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L'amour aux temps du choléra - Gabriel Garcia Marquez

Nous sommes à la fin du XIXe siècle dans un petit village des Caraïbes. Alors que les guerres se succèdent et que l'épidémie de choléra menace à chaque instant d'éclater, les destins de ses habitants se lient et se délient au fil de l'histoire. Florentino Ariza est un jeune télégraphe taciturne, dont la première rencontre avec Fermina Daza allait bouleverser l'existence entière. Dès le premier instant où Florentino Ariza rencontre Fermina Daza, il sut qu'elle serait la femme de sa vie. Entre les deux jeunes gens nait un amour platonique ponctué de poésie. Pourtant, contrairement à toutes les attentes, la belle est promise au jeune et riche docteur Juvenal Urbino. Contrariée par la décision de son père, Fermina Daza affronte cependant les obligations de la vie conjugale avec l'arrogance et le panache qui la caractérisent. Ayant tiré un trait sur son amour d'adolescence, elle abandonne à son sort Florentino (Pauvre homme, dira t-elle toute sa vie à chaque fois qu'elle le voit). Mais c'est sans compter sur la pugnacité et l'amour immodéré de son éternel prétendant : Florentino consacrera toute sa vie à reconquérir le coeur de sa déesse couronnée. Malade d'amour, il multiplie les conquêtes mais rien ne le guérira de cette empreinte indélébile laissée par la farouche Fermina. L'histoire de L'amour aux temps de cholera est celle de cet amour impossible qui durera plus de cinquante ans.

Comme à son habitude, Gabriel Garcia Marquez ne laisse aucun répit à son lecteur : les événements s'enchaînent sur un ryhtme effrené, le récit est dense, les histoires s'imbriquent les unes aux autres tel un puzzle à mille pièces, les personnages sont nombreux, chaque chapitre est un pavé... L'amour mais aussi la vieillesse, tels sont les deux sujets abordés par L'amour aux temps du choléra. Le roman est triste, dramatique, cocasse, drôle parfois, et bien que le texte m'ait parfois paru long, j'ai vite pardonné à Marquez sa prolixité au bénéfice de son talent de conteur. Il est vrai que l'histoire de cet amoureux transi qui attend sa dulcinée pendant cinquante ans peut sembler mièvre mais lorsque l'histoire est racontée par Marquez, elle prend un autre sens. La sensibilité de l'auteur me touche et je trouve que sa manière de mettre en scène les destins de ses personnages réserve toujours des surprises et de l'espoir aussi. La vieillesse telle qu'elle est envisagée par Marquez m'a émue et ce roman est l'un des plus beaux hymnes à l'amour que j'ai pu lire jusqu'ici. J'ai moins apprécié L'amour aux temps du choléra que Cent ans de solitude, mais ce roman aux allures romantiques peut surprendre agréablement ceux qui ne s'arrêteront pas à cela.

Extraits :
Mais il eut l'intime conviction que les êtres humains ne naissent pas une fois pour toutes à l'heure où leur mère leur donne le jour, mais que la vie les oblige de nouveau et bien souvent à accoucher d'eux-mêmes. p.228
Transito Ariza (la mère de Florentino) avait l'habitude de dire : "La seule maladie qu'a eue mon fils, c'est le choléra." Elle confondait bien sûr, amour et choléra, et ce bien avant que s'embrouillât sa mémoire. p.301

Epigraphe : 
Sur les chemins qui s'ouvrent ici va une déesse couronnée. Leandro Diaz

Titre : L'amour aux temps du choléra
Auteur : Gabriel Garcia Marquez
Titre original : El amor en los tiempos del colera
Traduction : Anne Morvan
Editions : Livre de poche
Date de parution : 1987 chez Grasquet et Flasquelle
Date de parution originale : 1985
Nombre de pages : 475 p.

