous y trompons pas. Il est bel et bien question ici de la mort dans toute sa laideur et sa réalité. La mort dégoûte. La mort dérange. Elle est pourtant le destin inéluctable de tout être humain. Tel un cri de rage contre cette fatalité, ce livre est un moyen pour Édouard Ganche d’exorciser ses peurs et son sentiment d'injustice : « Pourquoi être toujours menacé par la souffrance, pourquoi mourir et surtout pourquoi donc naître ?... rage et malédiction de notre impuissance et de notre servitude !... Qui de la Vie ou de la Mort aurais-je blasphémé ?... Je l’ignorais même, l’une étant la raison de l’autre, par le stupide aveuglement des hommes. » p.103. l’Agonie.

« La hideur de notre corruption, la preuve tangible de notre anéantissement, l’impression dégagée de ce cadavre amenaient simultanément en mon âme de la répulsion, de la douleur et de la tristesse pour notre destinée. »  p.26. (Une autopsie à la morgue). Voilà l’une des raisons qui pourrait expliquer la naissance de ce livre. Très tôt exposé au macabre spectacle de la mort, Édouard Ganche s’intéresse dès son plus jeune âge à l’anatomie et à la médecine. C’est au décès de son père que lui vient l’envie d’écrire ce livre. Médecin de son premier métier tout comme son père, Édouard Ganche, porte un regard autant professionnel que passionné sur la mort. Il la craint (Et celle qui, partout accompagne la Mort, en vassale lige, la Peur, résidait là dans son royaume. Elle détraquait les cerveaux des vivants, et pour eux savait animer les faces des morts, les agiter dans leur suaire, les mettre debout, ondoyer les tentures et dans l’écartement de leurs draperies montrer des mains cadavériques et des têtes d’épouvantements. Elle aggripait aux épaules les hommes survenus et inaguerris à cette ambiance. Elle leur soufflait dans la nuque ses frissonnantes terreurs, gelait leurs moelles, les secouaient comme un arbrisseau dans la tempête et leur donnait l’insignifiance d’un fétu. p.82. L’opérée) mais ses descriptions révèlent une rigueur scientifique et un esprit matérialiste. Pour Ganche, la mort n’est pas une question de religion : profondémment athée, il était persuadé qu’"Afin de rendre supportable la perspective de la Mort, nombre d’hommes appellent à leur secours les spéculations de la philosophie et de la religion. Ils s’emplissent de conceptions imaginaires, rêvent de métempsychoses ou de résurrections, émettent des interférences fictives, se bercent dans l’hypothétique espoir d’un au delà, se consolent des tristesses de la misérabiblité de ce monde, de la nécessité de mourir, par l’expectative de revivre en des lieux de félicités. p.190. Les cimetières.


Les descriptions sont si réalistes que pour échapper au simple répertoriage des différentes manifestations de notre anéantissement, il était peut-être plus facile pour l’auteur de les mettre en mots sous formes de nouvelles. Le style empreinte évidemment au roman d’horreur et à la littérature fantastique (comme par exemple La cave aux cercueils) qui évoquent certainement les textes d’Edgar Poe, de Baudelaire ou Maurice Rollinat mais avec cette chose en plus qu’elles sont largement inspirées d’expériences réelles et d’hallucinations provoquées par la peur et l’angoisse d’une fin atroce. Obsédé par l’idée de s’éteindre un jour, Ganche trouve que "C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous les côtés et en mille formes diverses." p.185. Bossuet, Sermon sur la mort. Épigraphe de Les cimetières. Par ce livre, il souhaite quelque part lever le terrible tabou lié à la mort en montrant la décomposition et la pourriture de nos corps et de nos chairs dans ce qu’ils ont de plus réalistes. Car après tout : « L’individu mort, sa mémoire seule mérite d’être glorifiée et la véritable religion du souvenir est en soi, dans l’intimité des songes, dans la possession de l’image du disparu et d’objets ou d’oeuvres qui étaient siens, et non dans une parade de la douleur, dans l’ornement d’un charnier et l’apport de fleurs sur une charogne. » p.191. Les cimetières. Personnellement, les textes qui m’ont le plus marqué sont Une autopsie à la morgue, L’opérée, La cave aux cercueils et Les cimetières.

