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Mourir Partir Revenir, Le jeu des hirondelles - Zeina Abirached

Mettant en scène un épisode de son enfance dans le Beyrouth-Est de 1984 en pleine guerre du Liban (1975-1990), Zeina Abirached se remémore quelques moments de son enfance passés en compagnie de son frère et de ses voisins. L'immeuble de ses parents donnait à l'époque sur la ligne de démarcation qui scindait la ville en deux et redessinait un quartier méconnaissable balisé par les barils métalliques, les conteneurs, les fils barbelés et les sacs de sable. Dans cette atmosphère d'insécurité où la vie était rythmée par les cessez-le-feu, les quelques personnes qui ne s'étaient pas encore résolues à partir ou qui attendaient leur visa pour aller vivre à l'étranger, devaient "respecter une chorégraphie complexe et périlleuse" (p.15) pour traverser le quartier. A la façon d'une peau de chagrin, l'espace de vie de l'appartement de ses parents s'est peu à peu réduit pour enfin se cantonner à l'entrée. Cet espace confiné relativement épargné par les tirs d'obus était désormais devenu le lieu de rencontre quotidien des habitants de l'immeuble. Sous la protection de la précieuse tenture familiale (la fuite de Moïse et des hébreux), Zeina et son frère y attendent en compagnie des voisins, le retour de leurs parents bloqués par les tirs d'obus à quelques patés de maisons...


C'est en consultant les archives de l'INA en 2006 que Zeina Abiracheb découvre un reportage tourné à Beyrouth en 1984. Elle y voit son ancien quartier d'enfance et, dans l'entrée d'un appartement, une femme qui la bouleverse par ces quelques mots : "Vous savez, je pense qu'on est quand même, peut-être, plus ou moins, en sécurité ici." Cette femme qui n'était autre que sa grand-mère fait alors ressurgir des souvenirs qu'elle décide de mettre en images. Mourir Partir Revenir, Le jeu des hirondelles voit le jour. Zeina Abirached tire le titre de son livre d'un graffiti laissé sur un mur par un certain Florian. Son travail en noir et blanc, inexorablement comparé à celui de Marjane Satrapi (notamment Persepolis), se distingue pourtant de façon très nette : on remarque chez Zeina Abirached un trait rectiligne obsédé par la géométrie, des effets de répétition insistants et de géniaux cadrages quasi filmiques qu'on ne retrouve pas chez Marjane Satrapi. Certains pourront trouver le trait trop naïf, trop brut ou trop sombre. Je le trouve personnellement très esthétique et le préfère largement à celui de la dessinatrice franco-iranienne. Et c'est un peu comme si Zeina Abirached misait presque exclusivement sur l'image pour transmettre la peur, l'angoisse et le désespoir de ses personnages. Quant au récit peu bavard par ses textes, ne vous attendez pas à de grandes révélations sur la guerre du Liban : Le jeu des hirondelles raconte simplement le souvenir ponctuel d'une longue soirée d'attente passée à l'abri des obus dans une entrée d'appartement. Ceci dit, on sent tout au long de la lecture peser l'ombre de la guerre. Un très beau roman graphique sans fards ni artifice qui convainc par ses qualités esthétiques...


Enfin, si votre coeur vous en dit, vous pouvez acheter ce livre sur Amazon via le lien suivant : Mourir partir revenir c'est le jeu des hirondelles.

Pour en savoir plus sur la démarche de la dessinatrice, visionnez donc la vidéo ci-dessous :


Special BD: Zeina Abirached par booksmag 

Détails bibliographiques

  • Titre : Mourir Partir Revenir, Le jeu des hirondelles
  • Auteur : Zeina Abirached
  • Éditeur : Cambourakis
  • Date de parution : Janvier 2008
  • Nombre de pages :186 p.
  • ISBN : 978-2-916589-03-9
  • Crédit photographiques : © Zeina Abirached