Ulysse from Bagdad - Éric Emmanuel Schmitt

Ulysse from Bagdad, raconte le voyage de Saad, un jeune Bagdadi fuyant la dictature de Saddam Hussein. Alors que Saad était promis à un avenir brillant, sa vie bascule dans l'horreur : avec la guerre Iran-Irak (1980-1988) et la seconde guerre du Golfe (1990-1991) sanctionnée par le blocus américain sur le pays, Saad voit mourir ses proches les uns après les autres. Saad qui signifie "triste" ou "espoir" selon si l'on retient la traduction anglaise ou arabe, décide de braver tous les obstacles pour aller s'installer à Londres. Il espère y trouver un asile où il pourra travailler pour subvenir aux besoins de sa famille restée en Irak. Apprenti terroriste, puis transporteur d'antiquités à Bagdad, gigolo de fortune au Caire, fiancé en Sicile, accueilli en France par les partisans du combat pour les sans-papiers, Saad poursuit sans relâche un rêve qui ne cessera de l'obséder. A travers cet exil, il cherche un sens à sa vie, lui qui désormais n'est plus qu'un clandestin. Aidé durant son périple par les apparitions de son père, Saad mène un combat dont l'issue ne dépendra que de lui. De tout ce qui constitue le quotidien des clandestins : la faim, la pauvreté, les interrogatoires, les passages à tabac, l'humiliation, le racisme, rien n'est épargné au jeune homme. Pourtant la réponse à ses souffrances, se trouve en lui. Il n'appartient qu'à lui de choisir sa destinée : celle d'un Saad triste ou celle d'un Saad, qui symboliserait l'espoir...

Calquant son histoire sur certains épisodes de l'Odyssée d'Ulysse, Eric-Emmanuel Schmitt soulève au délà du thème des clandestins et de la guerre en Irak, la question de l'identité : si ce roman peut sembler banal au premier abord, j'ai trouvé qu'il abordait avec finesse, un sujet bien plus large qu'il n'y parait. Ainsi "L'homme lutte contre la peur mais, contrairement à ce qu'on répète toujours, cette peur n'est pas celle de la mort, car la peur de la mort, tout le monde ne l'éprouve pas, certains n'ayant aucune imagination, d'autres se croyant immortels, d'autres encore espérant des rencontres merveilleuses après leur trépas ; la seule peur universelle, la peur unique, celle qui conduit toutes nos pensées, c'est la peur de n'être rien. p.231 A mon sens, cette fuite, cet exil de Saad n'est que le décor nécessaire à Schmitt pour questionner son lecteur car finalement, peu importe les épreuves affrontées par le héros. Peut-être que je me trompe sur le sens donné à ce roman mais il me plait de penser que Schmitt souhaitait avant tout contextualiser sa réflexion. Il n'y a qu'à suivre les dialogues entre le fils et le père (que j'ai lus avec grand plaisir). Bien sûr, on aime ou on aime pas et l'écriture de Schmitt toujours empreinte de moralisme et de philosophie, peut agacer. Mais pour ma part, j'ai été touchée par ce roman qui a bien plus à donner que ce que l'on peut croire. J'ai trouvé le parallélisme avec les aventures d'Ulysse bien choisi et cela m'a donné envie de découvrir l'Illiade et l'Odyssée d'Homère. Peut-être est-ce un bon raccourci pour ceux qui n'aiment pas Schmitt ? Moi, ce livre m’a plu.

Pour vous faire votre propre idée, je vous invite à découvrir ce titre en vous le procurant sur AMazon via le lien suivant : Ulysse from Bagdad.

Extraits


« Chez nous, les palmiers donnent le mauvais exemple. Comment le palmier pousse t-il, en effet ? Il ne s'élève vers le ciel que si on en coupe ses parties basses ; à ce prix, il grimpe et règne, majestueux, dans le ciel bleu. Chaque souverain arabe se prend pour un palmier ; afin de se dresser et de se développer, il se coupe du peuple, s'en détache, s'en éloigne. Le palmier favorise le despotisme. » p.27


« Si je résume la différence entre nous deux, fils, moi je suis un optimiste qui dit "demain" et toi tu es un optimiste qui dit "là-bas". Tu as l'optimisme déployé dans l'espace alors que moi je l'ai planté dans le temps.- Ne minimise pas la distance entre ton attitude et la mienne. Ton optimisme sédentaire, c’est le fatalisme.- Et ton optimisme nomade, c'est la lâcheté de la fuite." p.74


«  Fils, tu ne discutes pas avec un terroriste, tu prêtes l'oreille en approuvant de la tête. D’ailleurs, ça ne dialogue pas, un terroriste, ça monologue. » p.86


« Écoute l'ami, dans l'espèce humaine, il n'y a que deux sortes d'hommes : ceux qui s'en veulent et ceux qui en veulent aux autres. Toi, tu appartiens aux premiers ; tu fonces et tu ne t'en prends qu'à toi même si tu échoues. Moi, par malheur, je grossis le troupeau des derniers, les hommes du ressentiment, ceux qui critiquent la Terre entière. Je cause beaucoup mais j’agis peu. »  p.209


