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Les possédés - Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski

Dans cette Russie de 1870, une province de libéraux devient le théâtre d'événements tragiques : Varvara Petrovna, la Générale, héberge depuis 20 ans Stepan Trofimovitch Verkhovenski, l'ancien précepteur de son fils. Mais la tranquillité de cette petite société bienséante est soudain troublée par l'arrivée de Nicolas Vselodovitch Stavroguine (fils de le Générale) et de Pitor Stepanovitch Verkhovenski (fils de l'ancien précepteur). Ce dernier, distillant des idées révolutionnaires afin de renverser le pouvoir établi, souhaite mettre à la tête de son mouvement Nicolas Vselodovitch dont l'étrange charisme, pense t-il, servira ses desseins. La ville est alors secouée de scandales : complots, manipulations, trahisons, Piotr Verkhovenski est prêt à tout pour parvenir à ses fins (mensonges, meurtres). Malheureusement pour lui tout ne se passe pas comme prévu car tous les protagonistes de l'histoire sont possédés...


La naissance de l’œuvre


Publié pour la première fois en 1871, Les possédés ou Les démons (selon les traductions) sont le résultat d'un processus d'écriture complexe : " L’œuvre naquit dans les affres d'une création douloureuse ; l'auteur était littéralement possédé par son idée qui lui commandait et le menait dans les directions les plus imprévues, lui faisant découvrir des horizons inconnus, des paysages terrifiants" (p.564). Les carnets de travail laissés par l'auteur témoignent de ses travaux de recherche et révèlent ses hésitations, ses doutes et ses contradictions. D'après les commentaires de l'éditeur, Dostoeïsvki, mu par son instinct nationaliste, souhaitait exprimer ses craintes sur le destin de la Russie en dénonçant les mouvements révolutionnaires influencés par le libéralisme de l'Europe occidentale et l'athéisme. S'inspirant de l'affaire de Netchaïev comme point de départ de son roman, Dostoïevski concerné par tous les courants d'opposition, défend l'idée d'une Russie portée par " un homme russe nouveau " entâchée par celle d'une Russie peu à peu gangrenée par le socialisme et le nihilisme. Ainsi, " Enclin à une vision apocalyptique et manichéenne de l'histoire, Dostoiesvki voyait donc proche le moment où allait s'ouvrir au grand jour le combat entre les forces positives de l'homme russe nouveau et les puissances ténébreuses de la révolution et de l'athéisme." p.563. Conscient que son oeuvre ne pouvait pas représenter les forces en opposition sur la seule base de son idée initiale, l'auteur décide au risque de soulever la colère, de développer son roman en " sacrifiant " son pamphlet à la polémique...


Dostoïesvski, un romancier de l'idée



L'affaire Netchaïev (cf. Le catéchisme du révolutionnaire du même Netchaïev) qui a servi d'intrigue au roman, n'a qu'une fonction secondaire dans le développement des Possédés. Si Dostoiesvski s'en est servi comme intrigue de départ, c'est parce qu'ayant lui-même été condamné à mort et envoyé au bagne en Sibérie (1849-1854) pour avoir fait partie du cercle de Petrachevski, il reconnaissait le danger du socialisme. Ainsi, ses personnages en proie à des conflits idéologiques, sont-ils possédés par des démons particulièrement capricieux. Le thème de la possession chez Dostoïevski est remarquable en ce sens que ses personnages souffrent tous d'une dualité parfois incompréhensible. A tel point, qu'ils peuvent parfois paraître caricaturaux ou qu'ils peuvent passer pour de vrais schizophrènes : Stepan Strofimovitch, Varvara Petrovna, Nicolas Vseledovitch, Piotr Stepanovitch, Ivan Chatov, Kirilov, Lipoutine, Chigalev, Virguinski, Liamchine, Fedka, Lebiadkine, le couple des Lembke... sont tous "victimes" de leur possession/idée. Démon du socialisme athée, nihisme révolutionnaire ou encore superstition religieuse, les Possédés sont déchirés par des forces destructrices dont ils ne soupçonnent pas toujours la portée. Les personnages représentés incarnent d'ailleurs un bon échantillon des pensées en vogue dans la Russie des années 1870. Et Dostoievski profitant que " La vie littéraire de la Russie du XIXe siècle était le théâtre de polémiques particulièrement violentes ; la critique littéraire était en effet l'un des moyens les plus fréquemment utilisés pour exprimer des opinions politiques en déjouant la surveillance de la censure. " p.568, embraye pour prévenir du destin tragique vers lequel court la Russie. Évidemment, la folie qui frappe tous les possédés de ce roman reflète non seulement un esprit conservateur et nationaliste mais elle s'avère également être une critique particulièrement cinglante de tous les endoctrinements (Est-il possible que jusqu'à présent vous n'ayez pas compris Kirilov, avec votre intelligence que tous les hommes sont pareils, qu'il n'y a ni meilleur ni pire mais seulement plus intelligent et plus bête, et que si tous sont des crapules (ce qui est d'ailleurs faux), c'est donc qu'il ne doit même pas y avoir de non-crapule ? " p. 510). Les réflexions que soulèvent ce romans sont d'ailleurs si nombreuses qu'il est difficile pour moi de toutes les évoquer (il existe déjà en ligne d'innombrables chroniques sur le livre).