La guerre dans la BD - Mike Conroy

Malgré sa réputation de média futile, la BD, ainsi que le démontre Mike Conroy, a réussi contre toute attente à s'approprier au fil du temps le sombre thème de la guerre. Relayée à l'origine par les dessins de la presse quotidienne, la guerre sous toutes ses formes et dans toutes ses périodes a finalement été couverte par une multitude de publications illustrées allant de la revue au roman graphique (apparu dans les années 2000) en passant par le format de poche. Ainsi, était-il peut-être plus facile de traiter d'un sujet grave par le dessin en permettant une certaine liberté d'interprétation plus légère, nuancée ou fantasmée ? Peut-on voir dans la souplesse et la liberté du dessin les raisons du succès fulgurant du war comics aux USA à partir des années 40 ? Qu'il s'agisse des guerres de Napoléon, de la Guerre de Sécession, de la Grande guerre, de la 2nde Guerre mondiale ou de la guerre du Vietnam... la BD de guerre avait enfin trouvé un public friand. Bien qu'elle ait parfois connu des périodes d'essoufflement, celle-ci a su satisfaire aux besoins des consommateurs en s'adaptant aux tendances en vogue : tantôt patriotique, propagandiste, fantastique, populaire ou réaliste, la BD de guerre s'est taillé une bonne part sur le marché des ouvrages illustrés. De l'évolution des formats à la nature des contenus, Mike Conroy montre également comment les éditeurs ont su faire évoluer leur offre éditoriale pour satisfaire leur lectorat. Parmi les nombreux auteurs cités, notons par exemple Joe Kubert, Harvey Kurtzman, Jack Kirby ou encore des auteurs plus récents comme Art Spiegelman ou Joe Sacco qui ont chacun imposé leur propre style. Illustré par une abondante et riche iconographie, La guerre dans la BD offre un beau panorama sur les sources anglophones du genre...

Forcément non-exhaustif, d'une part parce qu'il couvre principalement les références anglophones et d'autre part parce qu'il existe une telle foultitude de titres qu'il est impossible d'en dresser un tableau complet, cet ouvrage se destine surtout à des lecteurs chevronnés. La présentation de Mike Conroy est pour moi l'oeuvre d'un passionné destiné à des connaisseurs ou à des collectionneurs en recherche de sources. Je ne partage donc pas l'avis suivant de Garth Ennis"La guerre dans la BD se veut une introduction à un genre dont le propos s'avère souvent bien plus subtil que ne le laisse supposer le thème" (extrait de la préface). Cet ouvrage illustré certes de très belle facture, ne relève pas à mon sens d'une introduction au genre. On y puise trop peu d'explications pour une bonne entrée en matière (rappelons que je suis novice et qu'il s'agissait justement pour moi d'une initiation). Le livre ressemble davantage à un ouvrage bibliographique dont j'ai trouvé la lecture fastidieuse malgré quelques timides tentatives d'analyse et un travail de mise en page impeccable. Les intéressants mais trop rares développements sont malheureusement noyés dans les dizaines de références. L'attention qui n'est du coup pas retenue par des textes argumentés ou étoffés, est trop facilement distraite par les superbes mais multiples illustrations qui peuplent le livre. Il m'aurait par exemple paru plus judicieux de mettre l'accent sur l'analyse quitte à sacrifier certains titres ou certaines planches. Car de l'expertise de Mike Conroy sur le sujet, je n'en doute pas. Juste qu'il aurait sans doute pu donner plus de profondeur à son travail en se focalisant sur certaines périodes, certaines guerres ou certains auteurs. Par ailleurs, la traduction du titre original War comics : a graphic history me semble trahir l'objet même du livre. Bref, une déception pour cet ouvrage qui n'en reste pas moins un beau livre et un riche ouvrage de sources...

Si vous souhaitez découvrir ce titre, notez qu'il est disponible sur Amazon via le lien suivant : La guerre dans la BD : Personnages de fiction ou véritables héros ?  
  • Titre : La guerre dans la BD
  • Sous-titre : Personnages de fiction ou véritable héros ?
  • Titre original : War comics : a graphic history
  • Auteur : Mike Conroy
  • Traducteur : Jérôme Wicky
  • Préface : Garth Ennis
  • Éditeur : Eyrolles
  • Date de parution : Septembre 2011
  • Date de parution originale : 2009 (The Ilex Press Limited)
  • Nombre de pages : 191 p.
  • Couverture : Matt Becker, Fightin' Marines n°5 (haut), Jack Davis, Two Fisted Tales n°30 (bas)
  • ISBN : 978-2-212-13219-9