« Papa, qui sont les barbares ? Ceux qu'on estime inférieurs ? Ou ceux qui s’estiment supérieurs ? »


« Car les hommes tentent, pour oublier le vide, de se donner de la consistance, de croire qu'ils appartiennent pour des raisons profondes, immuables, à une langue, une nation, une région, une race, une morale, une histoire, une idéologie, une religion. (...) Les identités qu'il (l'homme) cumule et qui lui accordent de la densité, il sait au fond de lui qu'il s'est borné à les recevoir, puis à les transmettre. Il n’est que le sable qu’on a versé en lui ; de lui-même il n’est rien. » p.232


« Pour établir une fratrie, il faut décider qui en fait partie. En circonscrivant un ensemble d'êtres solidaires qui s'entraideront quoi qu'il arrive, il faut aussi désigner ceux qui seront tenus à l'écart et n'y appartiendront pas. Bref, il faut tracer des limites. Dès que tu dis "fraternité", tu contredis "égalité", les deux termes s'annulent ! On en revient toujours là : à la frontière. Il n’y a pas de sociétés sans un tracé de frontière. » p.242


Épigraphe :


Il n'y a d'étranger que ce qui n'est pas humain. Jean Giraudoux. Elpenor


Détails bibliographiques


  • Titre : Ulysse from Bagdad
  • Auteur : Eric-Emmanuel Schmitt
  • Editions : Livre de poche
  • Date de parution : Septembre 2010 (2008 chez Albin Michel pour première parution)
  • Nombre de pages : 280 p.
  • Couverture : Johannes Grau / Plainpicture / Stockwerk

Les autres dieux et autres nouvelles - Howard Philipps Lovecraft

Ces huit nouvelles ont été publiées en 1965 dans Dagon. Ecrits entre 1920 et 1926, ces textes courts de Howard Phillips Lovecraft, abordent les thèmes du savant fou (Herbert West, réanimateur), celle la malédiction des chats (Les Chats d'Ulthar). Ils proposent également des incursions dans des mondes imaginaires (Les autres dieux, L'étrange maison haute dans la brume, Celephais), décrivent des créatures monstrueuses (La malédiction de Sarnath), célèbrent l'irréel (La tombe) ou évoquent encore les sciences occultes (Prisonnier des Pharaons). Bien que l'on y décèle clairement l'empreinte littéraire du célèbre père du Mythe de Cthulu ou de L'affaire Charles Dexter Ward, ces récits m'ont semblé fades, voire ennuyeux. Comme à son habitude, Lovecraft y exploite habilement le champ lexical de l'horreur mais il manque cette sombre magie qui a fait la renommée de l'auteur. Folie, monstres, occultisme, mystère, les thèmes chers à l'auteur sont ici réunis, malheureusement, l'"indicible", l'"inquiétant" et l'"insondable" auxquels m'avait habitué Lovecraft, n'ont pas suffit à me convaincre. J'ai pourtant trouvé un intérêt à lire Herbert West, réanimateur et La tombe, mais les sujets abordés (ceux du savant fou et celui de la folie) ont déjà été traités avec brio par Stevenson avec son L'étrange cas du Docteur Jekyll et Mr. Hyde ou encore par Théophile Gauthier avec son excellent Roman de la momie. Personnellement, j'apprécie pour ce que j'en ai lu les travaux de Lovecraft mais cette fois-ci les horreurs cosmiques qui ont fait sa renommée ne sont pas au rendez-vous...

Extrait :
Les hommes doués intellectuellemnt savent qu'il n'y a pas de différence nette entre le réel et l'irréel, que les choses ne nous apparaissent qu'à travers la délicate synthèse physique et mentale qui s'opère subjectivement en chacun de nous. Mais le matérialisme prosaïque de la majorité condamne comme folie les éclairs de voyance qui déchirent, chez certains, le voile habituel de l'empirisme banal. Extrait de La tombe. p.81

Titre : Les autres dieux et autres contes
Auteur : Howard Philipps Lovecraft
Traducteur : Paule Pérez
Editions : Librio
Date de parution : Mai 1995 (1969 chez Pierre Belfond pour la traduction française)
Nombre de pages : 123 p.

