Réédités pour la première fois depuis 1935 par les Éditions Libertalia, les récits d'Eugène Dieudonné (ex-membre de la Bande à Bonnot) rappellent au cruel souvenir de cette administration pénitentiaire française qui se débarrassait de ses indésirables en les envoyant aux bagnes d'outre-mer. C'est à la demande d'Albert Londres, que l'ancien anarchiste, après avoir été gracié, met en mots ses souvenirs. Ses témoignages ainsi que ceux du journaliste et de Paul Roussenq concordent : cette expérience traumatisante transforme les hommes et ne laisse aucun indemne. L'égalité n'y est pas de mise. Seule domine la loi de la jungle. Car à l'école de la Tentiaire, seuls les plus forts, les solides, les plus intègres ou les plus malins peuvent caresser l'espoir de s'en sortir. Comme le montre Dieudonné avec pertinence, outre le facteur caractère, il y a aussi la chance. Il y a en effet autant de destins que de bagnards. Comme certains, Dieudonné a donné des années de sa vie (14 ans) pour des crimes qu'il n'a pas commis. C'est cher payé au nom de la Patrie. Pas de pathétisme pourtant dans le discours de l'auteur : la simplicité et la distance avec lesquelles il met en scène ses souvenirs accusent intelligemment les faits en même temps qu'elles donnent de la force au témoignage...
Avec la justesse qui marque ses propos, Dieudonné fait passer l'idée que le bagne ne s'arrête pas aux travaux forcés et à la vie dans les cases. Celui-ci s'inscrit géographiquement dans une contrée dont on ne peut ignorer le lien qu'elle a avec la France. La Guyane française dont la IIIe République avait décidé d'autorité qu'elle serait la terre de souffrance de ses éléments corrompus, cette même France qui voulait exploiter la main d'oeuvre de ses truands pour participer à la construction et l'expansion de ses colonies, Dieudonné en dénonce l'injustice en ces quelques phrases : "Mais une gangrène profonde, faite de tous les vices des hommes de toutes les races et de tous les pays, après s'être étendue sur tout le bagne, après avoir fait parfois contaminé des agents et leur enfants - je l'ai vu, j'ai des preuves - se faufile sournoisement au dehors, dans la population libre, surtout chez les plus pauvres d'entre les Noirs. Les meilleurs des Guyanais protestent contre le danger du bagne. Qu'avons-nous fait disent-ils, pour que la métropole nous envoie ses déchets ?" (p. 137). Voici un questionnement que je n'ai pas trouvé dans L'enfer du bagne de Paul Roussenq ou même dans le célèbre reportage Au bagne d'Albert Londres. Excepté Dieudonné, qui se soucie du sort des Guyanais ?
Et parce qu'il lève également le voile sur une partie occultée des conséquences subies par les populations colonisées, La vie des forçats est un témoignage perspicace qui apporte un point de vue critique intéressant. Au nom de la politique colonialiste, on oublie souvent les dommages colatéraux infligés aux autochtones. Dieudonné leur rend justice par ces quelques mots : "Et on voit un pays merveilleux, riche et presque vierge, mourir de la présence du bagne. Pour tout le monde, le nom de Cayenne est synonyme de bagne. Les Guyanais portent cette croix, semble t-il, pour racheter les péchés des Français. Ainsi, dit-on, le Christ portait la sienne pour racheter les péchés des hommes." (p.137). Déclaration gênante quand on y pense. Mais si pertinente. Rien ne se passe comme il faut en Guyane coloniale : on marche sur la tête. Il existe pourtant des moyens de réhabiliter les détenus (cf. les systèmes de détention américains de l'époque). Encore faut-il s'en donner la peine...
Synonyme d'iniquité que le bagne pour Dieudonné : "C'est l'envers de la vie. Les pas de chance, les gosses abandonnés, les mal-doués par la nature, les victimes de leur psychologie morbide, les détraqués y coudoient les crapules finies. Tous ces gens vivent pêle-mêle, enfermés dans les mêmes cases. A ce régime, un saint homme deviendrait un enragé. Qu'on ne s'étonne pas alors des assassinats, des viols, des priapées, des délations ou des révoltes des forçats. Qu'on s'étonne plutôt que de telles institutions existent encore à notre époque (...) Et que les hommes de bonne volonté, ceux qui sont favorisés par la nature ou par la chance, tendent une main secourable à leurs frères malheureux. Car les forçats, eux aussi, sont des hommes." (p.190-191). Heureusement, cette administration est aujourd'hui abolie. Mais se souvenir, c'est se rappeler de ne pas retomber dans l'erreur et c'est essayer de faire mieux à l'avenir (situation alarmante de nos prisons actuelles ?). La vie des forçats rapporte avec impartialité, les souvenirs lucides d'un ancien bagnard gracié et chose qui parait impossible... réhabilité... Une lueur d'espoir dans l'enfer du bagne. A lire absolument.
