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Le livre de la mort - Édouard Ganche


La mort nous fascine autant qu’elle nous terrifie. Pas étonnant que la littérature l’ait souvent étudiée. Ce recueil de nouvelles traitant de l’Éternelle triomphante selon l’expression d’Édouard Ganche, a cette particularité d’aborder la mort sous un angle original : à l’hôpital, à l’amphithéâtre, à la morgue ou au cimetière, la mort est ici présentée comme objet d’étude à part entière. Mais ne nous y trompons pas. Il est bel et bien question ici de la mort dans toute sa laideur et sa réalité. La mort dégoûte. La mort dérange. Elle est pourtant le destin inéluctable de tout être humain. Tel un cri de rage contre cette fatalité, ce livre est un moyen pour Édouard Ganche d’exorciser ses peurs et son sentiment d'injustice : « Pourquoi être toujours menacé par la souffrance, pourquoi mourir et surtout pourquoi donc naître ?... rage et malédiction de notre impuissance et de notre servitude !... Qui de la Vie ou de la Mort aurais-je blasphémé ?... Je l’ignorais même, l’une étant la raison de l’autre, par le stupide aveuglement des hommes. » p.103. l’Agonie.

« La hideur de notre corruption, la preuve tangible de notre anéantissement, l’impression dégagée de ce cadavre amenaient simultanément en mon âme de la répulsion, de la douleur et de la tristesse pour notre destinée. »  p.26. (Une autopsie à la morgue). Voilà l’une des raisons qui pourrait expliquer la naissance de ce livre. Très tôt exposé au macabre spectacle de la mort, Édouard Ganche s’intéresse dès son plus jeune âge à l’anatomie et à la médecine. C’est au décès de son père que lui vient l’envie d’écrire ce livre. Médecin de son premier métier tout comme son père, Édouard Ganche, porte un regard autant professionnel que passionné sur la mort. Il la craint (Et celle qui, partout accompagne la Mort, en vassale lige, la Peur, résidait là dans son royaume. Elle détraquait les cerveaux des vivants, et pour eux savait animer les faces des morts, les agiter dans leur suaire, les mettre debout, ondoyer les tentures et dans l’écartement de leurs draperies montrer des mains cadavériques et des têtes d’épouvantements. Elle aggripait aux épaules les hommes survenus et inaguerris à cette ambiance. Elle leur soufflait dans la nuque ses frissonnantes terreurs, gelait leurs moelles, les secouaient comme un arbrisseau dans la tempête et leur donnait l’insignifiance d’un fétu. p.82. L’opérée) mais ses descriptions révèlent une rigueur scientifique et un esprit matérialiste. Pour Ganche, la mort n’est pas une question de religion : profondémment athée, il était persuadé qu’"Afin de rendre supportable la perspective de la Mort, nombre d’hommes appellent à leur secours les spéculations de la philosophie et de la religion. Ils s’emplissent de conceptions imaginaires, rêvent de métempsychoses ou de résurrections, émettent des interférences fictives, se bercent dans l’hypothétique espoir d’un au delà, se consolent des tristesses de la misérabiblité de ce monde, de la nécessité de mourir, par l’expectative de revivre en des lieux de félicités. p.190. Les cimetières.


Les descriptions sont si réalistes que pour échapper au simple répertoriage des différentes manifestations de notre anéantissement, il était peut-être plus facile pour l’auteur de les mettre en mots sous formes de nouvelles. Le style empreinte évidemment au roman d’horreur et à la littérature fantastique (comme par exemple La cave aux cercueils) qui évoquent certainement les textes d’Edgar Poe, de Baudelaire ou Maurice Rollinat mais avec cette chose en plus qu’elles sont largement inspirées d’expériences réelles et d’hallucinations provoquées par la peur et l’angoisse d’une fin atroce. Obsédé par l’idée de s’éteindre un jour, Ganche trouve que "C’est une étrange faiblesse de l’esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente, quoiqu’elle se mette en vue de tous les côtés et en mille formes diverses." p.185. Bossuet, Sermon sur la mort. Épigraphe de Les cimetières. Par ce livre, il souhaite quelque part lever le terrible tabou lié à la mort en montrant la décomposition et la pourriture de nos corps et de nos chairs dans ce qu’ils ont de plus réalistes. Car après tout : « L’individu mort, sa mémoire seule mérite d’être glorifiée et la véritable religion du souvenir est en soi, dans l’intimité des songes, dans la possession de l’image du disparu et d’objets ou d’oeuvres qui étaient siens, et non dans une parade de la douleur, dans l’ornement d’un charnier et l’apport de fleurs sur une charogne. » p.191. Les cimetières. Personnellement, les textes qui m’ont le plus marqué sont Une autopsie à la morgue, L’opérée, La cave aux cercueils et Les cimetières.

Publié pour la première fois en 1909 puis retiré de la distribution seulement quelques mois après sa sortie, cette version définitive du recueil voit le jour grâce à La Clef d’Argent (2012). Obéissant scrupuleusement aux volontés d’Édouard Ganche pour la publication de ce livre (retrait et ajout de parties de textes, corrections, ordre de classement des nouvelles...), l’éditeur en exhumant ces textes oubliés, régale ses lecteurs. Le travail passionné de recherche et de documentation de Philippe Gindre et de Philippe Gontier rend un superbe hommage à ces nouvelles du biographe de Chopin : les éléments de contextualisation et les documents proposés en fin d'ouvrage (biographie, étude, revues de presse de l’époque, présentation des dédicataires, informations au sujet du Transi de René de Châlons, sculpture dont la photo est utilisée en première de couverture) apportent en effet beaucoup de profondeur au Livre de la mort. Et l’on en apprécie que mieux toute sa teneur. Voici donc un ouvrage excellent que je recommande horriblement à la fois pour ses terrifiantes histoires et pour le formidable travail de l’éditeur.

Pour en savoir plus sur Édouard Ganche, rendez-vous sur son site dédié proposé par Philippe Gindre.


Edouard Ganche (1880-1945)


Et enfin, pour ceux qui veulent se frotter à la langue bien pendue du Nain Bavard sur le sujet, découvrez son article sur sa Taverne.

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Le Livre de la Mort

Crédit photographique : Transi de René de Châlons - Sculpture de Ligier-Richier - Photo d’Alerion (http://www.nuancesdegris.eu/viewtopic.php?f=36&t=3053)

Extraits :
Le cadavre d’un ennemi sent toujours bon. p.190. Apophtegme de Vitellius. Les cimetières.
Table

Le livre de la mort
Litanies de la mort
Une autopsie à la morgue
Le squelette
L’opérée
La tête de mort
L’agonie
La cave aux cercueils
La danse des morts
Enterrée vive
Le poussah
Amour et drame d’hôpital
Le syphilitique
Les cimetierres

Documents
L’ivre de la mort : Édouard Ganche (1880-1942)
La mort en face : Édouard Ganche en son temps
Réception du livre de la mort : Brève revue de presse de l’édition originale
Les dédicataires du livre de la mort
Le transi de René de Châlons : A propos de l’illustration de couverture

Dédicace :

A Pierre Nicolle du Quesnay

  • Titre : Le livre de la mort
  • Auteur : Edouard Ganche
  • Editions : La Clef d’Argent
  • Collection : KholekTh.
  • Date de parution : Février 2012
  • Nombre de pages : 269 p.
  • Couverture : Transi de René de Châlons (XVIe s.)
  • Textes établis par : Eric Poix et Philippe Gindre
  • Postfaces : Philippe Gindre et Philippe Gontier
  • ISBN : 979-10-90662-00-1
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