Le village des cannibales - Alain Corbin

Après avoir lu le médiocre roman Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé, je m'étais promis de lire cet ouvrage d'Alain Corbin pour mieux appréhender les raisons du massacre d'Alain de Moneys. Confronter les deux points de vue du romancier et de l'historien m'a été utile dans la compréhension de ce sordide événement. Et, je me dois le dire, le succès remporté par Teulé pour Mangez-le si vous voulez, est injustifié et il confirme le compte-rendu de lecture que j'avais fait de l'ouvrage : les faits relatés ne sont pas contextualisés. De plus, d'après l'analyse de Corbin, les informations livrées sont erronées. Si le maire de Hautefaye a bien déclaré "mangez-le si vous voulez" en parlant d'Alain Monéys, les participants du massacre n'en ont rien fait. Ni les tartines à la graisse de la victime, ni les testicules grillées ne sont des faits avérés. Non pas que j'aurais aimé que cela soit vrai mais juste par souci de vérité. Et je trouve cela bien dommage d'autant que Teulé ne pouvait décemment pas se documenter sur cet épisode de l'histoire de Hautefaye sans avoir lu Le village des cannibales. Evidemment un roman est par définition est oeuvre fictive et l'on ne peut blâmer Teulé d'avoir voulu adapter cet événement, mais à écouter son entretien pour les éditions Julliard, on se rend vite compte que son roman est une coquille vide... J'ai bien conscience que le travail de romancier n'est en aucune mesure comparable à celui de l'historien mais je soupçonne Teulé d'avoir écrit ce roman pour des raisons mercantiles et si ma réaction est si véhémente, c'est parce que je suis attachée à l'auteur et que j'ai vraiment été déçue. Cela dit, je reconnais volontiers que c'est grâce à Teulé que j'ai découvert cette passionnante étude d'Alain Corbin et je m'empresse après cette longue parenthèse, de me pencher sur l'analyse de l'historien.

Ainsi que le présente la quatrième de couverture du livre, ce massacre est avant tout un crime politique. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce massacre n'est pas une affaire de droit commun. Elle n'engage pas la responsabilité de groupe, argument que les avocats des bourreaux d'Alain de Monéys ont tous avancés durant le procès. D'après Corbin, les raisons de ce massacre sont multiples et entremêlées : rappelons que cette analyse se présente sous un angle historique et politique. Au moment où l'Empire de Napoléon III vascille et que la menace de l'avènement de la République s'affirme, le Régime voit croître la haine des paysans envers les nobles, les curés et les républicains. Voyant d'un oeil mauvais l'instauration de la République, les paysans, finissent par considérer tout opposant à Napoléon comme des ennemis et à plus forte raison, les Prussiens représentent-ils une menace tangible contre l'ordre établi. Tout en précisant que la foiraille de Hautefaye réunit des paysans de plusieurs régions, Corbin démontre que le massacre n'est pas la manifestation d'un acte prémédité mais bien celle d'un groupe organisé : les gens ne se connaissaient pas forcément et nombre de personnes ayant participé à la mise à mort d'Alain de Monéys ne savaient pas qui il était, excepté le fait qu'il "était prussien". Corbin souligne également que l'absence de contrôle de gendarme et la faiblesse du maire ont participé à la perte du jeune homme. Celui-ci apparaissait clairement comme ce que l'auteur a appelé l'équation victimaire : Alain de Monéys = un noble + un républicain = un prussien (p.91).