Publié pour la première fois en 1909 puis retiré de la distribution seulement quelques mois après sa sortie, cette version définitive du recueil voit le jour grâce à La Clef d’Argent (2012). Obéissant scrupuleusement aux volontés d’Édouard Ganche pour la publication de ce livre (retrait et ajout de parties de textes, corrections, ordre de classement des nouvelles...), l’éditeur en exhumant ces textes oubliés, régale ses lecteurs. Le travail passionné de recherche et de documentation de Philippe Gindre et de Philippe Gontier rend un superbe hommage à ces nouvelles du biographe de Chopin : les éléments de contextualisation et les documents proposés en fin d'ouvrage (biographie, étude, revues de presse de l’époque, présentation des dédicataires, informations au sujet du Transi de René de Châlons, sculpture dont la photo est utilisée en première de couverture) apportent en effet beaucoup de profondeur au Livre de la mort. Et l’on en apprécie que mieux toute sa teneur. Voici donc un ouvrage excellent que je recommande horriblement à la fois pour ses terrifiantes histoires et pour le formidable travail de l’éditeur.

Pour en savoir plus sur Édouard Ganche, rendez-vous sur son site dédié proposé par Philippe Gindre.


Edouard Ganche (1880-1945)


Et enfin, pour ceux qui veulent se frotter à la langue bien pendue du Nain Bavard sur le sujet, découvrez son article sur sa Taverne.

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Le Livre de la Mort

Crédit photographique : Transi de René de Châlons - Sculpture de Ligier-Richier - Photo d’Alerion (http://www.nuancesdegris.eu/viewtopic.php?f=36&t=3053)

Extraits :
Le cadavre d’un ennemi sent toujours bon. p.190. Apophtegme de Vitellius. Les cimetières.
Table

Le livre de la mort
Litanies de la mort
Une autopsie à la morgue
Le squelette
L’opérée
La tête de mort
L’agonie
La cave aux cercueils
La danse des morts
Enterrée vive
Le poussah
Amour et drame d’hôpital
Le syphilitique
Les cimetierres

Documents
L’ivre de la mort : Édouard Ganche (1880-1942)
La mort en face : Édouard Ganche en son temps
Réception du livre de la mort : Brève revue de presse de l’édition originale
Les dédicataires du livre de la mort
Le transi de René de Châlons : A propos de l’illustration de couverture

Dédicace :

A Pierre Nicolle du Quesnay

  • Titre : Le livre de la mort
  • Auteur : Edouard Ganche
  • Editions : La Clef d’Argent
  • Collection : KholekTh.
  • Date de parution : Février 2012
  • Nombre de pages : 269 p.
  • Couverture : Transi de René de Châlons (XVIe s.)
  • Textes établis par : Eric Poix et Philippe Gindre
  • Postfaces : Philippe Gindre et Philippe Gontier
  • ISBN : 979-10-90662-00-1

Saturne - Christophe Lartas

Saturne est un monstre sanguinaire qui s’est donné pour mission d’exterminer la race humaine. Partout où il passe, tout n’est que mort et désolation : il éclate les cranes, croque les corps, fouille les entrailles, viole les femmes, dévore les nourrissons... Foncièrement nihiliste, cette courte fiction raconte l’histoire d'un homme devenu monstre. Rien n’a plus de sens pour Saturne que la beauté de la nature : ses couleurs, ses paysages, ses plantes, ses animaux... En revanche, l’humanité est pour lui complètement absurde, tout comme les Dieux qu’elle a créé (« Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des Dieux » p.20). Saturne rêve d’un monde idéal sans hommes, ni Dieux car il ne craint pas la solitude. Mais qui est-il ? Pourquoi fait-il cela ? Ce monstre qui n’est pas sans évoquer le Dieu romain infanticide, sera t-il le Messie qui sauvera la terre ?