Les comitadjis - Albert Londres

1931. Le royaume de Bulgarie de Boris III est le théâtre de violentes confrontations entre communistes, révolutionnaires et ligues fascistes des Balkans au moment où Albert Londres se rend en mission à Sofia. Les guerres balkaniques de 1911 et 1913 qui conduisent au partage de la Macédoine entre Grèce, Serbie et Bulgarie, laissent notamment une Bulgarie en proie à des terribles conflits internes opposant les deux principales factions de l'Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne (ORIM). Cette organisation révolutionnaire fondée sur la tradition des Haïdouks dont les missions premières étaient de lutter contre l'invasion de l'empire Ottoman (Bachi-Bouzouks), s'est substituée au gouvernement. Véritable état dans l'état, l'ORIM a pris le pouvoir : contrôlant tous les secteurs les plus importants du pays, l'ORIM ne rencontre quasiment pas de résistance excepté au sein même de ses rangs (les protoguérovistes contre les nouveaux les partisans d'Ivan Mikaïloff). Sous prétexte de défendre les intérêts bulgares (cf. leur devise : "la liberté ou la mort"), l'ORIM instaure la dictature via les tchétas, bandes armées constituées de Comitadjis. Ceux qui dans le début des années 1930 osent encore se soulever contre le triumvirat formé de Mikaïloff, Karadjoff et Razvigoroff sont systématiquement éliminés : "L'organisation a changé de peau. C'est un antre de terroristes. De la peau de lion à la peau de loup." (p.45). Dans un contexte politique complexe où comme toujours le partage et la délimitation des territoires fait sans exceptions des peuples lésés, il est évident qu'un rapprochement politique entre Bulgarie et Yougoslavie soit impossible. D'après Albert Londres, cette poudrière des Balkans trouverait peut-être une solution comme le proposait Stamboulisky dans la création d'une confédération des pays slaves du sud. Mais les hommes sont-ils suffisamment sages pour se ranger à une telle entente ? Albert Londres ne semble pas le croire. Dans son style inimitable, le célèbre reporter propose avec Les comitadjis, son dernier livre, un témoignage important dont on gagnerait à se souvenir...

Lire aujourd'hui ces reportages ne perd en rien de son intérêt : au contraire, leur valeur peut, dans la mesure du crédit que l'on y porte, intéresser l'histoire politique complexe des pays des Balkans. La Bulgarie n'est évidemment pas représentative de tous les pays des Balkans mais son cas présente les prémices communs à certains événements et évolutions qui devaient plus tard frapper les pays de l'Europe du Sud-Est (ère soviétique, effondrement de l'URSS...). Mais au delà de la dimension politico-historique, ce reportage d'Albert Londres révèle les méchants rouages d'un système d'oppression quasi terroriste. L'organisation, le recrutement, les missions, le financement... On se demande d'ailleurs comment Albert Londres réussit à pénétrer les arcanes de l'ORIM sans s'attirer ses foudres. A cette lecture, on pense inévitablement aux associations mafieuses étudiées par Roberto Saviano dans Gomorra ou par Manfredi Giffone dans La Pieuvre. Autre époque, autre pays, mais les pratiques se ressemblent beaucoup. On peut aimer ou non le style un peu sensationnaliste du reporter mais on peut le remercier d'avoir sensibilisé l'opinion publique aux dérives des Comitadjis. Grâce au recul que l'on a aujourd'hui par rapport au début des années 30, on peut appréhender certains tournants de l'histoire des Balkans au regard des informations relayées par le journaliste. Bref, Les comitadjis constituent à mon sens un des meilleurs travaux d'Albert Londres. Ce livre suscite une réflexion rétrospective intéressante sur ce pan de l'histoire bulgare...

Si vous souhaitez vous procurer ce livre, il est disponible sur Amazon via le lien suivant : Les Comitadjis.

  • Titre : Les comitadjis
  • Sous-titre : Le terrorisme dans les Balkans
  • Auteur : Albert Londres
  • Éditeur : Le serpent à plumes
  • Collection : Motifs
  • Date de parution : Avril 2002
  • Date de première publication : 1932 chez Gallimard
  • Nombre de pages : 191 p.
  • Couverture : ©Karen Petrossian, Olivier Mazaud, Bernard Perchey
  • ISBN : 2-84261-341-4