Si vous le souhaitez, le livre est disponible à la vente sur Amazon via le lien suivant : La vie des Forçats.
Avec la justesse qui marque ses propos, Dieudonné fait passer l'idée que le bagne ne s'arrête pas aux travaux forcés et à la vie dans les cases. Celui-ci s'inscrit géographiquement dans une contrée dont on ne peut ignorer le lien qu'elle a avec la France. La Guyane française dont la IIIe République avait décidé d'autorité qu'elle serait la terre de souffrance de ses éléments corrompus, cette même France qui voulait exploiter la main d'oeuvre de ses truands pour participer à la construction et l'expansion de ses colonies, Dieudonné en dénonce l'injustice en ces quelques phrases : "Mais une gangrène profonde, faite de tous les vices des hommes de toutes les races et de tous les pays, après s'être étendue sur tout le bagne, après avoir fait parfois contaminé des agents et leur enfants - je l'ai vu, j'ai des preuves - se faufile sournoisement au dehors, dans la population libre, surtout chez les plus pauvres d'entre les Noirs. Les meilleurs des Guyanais protestent contre le danger du bagne. Qu'avons-nous fait disent-ils, pour que la métropole nous envoie ses déchets ?" (p. 137). Voici un questionnement que je n'ai pas trouvé dans L'enfer du bagne de Paul Roussenq ou même dans le célèbre reportage Au bagne d'Albert Londres. Excepté Dieudonné, qui se soucie du sort des Guyanais ?
Et parce qu'il lève également le voile sur une partie occultée des conséquences subies par les populations colonisées, La vie des forçats est un témoignage perspicace qui apporte un point de vue critique intéressant. Au nom de la politique colonialiste, on oublie souvent les dommages colatéraux infligés aux autochtones. Dieudonné leur rend justice par ces quelques mots : "Et on voit un pays merveilleux, riche et presque vierge, mourir de la présence du bagne. Pour tout le monde, le nom de Cayenne est synonyme de bagne. Les Guyanais portent cette croix, semble t-il, pour racheter les péchés des Français. Ainsi, dit-on, le Christ portait la sienne pour racheter les péchés des hommes." (p.137). Déclaration gênante quand on y pense. Mais si pertinente. Rien ne se passe comme il faut en Guyane coloniale : on marche sur la tête. Il existe pourtant des moyens de réhabiliter les détenus (cf. les systèmes de détention américains de l'époque). Encore faut-il s'en donner la peine...
Synonyme d'iniquité que le bagne pour Dieudonné : "C'est l'envers de la vie. Les pas de chance, les gosses abandonnés, les mal-doués par la nature, les victimes de leur psychologie morbide, les détraqués y coudoient les crapules finies. Tous ces gens vivent pêle-mêle, enfermés dans les mêmes cases. A ce régime, un saint homme deviendrait un enragé. Qu'on ne s'étonne pas alors des assassinats, des viols, des priapées, des délations ou des révoltes des forçats. Qu'on s'étonne plutôt que de telles institutions existent encore à notre époque (...) Et que les hommes de bonne volonté, ceux qui sont favorisés par la nature ou par la chance, tendent une main secourable à leurs frères malheureux. Car les forçats, eux aussi, sont des hommes." (p.190-191). Heureusement, cette administration est aujourd'hui abolie. Mais se souvenir, c'est se rappeler de ne pas retomber dans l'erreur et c'est essayer de faire mieux à l'avenir (situation alarmante de nos prisons actuelles ?). La vie des forçats rapporte avec impartialité, les souvenirs lucides d'un ancien bagnard gracié et chose qui parait impossible... réhabilité... Une lueur d'espoir dans l'enfer du bagne. A lire absolument.
Si vous le souhaitez, le livre est disponible à la vente sur Amazon via le lien suivant : La vie des Forçats.
- Titre : La vie des forçats
- Auteur : Eugène Dieudonné
- Préface : Jean-Marc Rouillan
- Éditions : Libertalia
- Date de parution : 2007
- Illustrations : Thierry Guitard
- Nombre de pages : 210 p.
- ISBN : 978-2-952-8292-2
Enregistrer un commentaire