Nous en avons tous plus ou moins conscience, la présence de populations immigrées en France est l’héritage d’une longue histoire coloniale française. Étendu au Maghreb, à l’Afrique noire et à l’Indochine, l’empire colonial français qui s’est affirmé comme une puissance économique mondiale dès le 19è siècle, s’est donné pour mission de civiliser les peuples indigènes de ses colonies. La théorie de la « supériorité raciale » paradoxalement étayée par les scientifiques de l’époque et la multiplication des expositions coloniales alimentent alors les stéréotypes coloniaux et ouvrent la voie aux fantasmes les plus grotesques à propos des populations des contrées exotiques. Dès 1945, cette hégémonie coloniale française est mise à mal par la lutte pour l’indépendance de l’Algérie incarnée par Messali Hadj et par la résistance de figures emblématiques comme Hô Chi Minh en Indochine. Les puissances coloniales doivent faire face à une crise sans précédent qui exige une refonte des discours politiques. L’image de l’indigène fait place à celle de l’immigré. Les « politiques assimilationistes » caractéristiques à la France misent désormais sur une logique d’intégration des populations immigrées mais la réalité est cruelle. Les stéréotypes et préjugés raciaux véhiculés pendant des décennies au travers de l’abondante production iconographique restent profondément ancrés dans l’imaginaire collectif et perdurent encore de nos jours malgré une prise de conscience de la résurgence du racisme et la forte mobilisation des autorités publiques et de la société civile autour de ces questions...
« Il n’y a pas de racisme sans colonialisme », Aimé Césaire, 1954
Aimé Césaire avait profondément raison lorsqu’il déclarait en 1954 : « Le colonialisme porte en lui la terreur. Il est vrai. Mais il porte aussi en lui, plus néfaste encore peut-être que la chicotte des exploitateurs, le mépris de l’homme, la haine de l’homme, bref le racisme. Que l’on s’y prenne comme on le voudra, on arrive toujours à la même conclusion. Il n’y a pas de racisme sans colonialisme. » Cette citation mise en exergue au début de l’ouvrage offre une belle entrée en matière pour les spécialistes de l’histoire coloniale et post-coloniale que sont Nicolas Bancel et Pascal Blanchard. En effet, il est difficile d’évoquer le colonialisme sans dénoncer le racisme. Aussi, grâce à une approche basée sur une analyse historique, documentaire et iconographique originale, les deux auteurs proposent avec ce titre, un passionnant travail historiographique et mémoriel sur l’histoire coloniale française dont certains aspects encore malheureusement méconnus méritaient d’être étudiés et mis en en lumière. Enrichi par l’analyse d’un précieux panel de sources iconographiques d’époque, De l’indigène à l’immigré démontre en outre, la puissance de la manipulation par l’image et la façon dont l’image s’est faite l’instrument de tous les discours de propagande. Tenant en à peine 128 pages, ce livre d’ailleurs doté d’un substantiel appareil critique (illustrations, témoignages, citations, chronologies, bibliographie...), est surprenant par la richesse et la qualité de son contenu. Et à vrai dire, en ouvrant ce livre, vu son épaisseur et ses nombreuses illustrations, je m’attendais plutôt à de la littérature jeunesse. Mais l'incroyable masse critique d’informations, si elle reste accessible à des publics jeunes, peut/doit intéresser tous les publics car l’approche pédagogique, les propos argumentés et les références largement documentées permettent de nourrir une réflexion pertinente autour de l’histoire coloniale française et invitent intelligemment à approfondir ses connaissances sur le sujet. Assurément un livre à mettre entre toutes les mains !
Aussi, si vous souhaitez à votre tour vous plonger dans cette captivante histoire coloniale française, notez que vous pouvez vous procurer le livre sur Amazon via le lien suivant : De l’indigène à l’immigré
Notre rapport à l’image à travers les représentations de la figure de l'étranger
En ce qui concerne l’analyse des sources iconographiques présentées dans l’ouvrage, cette chronique ne serait pas complète si je ne lui en consacrais pas une partie. Nul n’est besoin de le rappeler, l’image a toujours constitué un puissant outil de manipulation pour les classes dirigeantes : cela a commencé avec l’ère des grandes découvertes lors desquelles les indigènes ont d’abord été représentés sur gravures puis photographiés. S’appuyant les théories du racisme scientifique et de l’anthropologie physique au 19è siècle, la communauté scientifique a bon gré, mal gré, contribué à alimenter le fantasme du sauvage et à créer l’image de l'indigène. Au fur et à mesure, ces représentations ont évolué avec les intentions de ses producteurs. Ainsi, a-t-on glissé de façon subreptice de la documentation iconographique scientifique du début du 19è siècle à la promotion événementielle grand public pour les zoos humains, les jardins d’acclimatation et les expositions coloniales de la fin du 19è siècle.