Sympathy for the devil - Kent Anderson

"Hanson ignorait encore qu'il venait de décider de faire ce que l'armée attend précisément de certains de ses hommes, des meilleurs des siens - tenter de la battre à son propre jeu. Guerre était le nom de ce jeu et, lorsqu'on frôle la guerre de trop près, qu'on la regarde au fond des yeux, elle peut vous entraîner tout entier muscles, cervelle et sang, jusqu'au plus profond de son coeur, et jamais plus vous ne trouverez la joie en dehors d'elle (...) Hanson ne s'en rendait pas encore compte, cette nuit-là, mais un jour viendrait où il réaliserait qu'il est impossible de fraterniser avec les seuls hommes libres d'une armée, avec les meilleurs de ses assassins, sans devenir soi-même l'un d'entre eux." (p.209-210). Guerre du Vietnam. Le commando des Green Berets (bérets verts) composée de Hanson, Quinn et Silver, accompagné de Minh le montagnard, est affectée aux dangereuses et délicates opérations de ratissage. Seules les forces spéciales de l'US Army sont habilitées à débusquer le VC (Viet-cong). Car il s'agit d'une mission périlleuse qui exige stratégie, hablité et coriacité. Hanson ne se destinait pourtant pas à intégrer cette unité d'élite de l'armée américaine. Avant d'intégrer le commando des durs à cuire, il faisait des études au lycée. Comme beaucoup de jeunes de son âge, il décide de s'engager dans l'armée avant d'être appelé au front. Mais la réalité, loin des discours patriotiques, a un goût amer. Alors que l'opinion publique américaine commence à se mobiliser contre cette guerre absurde, les autorités qui maintiennent leurs positions sur son issue victorieuse, compte parmi ses hauts dirigeants des opportunistes dont l'intérêt n'est autre que d'obtenir une place au soleil. Hanson vomit l'administration militaire et son ingérence. Dès lors, il décide de mener une guerre très personnelle dont l'ironie est désarmante. De la devise In God we trust à Sympathy for the devil, Hanson fait le plus grand écart de sa vie : il choisit d'être un homme libre...

Platoon, Full Metal Jacket, Good Morning Vietnam... Sympathy for the Devil reprend toutes les images véhiculées par ces films : la drogue, l'alcool, la peur, la violence, la mort... La jungle moite et ses dangers, le croisement des tirs bleus et rouges des M-16 et AK-47, l'odeur âcre des poudres d'artillerie, celle de la terre rouge et celle du sang... Le bourbier vietnamien décrit par Kent Anderson transpire le vécu : les détails sur Mai Loc (base d'appui feu), sur les embuscades des VC, les altercations entre les militaires, la précision des descriptions des missions commandos, les combats, l'auteur convie son lecteur à un véritable Voyage au bout de l'enfer. En compagnie de Hanson et sa fine équipe, on pénètre au coeur de la jungle, on sent les vibrations des hélicoptères, on est assourdi par les explosions, on est aveuglé par les tirs, on se prend à vouloir tirer sur tout ce qui bouge tant l'histoire est captivante et bouleversante. Puis on termine sa lecture sur un sentiment étrange. Réglant peut-être ses comptes avec sa propre guerre, Kent Anderson remet en cause la perception que l'Amérique a d'elle-même en prêtant ces quelques mots à son héros rebelle : "Les américains étaient des dilletantes, plus préoccupés par leur propre vie que motivés pour tuer l'ennemi. La plupart d'entre eux n'avaient pas appris que c'est dans l'agression qu'il faut chercher le salut, et non dans la prudence." Et la force du récit tient dans ce constat vertigineux que l'ennemi n'est parfois autre que nous-mêmes. Décriant l'absurdité bureaucratique de l'armée et l'hypocrisie du gouvernement américain, Kent Anderson, qui a servi comme sergent aux forces spéciales, rapporte de son séjour au Nam un roman d'une profonde portée... Génial !

Et si votre librairie est fermée, notez que ce livre est disponible sur Amazon via le lien suivant : Sympathy for the Devil.  


  • Titre : Sympathy for the devil
  • Auteur : Kent Anderson
  • Traducteur : Franck Reichert
  • Préfacier : James Crumley
  • Éditeur : Folio
  • Collection : Policier
  • Date de parution : Mai 2013
  • Date de parution originale : 1983 chez Gallimard pour la traduction française
  • Nombre de pages : 583 p.
  • Couverture : © plainpicture / amigo-pictures (détail)
  • ISBN : 978-2-07-044790-9