Pour conclure, je dirais donc simplement que Les Possédés est une lecture ardue qui exige une connaissance de la biographie de Dostoïevski, une compréhension du contexte social (réforme paysanne et abolition du servage des moujiks), politique (règne de l'empereur de Russie Alexandre II) et religieux (croyance en l'église orthodoxe) de la Russie de la fin du XIXe siècle. Cette lecture nécessite également une appropriation des techniques narratives de l'auteur : la multitude des personnages (dont les noms sont pour nous difficiles à retenir) ainsi que les nombreux scénarios catastrophe qui ponctuent la fin de chaque chapitre, demandent par exemple beaucoup d'attention mais une fois toutes ces contraintes surmontées, le plaisir de la lecture est sans conteste au rendez-vous... 

Pour aller plus loin, vous pouvez toujours lire cet intéressant article de la revue Chameaux sur une lecture nietzschéenne du suicide de Kirilov (un personnage que j'ai trouvé assez déconcertant). Sinon, la version PDF du livre en ligne sur Lirenligne.net.

Enfin, afin d'appréhender au mieux le ténébreux personnage de Stavroguine, je recommande vivement de lire La confession de Stavroguine dont vous trouverez le texte intégral en ligne sur Wikisource.

Pour vous procurer le livre via Amazon, rendez-vous sur le lien suivant : Les Possédés

 

Extraits :


On n'a jamais rien pour rien. Si nous travaillons, nous aurons une opinion à nous. Mais comme nous ne travaillons jamais, ce sont ceux qui jusqu'à présent ont travaillé à notre place qui auront une opinion pour nous, c'est à dire toujours cette même Europe, toujours ces mêmes allemands, nos maîtres depuis deux cents ans. Par surcroît, la Russie est un trop grand malentendu pour que nous puissions en venir à bout seuls, sans les allemands et sans travailler. p.40. A propos des craintes de Dostoievski sur l'avenir de la Russie.


- La première chose. Il y a deux catégories : ceux qui se tuent soit par chagrin, soit par dépit, soit les fous, ou n'importe... Ceux-là c'est subitement. Ceux-là pensent peu à la souffrance mais le font subitement. Et ceux qui le font par raison, ceux-là pensent beaucoup. - Mais est-ce qu'il y en a qui le font par raison ? Énormément. S'il n'y avait pas le préjugé, il y en aurait davantage ; énormément ; tous. p.102. A propos du suicide (dialogue sur le suicide entre Chatov et le chroniqueur)


Notre libéral russe est avant tout un laquais et il ne cherche que quelqu'un à qui cirer les bottes. p.121. Chatov au chroniqueur.


Mais comprends-tu, lui criais-je, comprends-tu que si vous avez mis la guillotine au premier plan, et avec tant d'enthousiasme, c'est uniquement parce que trancher les têtes est la chose la plus facile et avoir une idée est la chose la plus difficile ! p.185. Le chroniqueur à Stepan Trofimovitch 


Je vais vous faire rire : la première chose qui agit énormément c'est l'uniforme (...) Puis la force suivante, c'est bien entendu, la sentimentalité. Vous savez chez nous, le socialisme se répand principalement par sentimentalité (...) et enfin la force principale - le ciment qui lie tout - c'est la honte de son opinion personnelle. p.323. Piotr Stepanovitch à Nicolas Vselodovitch. 


De son côté, chacun des groupes actifs, faisant des prosélytes et s'étendant à l'infini par des ramifications latérales, a pour tâche par une propagande systématique de dénonciation, de saper le prestige des autorités locales, de provoquer dans la population le doute, de faire naître le cynisme et le scandale, l'incroyance absolue en toute chose, la soif d'un sort meilleur et enfin même s'il le faut, se servant de l'incendie comme d'un moyen populaire par excellence, de plonger le pays au moment prescrit dans le désespoir. p. 454


- Parce que lire un livre et le faire relier sont deux stades tout à fait différents de l'évolution. D'abord, il s'y habitue petit à petit à lire, pendant des siècles bien entendu, mais il abime le livre et le laisse trainer, ne le considérant pas comme une chose sérieuse.or, seulement il a appris à aimer la lecture mais qu'il l'a reconnue pour une chose sérieuse. la Russie n'en est pas encore à ce stade. L'Europe relie les livres depuis longtemps. p. 480


Pour moi, il n'y a rien de plus haut que l'idée que Dieu n'existe pas. J'ai pour moi l'histoire de l'humanité. L'homme n'a fait qu'inventer Dieu pour vivre sans se tuer ; toute l'histoire universelle est là. Moi seul pour la première fois dans l'histoire universelle, je n'ai pas voulu inventer Dieu. Qu'on le sache une fois pour toutes. p. 513 Kirilov

Détails bibliographiques


  • Titre : Les possédés
  • Auteur : Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski
  • Éditions : Le livre de poche
  • Collection : Classique
  • Traduction : Elisabeth Guertik
  • Présentation et commentaires : Georges Philippenko
  • Nombre de pages : 571 p.
  • Couverture : Peinture de P.-D. Korin D.R.
  • ISBN : 2-2253-01825-2
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2 commentaires :

  1. j'ai hate de lire les romans de fiodor
    la sensation de vivre avec les evenement du 18eme
    je m'enseignerai la langue russe ss hesitation dés l'occasion se permet pour mieux comprendre l'histoire russe

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  2. Oui, la Russie compte parmi ses auteurs de ces génies littéraires qui permettent d'appréhender son histoire.
    Pour exemple voici quelques titres qui pourront vous intéresser : http://embuscades-alcapone.blogspot.fr/search/label/Russie

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