Particulièrement sombre, ce roman laisse une impression étrange : le style poétique aux accents lyriques tranche violemment avec les descriptions brutales des tueries de Saturne. Il faut avouer qu’il est difficile de savoir où Christophe Lartas veut mener son lecteur si l’on ne prête pas attention à sa dédicace faite à Lovecraft : « A Howard Phillips Lovecraft » p.5. Si l’on ne trouve aucune réponse aux questions qui ne manquent de se poser tout au long de cette lecture, on comprend soudainement la singulière cruauté de Saturne au regard de l’oeuvre de Lovecraft. En effet, le père du Mythe de Chtulhu était obsédé par l’insignifiance de l'homme dans l’immensité du cosmos. De la même façon que Lovecraft, Saturne constate que l’homme se prend pour le centre de l’univers alors qu’il n’est qu’un être ridicule. Incapable de comprendre ce qui le dépasse, l’homme a toujours eu recours aux Dieux pour expliquer l'insondable. Le monstre de Christophe Lartas est en quête d’une vérité qui ne peut éclater qu’à l’extinction de l’humanité. Ce récit pourrait au premier abord, passer pour un espèce de délire sans queue ni tête. Pourtant, il est ici donné au lecteur de mieux comprendre l’influence littéraire héritée de Lovecraft. S’il est vrai que certaines scènes et certains dialogues sont d’une violence inouie, Saturne est un brillant hommage rendu à la pensée lovecraftienne. Pour cela mais aussi pour la plume de Christophe Lartas (qui peut évidemment parfois choquer), je recommanderais la lecture de ce petit opuscule au format orginal et très joliment édité par La Clef d’Argent !

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Saturne

Citations :
Manger le coeur du poète fait ses délices : c’est là qu’était le vide. Pour cette fois, il n’absorbera pas la cervelle : il appréhende les miasmes de l’esprit qu’empoisonnent les mots. p.12

  • Titre : Saturne
  • Auteur : Christophe Lartas
  • Editions : La Clef d’Argent
  • Collection : NoKhThys
  • Date de parution : Décembre 2007
  • Nombre de pages : 78 p.
  • Couverture : Illustration de Fernando Goncalvès-Félix
  • ISBN : 978-2-908254-57-0


L'origine des espèces - Charles Darwin


L’origine des espèces, ouvrage largement controversé, fait partie de ces livres qui ont révolutionné le monde intellectuel. Partant de l’idée que les espèces n’ont pas été créées indépendamment les unes des autres mais qu’elles descendent d’autres espèces soumises à des différences interindividuelles susceptibles d’être transmises aux descendants (variations), Charles Darwin tente de prouver que les espèces sont le produit d’une évolution et non seulement un caractère définitif. En admettant que les variations peuvent s’expliquer en partie par les conditions extérieures (climat, alimentation...), Darwin montre que celles-ci sont également le résultat d’une coadaptation des êtres vivants tenant compte de leurs conditions de vie. Si l’on sait aujourd’hui que les résultats des mutations ne relèvent pas de modifications liées à l’environnement, cet ouvrage, résultat d’un long travail d’observation et d’expériences, est une oeuvre de référence dans l’histoire des sciences.

Publié dans sa première édition en 1858, L’origine des espèces a depuis sa sortie, provoqué de nombreuses polémiques (6 éditions successives). La présente édition introduite par Jean-Marc Drouin, tente de rendre le sens initial du texte (1ere édition) par une reconstitution du texte original (suppression de passages ajoutés au fil des éditions successives et ajout de traduction de passages supprimés par Darwin dans les différentes éditions). Comparé à juste titre à Copernic ou Galilée (cf. également La vie de Galilée de Berthold Brecht) qui ont en leur temps bouleversé les mentalités et secoué l'église, Darwin démontre que l’homme n’est pas un être divin et qu'il est le résultat d’une évolution laborieuse fondée sur la survie de l’espèce. A une époque où le monde est en pleine mutation (progrès technique dans de nombreux domaines tels que l’industrie, le commerce, la médecine...), ceux qu’on appelait les découvreurs, les explorateurs et les savants se multiplient. La botanique, l’entomologie, la biologie, le géologie.. se développent à toute vitesse. On assiste d’ailleurs à une véritable révolution industrielle qui a durablement laissé son empreinte dans nos sociétés modenes. Darwin tout comme ses contemporains et adversaires Linné (nomenclature binomiale), Lamarck (théorie de l’hérédité des caractère acquis) et bien d’autres, préfigurent l’avènement de nouvelles sciences..