Palestine - Joe Sacco

Cet album rassemble les 9 tomes de la série Palestine intialement publiés par l'éditeur américain Fantagraphics entre 1993 et 1995. La première Intifada (1987-1993) fait rage lorsque Joe Sacco met les pieds en territoire occupé de Palestine en 1992. Agacé puis lassé par le point de vue dominant de la presse américaine sur le conflit israelo-palestinien, le dessinateur qui sera sacré figure de proue de la BD reportage grâce à cette série de bande-dessinées, entreprend un voyage de deux mois et demi en Palestine pour rendre compte par lui-même de la situation. Assumant avec aplomb et honnêteté son parti pris, Joe Sacco entend donner un son de cloche différent sur l'occupation israelienne en Palestine. Ne déclare t-il pas avec pertinence que : "Ce livre, bien que son contenu puisse paraître tempéré en regard de la violence d'aujourd'hui et de la tournure dramatique des événements, touche à l'essence de cette occupation. Ce n'est pas un travail objectif, si on entend par objectivité cette approche américaine qui consiste à laisser s'exprimer chaque camp sans se préoccuper que la réalité soit tronquée. Mon idée n'était pas de faire un livre objectif mais un livre honnête." (Joe Sacco, Quelques réflexions sur la Palestine, 2007). Cette série qui devait au départ compter six volumes, se compose de neuf tomes organisés autour de diverses thématiques : Le Caire, la prison d'Ansar III, la camp de réfugiés de Jabalia, le droit des femmes, le port du hihab, "pression modérée", Ramallah, Naplouse, les handicapés... toutes les personnes rencontrées ou interrogées par Joe Sacco ont pour point commun des parents blessés, traumatisés, emprisonnés, abattus. Parfois dépité et exténué, le journaliste enchaîne les entretiens qui finissent par tous se ressembler. Les récits concordent. Les fait relatés accablants. La rancoeur est tenace et les haines exacerbées. Que vient chercher Sacco, lui demandent certains témoins. Racontera t-il au monde leur malheur ? A quoi bon sensibiliser l'opinion publique ? Quand la communauté internationale se décidera t-elle à agir ? A chaque personne interrogée, chaque question posée, Joe Sacco se heurte à autant d'interrogations auxquelles il n'a malheureusement ni réponses, ni solutions...


On entend souvent dire que Palestine est l'une des plus belles réussites de Joe Sacco. Je confirme : cette série, considérée comme pionière en matière de BD reportage, a valu au journaliste la reconnaissance de ses pairs, ce qui n'est pas peu dire compte tenu de l'époque où Palestine a été publié pour la première fois. De toutes les oeuvres que j'ai pu lire de Joe Sacco, je dois reconnaître que cette bande-dessinée qui a permis à l'auteur de faire ses premières armes, dégage une spontanéité et une naïveté particulièrement touchantes. Il part en Palestine en conquérant. Il en veut pour son argent. Il poursuit le scoop qui va faire sa notoriété. Il tient le sujet de son futur chef d'oeuvre. Avec humour mais aussi humilité, Joe Sacco fait découvrir un envers du décor méconnu de la Palestine. Pourtant ses espérances s'étiolent au fur et à mesure que son voyage avance. Entre arnaques, mensonges et sollicitations en tous genres, Joe Sacco évolue dans un environnement hostile : la misère, le malheur et la rancoeur des gens, les camps délabrés, les témoins insistants et la rigueur de l'hiver, finissent par venir à bout de son enthousiasme. La fin de son voyage prend des allures de marathon. Les arrestations intempestives ou les jets de pierres qui menacent en permanence colons ou palestiniens rendent compte d'une tension omniprésente que l'auteur restitue tantôt avec emphase, tantôt avec lucidité.


Notons par exemple ce long passage que je trouve d'une émouvante sincérité et qui fait de Palestine une oeuvre très personnelle dont j'apprécie particulièrement la teneur : "Je cligne des yeux, photographie mentalement la scène en me disant : ça va me faire de sacrées pages dans la BD - une séquence étrange avec une voiture ballotée sous une pluie torrentielle, Sameh qui essaie par dessus son épaule de percer l'obscurité, triturant les vitesses pour nous dégager des allées inondées, et moi, à côté, au comble du bonheur... J'y suis tu comprends, j'ai fait des centaines de kilomètres en avion, en bus, en taxi, pour arriver précisément ici : Jabalia, l'incontournable camp de réfugiés de la bande de Gaza, le point de départ de l'Intifada, le Disneyland de l'ordure et de la misère... Et me voilà, moi le peintre des misères palestiniennes, le putain de dessinateur aventurier qui n'a pas changé de fringues depuis des jours, qui a enjambé quelques rats morts et tremblé dans le froid, qui a déconné avec les gamins et acquiésé calmement à leurs terribles récits... Dans la voiture, je me pince pour y croire, pris de vertige dans le noir, devant les flots et les vents furieux, pensant, "vas-y bébé, balance la sauce, je peux encaisser." Mais je garde la vitre bien fermée..." (p. 206). Grâce à Palestine, Joe Sacco touche vraiment à l'excellence. Avec le temps, ce génie des premiers temps a peu à peu cédé à un professionnalisme plus maîtrisé mais moins séduisant. Pour ma part, si vous ne deviez lire qu'une seule oeuvre de Joe Sacco, optez pour cette grandiose série à la fois pour sa créativité artistique et ce certain regard porté sur la Palestine...

