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Alta Rocca - Philippe Pujol

La "vendetta", ce code d'honneur fondé sur le tribut du sang qui déchire les sociétés claniques depuis des temps immémoriaux, fait partie intégrante de la tradition corse. Pour son premier roman, Philippe Pujol a pris pour décor la région montagneuse corse de l'Alta Rocca : en ce milieu des années 1800, la célèbre lignée des mangeurs d'ours (Manghjà Orso) est mise à mal par les guerres intestines qui déciment les clans rivaux et par la terreur semée par des bandits sans foi, ni loi. Alors que le Vatican essaie d'étendre son influence sur l'île de beauté et que les Français s'amusent de ses guerres de clans, Orso et Giovanni, les 2 derniers descendants mâles du clan aux 7 mères et aux 7 sœurs, restent les seuls à pouvoir changer le cours de l'histoire... Mais sauront-ils enfreindre la loi du silence (omerta) et mettre fin au cycle infernal des vendettas ? 

Navigant entre l'histoire et la légende, cette tragédie corse aux accents de western à la "Corsica Nostra", s'inspire largement des récits rapportés par la grand-mère de l'auteur. De cette transmission orale si chère à la culture corse, Philippe Pujol a quelque part transgressé cette tradition orale par l'écriture de ce roman qui réconcilie tradition et modernité dans un savant mélange de rêve et de réalité... Bref, un exercice de style risqué auquel le lauréat du Prix d'Albert Londres 2014 s'est prêté avec cette appréciable humilité que j'ai eu l'impression de retrouver à travers ces quelques pensées d'Orso : "Les enfants ne se parlaient plus, ne se regardaient plus. Pas plus avec des adultes. Ils ne regardaient plus passer les nuages, n'observaient plus le lit d'une rivière, n'écoutaient plus le cri des animaux. Ils rechignaient à aider, s'ennuyaient même entre eux si aucun livre n'avait été apporté. Les montagnes étaient vidées de leurs gosses, ces garnements qui jadis apprenaient en arpentant les quelques saisons de leur enfance tout ce qui leur servirait pour le restant de leur vie. On déléguait ça aux livres, on en confisquait la transmission aux parents. On figeait les histoires sur du papier blanc et l'Histoire ne serait plus contestable. Ou plutôt, elle ne serait plus adaptable. La tyrannie de l'Histoire, pour Orso, s'installait par les livres. La contestation passerait par ces petites évolutions qu'espéraient réussir les bandites. Faire de sa langue l'outil du peuple pour infléchir un destin entravé dans des coutumes désuètes juste en le faisant passer sous la terrible et tranchante lame du progrès. Orso aimait à raconter le livre qu'il apprenait par cœur. L'oralité a cela de précis par rapport à l'écrit qu'elle s'adapte plus facilement à l'auditoire, pensait-il. Il décida de dire son livre à Salvo. L'enfant, en un instant, lui démontra qu'il s'était trompé." (p. 245). Pari réussi donc pour ce roman corse que je vous invite à découvrir...


Détails bibliographiques

Titre : Alta Rocca
Auteur : Philippe Pujol
Éditeur : Seuil
Date de parution : Juin 2020
Nombre de pages : 281 p.
Couverture : Illustration d'Erwann Denis © CSA Images via Getty Images
ISBN : 978-2-02-137830-6

 

 

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