Par ailleurs, Le village des cannibales n'en a que le titre : l''auteur relate en effet que "devant l'auberge, le maire aurait prononcé des paroles scandaleuses, peut-être sous forme de boutade. Son dire, abondamment souligné, va contribuer à étayer la rumeur de cannibalisme. Selon Jean Maurel, un couvreur de soixante-dix-huit ans qui réside à la chapelle saint-robert, les plus acharnés auraient dit à Mathieu (le maire), en parlant de la victime "alors arrêtée devant l'auberge" : nous voulons le tuer, le faire brûler et le manger." Le maître aurait répondu : "Mangez-le si vous voulez". Ces mots terribles semblent avoir rapidement été colportés ; la femme Antony les a déjà reproduits au procès, avant que Maurel ne témoigne. Reste qu'il s'agit d'un bruit sans grand fondement." p.104 et que "le comportement des paysans obéit une à une logique propre" p.105. Corbin en appelle à l'historiographie de la violence pour expliquer cet événement : il ne s'agit pas pour lui, tant d'une question d'affaires communales, de conjoncture économique ou encore de justice populaire mais bien d'un moyen d'exorciser la peur. Si le massacre évoque l'horreur révolutionnaire, le supplice d'Alain de Moneys n'en est pas moins une manifestation identitaire : celle des participants au foirail de Hautefaye. Une analyse sous l'angle de la psychologie des foules (peu importe l'objet du massacre, il faut anéantir l'ennemi) est évidemment acceptée, mais Corbin va plus loin : ce fait "constitue une voie d'accès priviégiée à certains processus majeurs qui relèvent de l'anthropologie historique." p. 121. La "place centrale occupée par l'imaginaire et les pratiques de cannibalisme dans des conduites dont la cruauté nous est devenue proprement insupportable" p.122 est exacerbée dans cette affaire qui "ne prouve en rien l'irrationalité de la paysannerie du Nontronnais, mais seulement la spécificité des modalités de l'analyse effectuée selon un système autonome de représentations publiques". p.165

En fait, cet événement ne relève pas d'une affaire criminelle et l'on comprend à la lecture de cette conclusion de l'historien :"Avant d'être désavoués par la société dans laquelle ils étaient immergés, ces paysans n'avaient su dire, autrement qu'en suppliciant l'ennemi, la spécificité de leurs représentations du politique, l'intensité de leur angoisse et la profondeur de leur attachement au souverain. De ce balbutiement, de cette pauvre esquisse d'une révolution identitaire oubliée, seule reste à nu la cruauté, dans le ressac du sentiment." p.166, les raisons de cette analyse.

Cette étude m'a passionnée car au délà du simple rapport d'un massacre sanglant, on parvient à saisir du bout des doigts, le processus complexe qui caractérise les manifestations d'ordre identitaire. Mais cette étude est si dense qu'il est difficile d'en rendre toute l'essence. Le chapitre 4 intitulé l'hébétude des monstres a particulièrement retenu toute mon attention. Pour conclure, je recommanderais particulièrement cet ouvrage aux lecteurs du Mangez-le si vous voulez de Jean Teulé car il apporte un éclairage intelligent sur ce sombre épisode de l'histoire des paysans du Nontronnais.


Extrait de la quatrième de couverture :
"Le 16 août 1870, à Hautefaye, petit village de Dordogne, un jeune noble est supplicié durant deux heures, puis brûlé vif (?) sur le foirail, en présence d'une foule de trois à huit cents personnes qui l'accuse d'avoir crié : Vive la République ! Le soir, les forcenés se dispersent et se vantent d'avoir rôti un Prussien. Certains regrettent de ne pas avoir infligé le même sort au curé de la paroisse.
Février 1871. Le journaliste républicain Charles Ponsac met en évidence ce qui constitue le drame en objet historique. "Jamais, écrit-il, dans les annales du crime, on ne rencontra un meurtre aussi épouvantable. (...). Le crime d'Hautefaye est un crime en quelque sorte tout politique." 
Alain Corbin a mené une véritable enquête sur l'énigme et la fascination de cet ultime massacre né de la fureur paysanne. Il reconstitue le climat politique de l'été 1870. Il montre comment l'annonce des premières défaites, le flot des rumeurs, la simplicité des représentations politiques, la hantise du retour de l'ordre ancien et des calamités passées amènent une population rurale à recourir à des formes de cruauté devenues étranges, indicibles, insupportables."


Auteur : Alain Corbin
Titre : Le village des cannibales
Editions : Flammarion
Collection : Champs
Date de parution : Septembre 1995 (1990 chez Aubier pour la parution originale)
Nombre de pages : 204 p.
Couverture : Goya. Duelo a garrotazos (détail). Musée du Prado, Madrid. Atephot - Oronoz

Nietzsche - Stefan Zweig

On ne se lassera jamais de le dire : l'écriture de Stefan Zweig est somptueuse. Cette façon qu'il a d'étudier les profils psychologiques des grands de ce monde (voir aussi : Hommes et destins) est caractéristique de sa plume poétique et perçante. Friederich Nietzsche qu'il portait apparemment en haute estime, apparait dans son analyse tel un ovni de la pensée allemande, peut-être même de la pensée universelle pourrait-on dire. Personne, excepté peut-être Heinrich von Kleist et Friedrich Hölderlin, n'aurait accepté de souffrir l'enfer que le philosophe s'est volontairement choisi pour demeure (Lire également Le combat avec le démon du même auteur). Sa santé fébrile et sa recherche incessante de la Vérité sont à la fois, sa force et sa faiblesse. Intransigeant envers les autres, mais avant tout envers lui-même, Nietszche ne souffre pas le confort d'une notoriété acquise et reconnue. Son combat se situe ailleurs. Bien au delà de ce que l'on peut imaginer avec toute la douleur et la solitude que cela exige. Le parcours de Nietzsche est fait de mille souffrances imposées à lui-même comme autant de moteurs de réflexion de sa pensée...