A lire également Gorazde ou Gaza 1956, en marge de l'histoire, du même auteur.

Sinon, cette édition anniversaire proposée par les éditions Rackham est disponible sur Amazon via le lien suivant : Palestine.









Ci-dessus, les couvertures des six premiers volumes de Palestine édités chez Fantagraphics.
  • Titre : Palestine
  • Auteur : Joe Sacco
  • Traducteur : Professeur A.
  • Éditeur : Rackham
  • Date de parution : Janvier 2010
  • Nombre de pages : 324 p.
  • ISBN : 978-2878271218
  • Crédits photographiques : Joe Sacco

Pirates de tous les pays - Marcus Rediker

Figure emblématique des mouvements libertaires, la confrérie des pirates n'a cessé depuis des siècles, d'alimenter les imaginaires collectifs. Ces bandits, irrémédiablement représentés avec un bandeau, une jambe de bois, une boucle à l'oreille ou un perroquet sur l'épaule, ont fasciné des générations d'écrivains tant pour leur esprit rebelle que pour leur quête de liberté. Bête noire des flottes marchandes ou militaires, ces scélérats des mers (cf. titre original de l'ouvrage : Villains of all nations) ont semé la terreur sur tous les océans du monde au XVIIe et début du XVIIIe siècle (principalement aux Caraïbes, dans le Golfe de Guinée et à Madagascar). Pillant les navires et vivant au jour le jour de leur butin, ces Robins des bois des mers d'abord instrumentalisés par les couronnes d'Angleterre, de France et de Hollande pour contrer l'expansion coloniale portugaise et espagnole, ont fini par devenir indésirables : navigant sous les couleurs du macabre "Jolly Roger", les flibustiers dérangeaint par leurs moeurs dissolues et leur sauvagerie. Mais ce qui leur était reproché avant tout, était leur contrôle indiscutable des axes maritimes stratégiques de la marine marchande et de la traite négrière. Si les grands empires européens sont parvenus à mettre fin à leur activité en 1726, date de la fin de l'âge d'or de la piraterie, ces marins mutins souvent saoulés au rhum, ont laissé une empreinte durable héritée de leur code d'honneur : témérité et intégrité ne sont-ils pas leur mot d'ordre? N'ont-ils d'ailleurs pas été les premiers à instaurer un système social et égalitaire ? N'ont-ils pas été les premiers à revendiquer la non-appartenance à une nation ? N'ont-ils pas choisi une vie certes périlleuse mais placée sous le signe de la solidarité et de la liberté ? N'ont-ils pas enfin été des centaines à perdre leur vie pour défendre l'honneur du drapeau à tête de mort ? C'est à ces quelques questions que Markus Rediker, en tant que spécialiste du sujet, se propose de répondre...

