Les
trois textes des paradis ont été réunis par Baudelaire et publiés sous
différentes éditions. La présente édition se termine par Exorde et notes pour les conférences données (à Bruxelles). Lire
ces textes plus de 150 ans après leur publication ne leur enlève pas de
leur force : la question des drogues psychotropes reste la même de nos
jours mais avec le recul, on pourrait trouver ces textes un peu naifs.
Certes, le hachich reste dangereux mais de là à faire l’apologie du vin,
il y a une grosse différence. On connait depuis longtemps les ravages
provoqués par l’alcool et l’on ne peut pas lire sans sourire
l’argumentaire de Baudelaire. J’ai beaucoup aimé le passage dans lequel,
l’auteur parle aux hommes au nom du vin ("Je tomberai au fond de ta
poitrine comme une ambroisie végétale. Je serai le grain qui fertilise
le sillon douloureusement creusé. Notre intime réunion créera la poésie.
A nous deux, nous ferons un Dieu, et nous voltigerons vers l’infini,
comme les oiseaux, les papillons, les fils de la Vierge, les parfums et
toutes les choses ailées." p.82). Si on garde en tête que l’usage du
hachich était à l’époque une mode nouvellement importée en Europe, on
peut excuser cette ingénuité surtout que le mode d’absorption préconisé
provoquait des hallucinations violentes et des crises d’angoisse et de
fatigue puissantes. Notons cependant que Baudelaire fait plus état de ses
observations que d’une réelle expérience : il a en effet peu testé les
usages du hachich et ne fait que constater les cas connus de son
entourage. Des paradis artificiels provoqués par les diverses drogues,
il me semble que les effets de l’alcool ne soient pas vraiment
comparables à ceux du hachich et de l’opium : s’il est vrai comme le
montre Baudelaire, que l’alcool désinhibe et que le hachich introvertit,
il faut souligner que les deux pratiques n’emmènent pas le consommateur
vers les mêmes rivages. De plus, les textes réunis ici, bien que
faisant hommage à l’écriture poétique et imagée de Baudelaire, font
parfois un double emploi. Mais on soulève là une autre question, à
savoir celle de la politique éditoriale. J’ai donc trouvé Les paradis
intéressants mais rien qui ne me semble notable par rapport au sujet
traité. On comprendra donc que je ne partage pas l’avis de Philippe
Pichois qui trouve que les textes de Gautier rendent plus sensibles ceux
de Baudelaire. En fait, ce que je recherchais par la lecture de ce
livre était l’aspect expérimental vécu par l’auteur que Gautier a bien
mieux décrit que Baudelaire...
- La pipe d’opium : Ce texte raconte une expérience vécue par Théophile Gautier lors d’une prise d’opium. De ses hallucinations à son sentiment de bien-être ou encore à ses angoisses, le célèbre feuilletoniste nous partage son voyage dans les fumées âcres de l’opium.
- Le hachich : Cette substance psychotrope ramenée par les orientalistes est testée pour la première fois par Théophile Gautier lors d’une réunion prévue à cet effet. Consommée sous la forme d’une pâte verdâtre arrosée d’un café arabe avant le repas, le hachich provque chez l'auteur des états de bien-être qui alternent avec des hallucinations et des angoisses.
- Le club des hachichins : Le hachich était autrefois le moyen utilisé par le prince des assassins pour soumettre ses subordonnés. Ce terme serait inspiré des "hachichins, mangeur de hachich, racine du mot assassins, dont l'acception féroce s'applique parfaitement aux habitudes sanguinaires des affidés du vieux de la montagne." p.53-54. Les hallucinations provoquées sont violentes et l'écrivain ne maîtrise pas les états d'euphorie, de mélancolie ou d'angoisse provoqués par les effets de la verte confiture. Transformé quelques instants en éléphant, Gautier finit par s'évanouir avant d'être réveillé par des conversations absurdes où il est question de mort et de temps qui s'arrête... ( "J'éprouvais une affreuse tristesse, car, en portant la main à mon crâne, je le trouvais ouvert, et je perdis conscience." p.71)
Les expériences psychotropes des deux auteurs diffèrent et l'on constate que Charles Baudelaire
garde une position de retrait par rapport aux dangers de la douce
rêverie provoquée par l'absorption de hachich et d'opium. Avant de
rentrer dans le détail des Paradis artificiels, ci-dessous un bref
aperçu de son article :
- Du vin et du hachich comparés comme moyens de multiplication de l’individualité : Baudelaire compare dans cet article les effets causés respectivement par l'absorption de vin et de hachich. Ces deux substances constituent à son sens des moyens de multiplications de l'individualité. Il apparait clairement que sa préférence tend vers le vin. "Qu'ils sont grands les spectacles du vin, illuminés par le soleil intérieur! Qu'elle est vraie et brûlante cette seconde jeunesse que l'homme puise en lui! Mais combien sont redoutables aussi ses voluptés foudroyantes et ses enchaînements énervants." p.80. Les vertus du vin sont pour lui tellement plus bienfaiteurs que néfastes qu'il déclare même qu'"un homme qui ne boit que de l'eau a un secret à cacher à ses semblables." p.84. Pour lui, le vin est la substance de l'homme action alors qu'à l'inverse, le hachich est impropre à l’action.
- Les paradis artificiels : Illustrant son argumentaire par des cas d'intoxication de personnes diverses, Baudelaire expose dans ce texte les effets provoqués par le vin, l'opium et le hachich. Il s’attarde longuement sur le cas de Thomas De Quincey, devenu opiomane à cause des mots d’estomac qu’il soignait par l’opium (lire à ce sujet Les confessions d’un opiomane anglais de De Quincey). On retrouve dans ce texte un développement de l’article précedemment présenté. De la présentation du dawanesk ("mélanges d’extraits, de sucre et de divers aromates, tels que vanille, canelle, pistaches, amandes, musc. Quelquefois même, on y ajoute un peu de cantharide dans un but qui n’a rien de commun avec les résultats ordinaires du hachich. (...) On peut le prendre à la dose de 14, 20, 30 grammes, soit enveloppé dans une feuille de pain à chanter, soit dans une tasse à café." p.116) en passant par celle du hachich ou encore des effets provoqués par l’opium, les Paradis artificiels sont composés de textes disparates écrits à différentes périodes.
"Je
veux prouver que les chercheurs de paradis font leur enfer, le
préparent, le creusent avec un succès dont la prévision les
épouvanteraient peut-être." Baudelaire.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à jeter un oeil à l’article de Litteratura.com. Vous y trouverez le texte intégral téléchargeable en format PDF.
Note : Claude
Pichois explique dans son introduction que la littérature a toujours
compté parmi ses contributeurs des adeptes des paradis artificiels de
Paris à Vienne. Si le texte de Baudelaire est précédé des articles de Théophile Gautier, c'est explique t-il, "pour
rendre plus sensible la grandeur de Baudelaire. De cette comparaison,
de cette confrontation, doit se dégager l'originalité profonde des
Paradis artificiels et même du premier crayon de ce livre : Du vin et du
hachich, la série d'articles sur laquelle s'ouvre la contribution
baudelairienne." p.8.
Détails bibliographiques
- Auteur : Charles Baudelaire
- Editions : Folio
- Collection : Folio classique
- Version : Nouvelle édition revue
- Introduction : Claude Pichois
- Date de parution : Juin 1972
- Nombre de pages : 275 p.
- Couverture : Ingres. L’odalisque à l’esclave (détail). The Walter arts gallery, Baltimore. Photo : Artephot-A. Held
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