Évoluant à l'inverse de ses pairs comme par exemple Goethe, Nietzsche obtient très jeune une chaire de philosophie à l'Université de Bâle. Mais sa révélation lui vient après qu'il ait décidé de la quitter et qu'il découvre l'Italie ("C'est seulement l'apparition de la nature démoniaque, l'épanchement de la liberté primitive qui font de Nietzsche une figure prophétique et transforment son destin en mythe. Et puisque ici, j'essaie de représenter sa vie, non pas dramatiquement mais comme une pièce de théâtre, comme une oeuvre d'art et une tragédie de l'esprit, son oeuvre véritable pour moi débute seulement au moment où l'artiste commence en lui et prend conscience de sa liberté."p.99). Luttant avec une force diabolique pour atteindre Sa Vérité, Nietzsche assume un destin tragique grâce à ses éternels "accouchements". Contraint toute sa vie à dénicher l'endroit idéal où parfaire sa réflexion et où ses douleurs seraient susceptibles de le laisser en paix, le philosophe tire paradoxalement de sa faiblesse physique (il est la proie de maux de tête insupportables et perd la vue), une incroyable force de travail... Nietzsche, ce penseur nomade assassin de Dieu, est enfin prêt à livrer l'ultime combat. Ni le confort d'une oreille amie, ni la douce présence d'une femme ne l'accompagne. C'est seul que Nietzsche deviendra ce qu'il est, et seul aussi qu'il affrontera l'adversité de ses propres démons. Tel un martyr de la pensée, Nietzsche durant ses derniers mois d'existence cède à la folie créatrice...

Ce merveilleux portrait dressé par Stefan Zweig est bouleversant tant il est bien "senti". Pendant la lecture, on le devine, l'esprit de Nietzsche est là, tout proche de nous. Et ce bel hommage rendu par Zweig, démontre bien que l'homme et son oeuvre ne font qu'un, car "seules les natures tragiques sont capables de nous faire percevoir la profondeur du sentiment et seule la démesure permet à l'humanité de reconnaître sa mesure."p.152. 

Je vous recommande chaudement cette lecture qui ne vous laissera pas indifférent. Si je vous ai convaincu de découvrir ce titre, notez qu'il est disponible sur Amazon via le lien suivant : Nietzsche.  

Extraits :
"Quelle dose de vérité l'homme peut-il supporter ? Telle fut la question que se posa ce courageux penseur pendant toute son existence ; mais pour approfondir complètement la mesure de cette capacité de connaissance, il est obligé de franchir la zone de sécurité et d'attendre l'échelon où l'homme ne la supporte plus, où la dernière connaissance devient mortelle, où la lumière est trop proche et vous aveugle. Et, précisément, ces derniers pas en avant sont les plus inoubliables et les plus puissants dans la tragédie de son destin : jamais son esprit ne fut plus lucide, son âme plus passionnée, et sa parole en contient plus d'allégresse et de musique que lorsqu'il se jette, en pleine connaissance et de sa pleine volonté, des hauteurs de la vie dans l'abîme du néant." p.77
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Auteur : Stefan Zweig
Titre : Nietzsche
Traducteurs : Alzir Hella et Olivier Bournac
Editions : Stock
Collection : Essai
Date de parution : Septembre 2010
Nombre de pages : 151 p.
Couverture : Didier Thimonier
Iconographie : Johanna De Beaumont
Illustration : Virginie Servajean
ISBN : 78-2234057012