Charles Bellamy résume très clairement l'esprit pirate par les mots suivants : "Maudit sois-tu, tu n'es qu'un lâche, comme le sont tous ceux qui acceptent d'être gouvernés par les lois que des hommes riches ont rédigées afin d'assurer leur propre sécurité. Ils nous font passer pour des bandits, ces scélérats, alors qu'il n'y a qu'une différence entre eux et nous, ils volent les pauvres sous couverts de la loi tandis que nous pillons les riches sous la protection de notre seul courage." (extrait de la quatrième de couverture). Que ce soit Barbe noire (Edward Teach), Batholomew Roberts, Calico Jack Rackham ou William Fly, qu'il s'agisse d'Anne Bonny ou Mary Read, tous ces célèbres pirates se sont démarqués par leur courage et leur ténacité face aux autorités impériales. Obéissant uniquement à leur code déontologique et oeuvrant sans relâche à la gloire du drapeau noir, ces assoiffés de la vie, ainsi que nous le montre Rediker, se plaisaient paradoxalement à défier la mort elle-même. Si l'image qu'ils véhiculent dans la culture populaire actuelle a encore tant d'impact (cf. les livres, les films, les jeux, les pirates informatiques ou le mouvement politique pirate), c'est bien le signe de leur influence durable. Ces scélérats n'étaient certes pas des enfants de coeur mais ils agissaient dans un souci de fraternité et d'égalité dont peu de communautés peuvent se targuer. Leur fierté mais aussi parfois leur cruauté n'est pas toujours bienveillante. Markus Rediker transmet toutefois une fascination et un respect contagieux pour les pirates malgré leurs travers et leur excès : symbole incarné et prégnant du contre-pouvoir à la sauce boucanier, les bandits des mers racontés par le spécialiste américain donnent à voir un idéal élevé auquel on se prend tous à croire. Dommage que l'étude s'enlise parfois dans de fastidieux chiffrages ou énumérations qui enlèvent un peu de la magie du récit. Dommage également que l'auteur reste enfermé dans un style par trop académique qui ternit un peu l'histoire brûlante des pirates. Mais ne vous arrêtez pas à cet infime détail qui vous priverait d'une lecture captivante : battez donc pavillon noir et partez à l'abordage de cette sympathique étude !

Si vous souhaitez à votre tour embarquer sous les couleurs du Jolly Roger, notez que ce livre est disponible sur Amazon via le lien suivant : Pirates de Tous les Pays! Deuxième édition.


  • Titre : Pirates de tous les pays
  • Sous-titre : L'âge d'or de la piraterie atlantique (1716-1726)
  • Titre original : Villains of all nations
  • Auteur : Markus Rediker
  • Traducteur : Fred Api
  • Préface : Julius Van Daal
  • Éditeur : Libertalia
  • Date de parution : Novembre 2011 (pour cette 2e édition)
  • Nombre de pages : 197 p.
  • Illustrations : Thierry Guitard
  • ISBN : 978-2-952-8292-7-4
  • Crédits photographiques : Visuels créé à partir des différentes images de drapeaux pirates sur Wikipédia (images libres de droits)


La pieuvre - Giffone - Longo- Parodi

Il n'aura fallu pas moins de sept ans de travail et de recherches à Manfredi Giffone, Fabrizio Longo et Alessandro Parodi pour reconstituer l'histoire des quatorze années de lutte contre la Pieuvre (1978-1992). Lorsque le récit commence en 1978, la Cosa Nostra dirigée par le clan des Corleone règne en maître sur la Sicile : corruption, trafic de drogue, blanchiment d'argent, scandales politiques, fraudes fiscales, le réseau mafieux trempe dans toutes les sales affaires et impliquent les personnalités des plus hautes sphères politiques et financières de l'état italien. Les lettres laissées par Aldo Moro, Président de la Démocratie chrétienne ("Mémorial Aldo Moro") après sa mort déclenchent les rivalités au sein du clan et met le feu aux poudres : c'est la descente aux enfers. Les meurtres se succèdent. La justice n'est alors pas armée pour combattre la mafia. En 1979, Giovanni Falcone et Poalo Borsellino, les deux célèbres magistrats entrent en scène alors qu'une guerre instestine se déchaîne entre les membres des clans. Un pool anti-mafia est mis en place pour lutter contre le crime organisé. Le délit d'association mafieuse est reconnu. Le gouvernement consent à prendre des mesures analogues à celles de la lutte contre le terrorisme. La confiscation des biens illicites s'organise pour affaiblir la puissance financière de la Cosa Nostra. Pendant ce temps, les têtes continuent de tomber. Les règlements de compte font des dizaines de victimes dans les deux camps. Au prix de nombreux sacrifices et d'une persévérance exemplaire, le pool travaille sans relâche au démantèlement du réseau tentaculaire de la Pieuvre...