Lire aujourd’hui L’origine des espèces permet d’appréhender avec recul les théories d’un autre temps. Bien sûr, le travail de Darwin n’est pas celui d’un seul homme mais il faut reconnaître au savant qu’il a marqué les esprits. De nos jours, tout le monde a fort probablement déjà entendu parler de la « sélection naturelle », de la « lutte pour l’existence », de la « loi sur la variation », de la « théorie de la descendance avec modification »... mais finalement, L’origine des espèces attire de nos jours peu de lecteurs car nous avons tous l’impression de déjà connaître le travail de Darwin. Pourtant, l’évolutionisme darwinien ne se réduit pas à l’idée que l’homme descend du singe. Non, ce n’est pas exactement ce qu’avance Darwin d’autant qu’il reconnait volontiers que certains de ses résultats sont réfutables et que la recherche dans le domaine reste encore à approfondir. Le propos du naturaliste est en effet modéré, illustré, argumenté. Darwin marche sur des oeufs car il a conscience que ses détracteurs l’attendent au tournant. A lire L’origine des espèces, on se sent comme plongé dans un vieux laboratoire fleurant le chloroforme... On se prend aussi à imaginer toutes sortes d’instruments étranges ou horribles qui peuplent les récits de la littérature steampunk. Sauf qu’il s’agit bien ici de science. On peut reprocher à Darwin sa démarche toute empirique et l’inexactitude de ses théories mais on ne peut sans doute pas récuser son intuition. Les questions qu’il soulève, relevaient jusqu’alors de l’indiscutable mais il a su se montrer critique et même convaincant : pourquoi l’Homme serait-il le sommet du règne animal ? Pourquoi certaines espèces ont disparu à la faveur de nouvelles espèces ? Qu’en est-il des caractères héréditaires ? Quelles lois régissent les différents règnes ? Quelles différences existe t-il entre les genres, les espèces, les sous-espèces, les variétés ? Quelle classification est-elle la plus pertinente ? Et bien d’autres questions encore... Darwin est un spécialiste insatiable dont l’ambition a guidé les pas vers la postérité. Si la plupart des gens prennent pour acquis les principes de la génétique, n’oublions pas que nous lui devons en partie la découverte de cette science. Alors lire cet ouvrage est un peu pour moi rendre hommage à l’immense travail d’observation et d’expérimentation de son créateur.

Evidemment, on ne lit pas L’origine des espèces comme on lirait un roman : les innombrables descriptions des expériences peuvent lasser le lecteur mais d’après moi, l’intuition de Darwin constitue aussi ce qui a fait le succès de son oeuvre. L’espèce de naïveté qui par ailleurs se dégage du texte est plaisant et le style parfaitement accessible. La seule difficulté que m’a posé cette lecture, reste l’utilisation excessive des termes espèce, famille, genre, ordre et classe qui a parfois brouillé ma compréhension. Ceci dit, c’est toujours agréable et passionant de se pencher sur des textes de référence...

Pour ceux qui voudraient tenter cette lecture, notez que L’origine des espèces est accessible gratuitement via le site ebooksgratuits ou sur le site InLibroVeritas.

Et pour ceux qui voudraient se procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : L'Origine des espèces

Extraits :
Ordinairement le terme espèce implique l’élément inconnu d’un acte de création distinct. Il est presque aussi difficile de définir le terme variété ; toutefois, ce terme implique presque toujours une communauté de descendance, bien qu’on puisse rarement fournir les preuves. Nous avons aussi ce que l’on nomme monstruosités ; mais elle se confondent avec les variétés. En se servant du mot monstruosité, on veut dire, je pense, une déviation considérable de conformation, ordinairement nuisible ou tout au moins peu utile à l’espèce. p.92 (De la variation à l’état de nature)

Introduction  de Jean-Marc Drouin

I - Histoire naturelle et théorie de l’évolution avant Darwin
II - Esquisse biograhique
III - Querelles et controverses


Table des matières

Chapitre I : De la variation à l’état domestique

Chapitre II : De la variation à l’état de nature

Chapitre III : La lutte pour l’existence

Chapitre IV : La sélection naturelle

Chapitre V : Des lois de la variation

Chapitre VI Difficultés de la théorie

Chapitre VII : Instinct

Chapitre VIII : Hybridité

Chapitre IX : Insuffisance des archives géologiques

Chapitre X : De la succession généalogique des êtres organisés

Chapitre XI : Distribution géographique

Chapitre XII : Distribution géographique (suite)

Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés : morphologie ; embryologie, organes rudimentaires

Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion

  • Titre : L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie
  • Titre original : On the Origin of the Species by Means of Natural Selection or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for life
  • Auteur : Charles Darwin
  • Editions : GF-Flammarion
  • Date de parution : 1992
  • Nombre de pages : 604 p.
  • Couverture : Tortue marine. Dessin de Aloys Zötl, 1867
  • ISBN : 2-08-070685-3

Texte établi par Daniel Becquemart à partir de la traduction de l’anglais d’Edmond Barbier. Introduction, chronologie, bibliographie par Jean-Marc Drouin.