Les piliers de la terre - Ken Follet

Cette fabuleuse fresque qui raconte l'histoire de la construction de la cathédrale de Kingsbridge, nous plonge dans l'Angleterre du XIIe siècle. Nous y rencontrons les destins entremêlés de bâtisseurs, prieur, évêque, comte, roi, hors-la-loi, chevaliers, sorcières, dont les intérêts antagonistes tissent l'intrigue du roman. Car il s'agit bien d'un roman. Même si Ken Follet s'inspire de faits et de personnages réels, Les Piliers de la terre n'en est pas moins une fiction. Mais quel roman d'aventure ! Tous les ingrédients indispensables aux épopées romanesques y sont réunis : complots, haine, amour, violence, trahisons... Ken Follet n'a rien oublié et le résultat est réussi : malgré les 1000 et quelques pages du livre, la lecture du roman est aisée. L'auteur, dont l'intérêt pour l'architecture est évident, nous initie avec simplicité aux préoccupations des maîtres bâtisseurs de l'époque. Et on découvre quelques éléments sur la naissance de l'architecture gothique du sud de l'Angleterre, dont les voûtes en croisées d'ogives et les transepts servant d'arc-boutants, allaient désormais alléger l'architecture des édifices religieux. Ainsi ce que Ken Follet désigne par les Piliers de la terre, symbolise les cathédrales.

Ce roman aurait très bien pu commencer par "il était une fois un bâtisseur dont le rêve était de construire la plus belle cathédrale de l'Angleterre"... En effet, l'intrigue part de  cette ambition de Tom, un bâtisseur à qui le destin ne présageait rien de favorable. Pauvreté et tyrannie des seigneurs, rien n'est épargné à ce misérable artisan dont la passion immodérée pour l'architecture, lui permettra, avec beaucoup de chance, de devenir le maître bâtisseur officiel de la cathérale de Kingsbridge. Son succès, Tom le devra à Philip, cet astucieux prieur de Kingsbridge, et à Jack, ce hors-la-loi au caractère singulier. Evidemment, la réalisation de ce rêve sera semé d'embûches et Tom devra composer avec les querelles de pouvoir qui déchirent le royaume et partagent les hommes d'église. Ainsi, chacun intriguant pour le bénéfice des propres intérêts, on distingue clairement trois camps de protagonistes ; celui des gentils représenté par le Prieur Philip (dont le but est de servir les intérêts de Kingsbridge). Celui des méchants avec à sa tête l'évêque Warelan Bigod et le sanguinaire et brutal William Hamleigh (qui veut récupérer le comté de Shiring). Et celui des bâtisseurs dont Tom, puis Jack seront les têtes de file. Alors que gronde la guerre civile (les héritiers du roi d'Angleterre se disputent violemment le trône : conflits entre la reine Maud, ses frères Henry et Stephen), Philp, soutenu par Tom, Ellen, Jack et Aliena, doit défaire les complots ourdis par Waleran et William Hamsleigh pour empêcher la construction de la cathédrale. Après maintes péripéties (saccages, attaques, incendies, famines...) et des années nécessaires à sa construction, la cathédrale finit par voir le jour...

Avant de ma lancer dans cette lecture, j'avais lu de nombreuses critiques élogieuses. Et je confirme cet avis général. Cette superbe épopée constitue sans conteste un grand moment de distraction : l'intrigue est bien montée, les personnages bien étudiés et le rythme de l'histoire haletant. Il n'y a pas de longueurs, chose rare dans des ouvrages de plus de 1000 pages. Par ailleurs, on y apprend quelques techniques d'architecture religieuse et la façon dont pouvaient vivre les anglais de l'époque. Cependant, je pense que ce roman ne doit pas être considéré comme une référence concernant l'architecture car contrairement à ce que j'ai pu lire, je ne l'ai trouvé ni précis, ni particulièrement bien documenté. Aussi, je recommanderais chaudement la lecture de ce roman pour les lecteurs qui ont envie d'aventures mais pas pour ceux qui comptent y trouver des références sérieuses au sujet de l'architecture religieuse ou de l'histoire de la guerre civile anglaise...

Extrait :
Dans le monde où nous vivons, il n'y a pas de pitié. Les canards avalent les vers, les renards tuent les canards, les hommes abattent les renards et le diable poursuit les hommes... p.935

Auteur : Ken Follett
Titre : Les piliers de la terre
Titre original : The pillars of the Earth
Traducteur : Jean Rosenthal
Editions : Livre de Poche
Date de parution : Avril 2011 et 1989 pour la 1ere publication
Nombre de pages : 1049 p.
Couverture : Miniature de Fouquet (détail). Bridgeman.