L’œuvre cauchemardesque héritée de Franz Kafka a alimenté bien de thèses et de débats parmi les intellectuels de notre siècle. A tel point que l''adjectif "kafkaïen" est passé dans le langage courant. Mais que signifie exactement ce terme trop souvent galvaudé ? Qui se cache derrière l'auteur fuyant ? On connait Kafka pour son angoisse de l'aliénation et son délire de persécution. En témoignent ses singuliers récits comme La Métamorphose, Le Procès ou La Colonie pénitentiaire. Mais au delà de ces aspects, Kafka est aussi réputé pour sa relation ambivalente aux femmes, sa relation complexe à la Tchécoslovaquie et son désamour, voire sa terreur pour la figure du père. Comment s'est écrite la légende kafkaïenne ? Comment la République tchèque a t-elle enfin reconnu son fils étrange ? Publiée pour la première fois aux États-Unis en 1993, cette étude biographique "for beginners" de David Zane Mairowitz se démarque des productions prolifiques sur Kafka par ses propos pertinemment documentés et ses illustrations uniques signées par Robert Crumb...
© Robert CrumbKafka de David Zane Mairowitz, une biographie richement documentée
Nul n'est besoin d'être "kafkologue" pour savoir que Kafka était complexe sur bien de points. Comme le souligne David Zane Mairowitz grâce à l'ancrage de son travail dans le contexte politique et historique du ghetto de Prague pendant l'Empire, l'un des principaux facteurs de l'auto-dénigrement de Kafka vient pour une grande part de l'environnement socio-culturel dans lequel il a baigné toute sa vie. En effet, "Pour quelqu'un comme Kafka, Thèque de langue allemande, se constituer une identité claire n'était pas des plus facile. Il va sans dire que, pour un juif, la vie était un équilibre difficile à trouver dans un tel environnement. On s'identifiait d'abord à la culture allemande, mais on vivait parmi les Tchèques. On parlait allemand parce que c'était proche du yiddish et que c'était la langue officielle de l'Empire. Le nationalisme tchèque prenait l'ascendant sur la domination allemande et, de façon générale, les Allemands traitaient les Tchèques avec mépris. Et bien sûr, tout le monde haïssait les juifs." A cet égard, difficile de comprendre l'auteur sans s'attacher à cet aspect. Vient ensuite la question l'enfermement liée au ghetto de Prague, "cellule forteresse" de Kafka et le mythe antisémite du "meurtre rituel" qui plonge Kafka dans une "dualité entre la mélancolie la plus noire et l'humiliation de soi" presque toujours à l’œuvre dans ses récits. Citons encore la figure terrible du père contre laquelle Kafka n'a jamais osé se révolter (cf. Lettre au père qui contient en substance toute l'essence de la littérature kafkaïenne et qui n'a jamais trouvé son destinataire) et la relation ambigüe aux femmes de Kafka (cf. déni de ses désirs qu'il juge comme sales). Autant d'éléments fondateurs de la personnalité de Kafka que Mairowitz revisite en profondeur en s'appuyant sur des faits précis et sur l'étude poussée des textes de l'auteur praguois. Bref, une étude passionnante qui malgré quelques longueurs à mon goût (cf. la relation de Kafka avec les femmes) relève autant d'une démarche littéraire motivée que d'une démarche documentaire perspicace...
Kafka selon Robert Crumb, une biographie pertinemment illustrée qui magnifie l'étude de Mairowitz
Et parce que c'est toujours un exercice difficile que d'assurer une vraie cohérence entre le texte et les illustrations, on saluera vivement la superbe interprétation graphique de Robert Crumb, à la fois fidèle à l'esprit de l'univers kafkaïen et intelligente par la sélection des séquences à illustrées... Pour conclure, voici un titre découvrir de toute urgence...
Enfin, si votre librairie est en rupture de stock, notez que vous pouvez vous procurer ce livre sur Amazon via le lien suivant : Kafka.
- Titre : Kafka
- Scénario : David Zane Mairovitz
- Illustrations : Robert Crumb
- Adaptation française : Jean-Pierre Mercier
- Éditeur : Actes Sud
- Collection : Actes Sud BD
- Date de parution : janv. 2007 (parution originale : 1993)
- ISBN : 978-2-7427-6573-7
- Crédits photographiques : © Robert Crumb
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