Ce que les puissances coloniales considéreraient alors comme des avancées scientifiques par rapport au nouveau concept de catégorisation des races humaines et la soif d’exotisme qui attisaient l’intérêt et la curiosité des classes aisées de la société, ont littéralement asservi et desservi les peuples des colonies françaises. En effet, les images véhiculées accentuant les attributs physiques de ses sujets de façon caricaturale ont abondamment alimenté les stéréotypes raciaux et renforcé l’idée de la supériorité de la race blanche sur les autres. Ainsi, considérés d’une part par les scientifiques comme de vulgaires objets de recherche, sollicités de l’autre par les classes sociales aisées en mal d’exotisme ou abhorrés par d’autres, les indigènes se sont-ils ainsi vus complètement dépossédés de leur image. Désormais, ils devenaient malgré eux, les têtes d’affiche de campagnes de communication en tous genres : après les thèses anthropologiques et les expositions coloniales, l’image des indigènes a servi à la propagande militaire, aux campagnes de publicité ou plus récemment et paradoxalement aux campagnes de prévention et de lutte contre le racisme. Tantôt réduits à des objets, tantôt vantés pour la richesse de leur diversité, les anciens peuples colonisés de France qui sont finalement passé du statut d’indigène à celui d’immigré, restent malgré eux victimes de l’exploitation outrageuse de leur image...
Et au final, la figure de l’étranger, peu importe qu’on lui prête des intentions scientifiques ou propagandistes, qu’on la désigne sous le nom de campagne d’information, de renseignement ou qu’on l’utilise à des fins publicitaires, doit nous rappeler comme l’avait si bien exprimé Aimé Césaire, « qu’il n’y a pas de colonialisme sans racisme ». Aussi penser et repenser notre rapport à l’image et en l’occurrence notre rapport à la figure de l’étranger à travers notre connaissance de l’histoire coloniale française, participe d’un travail de mémoire auquel nous ne devons pas nous dérober pour lutter durablement contre le racisme et les discriminations...
Ce que les puissances coloniales considéreraient alors comme des avancées scientifiques par rapport au nouveau concept de catégorisation des races humaines et la soif d’exotisme qui attisaient l’intérêt et la curiosité des classes aisées de la société, ont littéralement asservi et desservi les peuples des colonies françaises. En effet, les images véhiculées accentuant les attributs physiques de ses sujets de façon caricaturale ont abondamment alimenté les stéréotypes raciaux et renforcé l’idée de la supériorité de la race blanche sur les autres. Ainsi, considérés d’une part par les scientifiques comme de vulgaires objets de recherche, sollicités de l’autre par les classes sociales aisées en mal d’exotisme ou abhorrés par d’autres, les indigènes se sont-ils ainsi vus complètement dépossédés de leur image. Désormais, ils devenaient malgré eux, les têtes d’affiche de campagnes de communication en tous genres : après les thèses anthropologiques et les expositions coloniales, l’image des indigènes a servi à la propagande militaire, aux campagnes de publicité ou plus récemment et paradoxalement aux campagnes de prévention et de lutte contre le racisme. Tantôt réduits à des objets, tantôt vantés pour la richesse de leur diversité, les anciens peuples colonisés de France qui sont finalement passé du statut d’indigène à celui d’immigré, restent malgré eux victimes de l’exploitation outrageuse de leur image...
Et au final, la figure de l’étranger, peu importe qu’on lui prête des intentions scientifiques ou propagandistes, qu’on la désigne sous le nom de campagne d’information, de renseignement ou qu’on l’utilise à des fins publicitaires, doit nous rappeler comme l’avait si bien exprimé Aimé Césaire, « qu’il n’y a pas de colonialisme sans racisme ». Aussi penser et repenser notre rapport à l’image et en l’occurrence notre rapport à la figure de l’étranger à travers notre connaissance de l’histoire coloniale française, participe d’un travail de mémoire auquel nous ne devons pas nous dérober pour lutter durablement contre le racisme et les discriminations...
Détails bibliographiques
- Titre : De l’indigène à l'immigré
- Auteurs : Nicolas Bancel et Pascal Blanchard
- Éditeur : Gallimard
- Collection : Découvertes Gallimard Histoire
- Date de parution : Février 1998
- Nombre de pages : 128 p.
- ISBN : 978-2070534296
- Photo de couverture : © Couverture de l’album de l’Exposition coloniale de 1931, Photomontage de Cloche
Enregistrer un commentaire