Les superbes planches dessinées à l'aquarelle qui composent ce pavé (l'album en compte 370), déroulent de façon trop elliptique les quatorze années de lutte contre la Pieuvre. S'il n'y a aucun doute sur la valeur historique et documentaire de ce roman graphique, on reste sur sa faim : la complexité des dossiers, la multitude des antagonistes et la myriade d'événements qui ponctuent les sombres années cette lutte anti-mafia, traitent le sujet trop rapidement. Difficile donc pour le lecteur de digérer toute la masse d'informations sans perdre le fil. Le format choisi par les auteurs, à savoir un volume unique d'environ 400 pages, ne semble malheureusement pas adapté : une série en plusieurs tomes aurait par exemple paru plus pertinent pour valoriser le titanesque travail de recherche documentaire et donner plus de poids au récit. Ceci dit, au sujet de cet épisode sanglant qui a fait la une des journaux et défrayé la chronique à l'époque, La pieuvre apporte une dimension historique appréciable, admirablement servie par un beau graphisme en noir et blanc. A cette lecture, on se remémore soudain ces images choc qui faisaient la une des journaux et rétrospectivement, on comprend mieux les enjeux de cette guerre meurtrière qui mobilisait alors l'attention de tous les médias. Plus d'un simple roman graphique, cet album, remarquable hommage rendu aux juges Falcone et Borsellino, se présente comme un document précieux sur la dangeureuse et âpre lutte menée contre la Cosa Nostra... Un bel ouvrage à consulter et à relire notamment pour l'index de tous les acteurs impliqués dans cette gigantesque affaire, en complément d'autres ouvrages sur le sujet comme Le jour de la chouette de Leonardo Sciascia (que je prévois de lire) ou l'édifiant Gomorra de Roberto Saviano (2007)...

Petite remarque en passant : les auteurs ont choisi des figures animales pour camper leurs personnages. Je trouve ça dommage qu'ils n'aient pas retenu la pieuvre comme l'un des représentants de la Cosa Nostra...

Sinon, je remercie Le Tigre de m'avoir inspiré cette stimulante lecture qui en amènera sûrement d'autres sur le sujet.

Enfin, si vous souhaitez à votre tour vous plonger dans cette histoire, notez que ce livre est disponible sur Amazon via le lien suivant : La pieuvre : quatorze ans de lutte contre la mafia. Une histoire vraie.  

  • Titre : La pieuvre
  • Sous-titre : Quatorze ans de lutte contre la mafia, une histoire vraie
  • Titre original : Un fatto umano, Storia del pool antimafia
  • Scénariste : Manfredi Giffone
  • Dessinateurs : Fabrizio Longo, Alessandro Parodi
  • Traducteur : Hélène Dauniol-Remaud
  • Éditeur : Les Arènes
  • Date de parution : Avril 2012
  • Nombre de pages : 407 p.
  • ISBN : 978-2352041481
  • Crédits photographiques : © Manfredi Giffone, Fabrizio Longo, Alessandro Parodi


Excellente année 2014 à tous !

 

"Que chacun raisonne en son âme et conscience, qu'il se fasse une idée fondée sur ses propres lectures et non d'après les racontars des autres." (Comment je vois le monde d'Albert Einstein)

Crédits photographiques : © Mélanie Paris

Et le gagnant d'Hirondelle et martinet est...

Pour inaugurer le premier billet des Embuscades cette nouvelle année 2014, je vais vous dévoiler le nom de l'heureux gagnant du grinçant recueil de nouvelles de Serge Cazenave-Sarkis, Hirondelle ou martinet. C'est avec l'aide très utile de Marianne Desroziers, des Éditions de L'Abat-Jour et de l'auteur que ce petit jeu vous a été relayé. Je les en remercie. Je remercie également les trois participants qui ont bien voulu se prêter au jeu. Il s'agit de Jane F B-a, de S.Werth et de F.T. Je vous informe que le tirage au sort du gagnant n'a pas été réalisé par un huissier agrémenté par la Française des jeux mais il a été fait dans les règles de l'art : par une main innocente et parfaitement désintéressée (si, si, je vous assure). Quel est donc le téméraire joueur qui a remporté le livre ? Suspens... Avant de vous livrer son nom, je voudrais profiter de ce billet pour vous souhaiter à tous mes meilleurs voeux pour 2014. Que cette année vous soit propice sur tous les plans et qu'elle vous donne l'occasion de concrétiser vos projets les plus fous. Blaise Pascal ne disait-il d'ailleurs pas que : "Les hommes sont si nécessairement fous, que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou." Soyons donc fous et puisse 2014 nous donner les moyens à tous de nous abandonner intelligemment à notre folie... Trèves de blabla maintenant. Je crois qu'il est grand temps de vous annoncer le gagnant. Celui-ci est...

J'ai nommé Jane F B-a. Bravo à elle !



Jane, pouvez-vous me laisser vos coordonnées via le formulaire de contact pour l'envoi du livre ?

A tous les trois participants, encore merci pour votre participation et à bientôt !